Texte intégral
P. Lapousterle. - Quels sont les effets sur place de la connaissance des rapports parlementaires sur la Corse ? Comment cela est-il vécu ?
J. Rossi. - « Les Corses, si j'ose dire, sont "blindés." Depuis de longues années maintenant..."
P. Lapousterle. - On meurt beaucoup quand même...
J. Rossi. - « … ils sont un peu dans le collimateur de l'opinion publique et des médias. Mais cette fois-ci, au fond, ce n'est pas la Corse qui est en cause mais c'est l'organisation des services de l'État et plus particulièrement l'organisation du ministre de l'intérieur. Ce qui paraît assez choquant, c'est que le ministre de l'intérieur, J.-P. Chevènement, qui est le ministre de l'ordre public et de la police, ait laissé s'installer à l'intérieur de sa maison, au ministère de l'Intérieur même, le désordre : un désordre entre les services, querelles entre les hommes. Il semble que par ses dernières déclarations, il ne veuille pas voir ce constat, pourtant criant, à la suite des auditions parlementaires. »
P. Lapousterle. - Est-ce vrai quand on dit que les attentats recommencent en Corse, un peu comme avant, que les conférences de presse clandestines recommencent, que l'on revient à la situation d'il y a un an, deux ans ?
J. Rossi. - « Oui. En réalité, il y a une volonté du gouvernement, c'est vrai, de remettre de l'ordre mais il n'y arrive pas, c'est un échec. Il y a aussi la volonté de jouer la carte du développement économique de la Corse mais dans ce climat de désordre ce n'est pas facile. Ce qui manque aujourd'hui au gouvernement, c'est une véritable politique corse. Le gouvernement a en charge des dossiers sensibles – l'emploi, le développement économique, la réforme de la justice. Et le dossier corse aujourd'hui est devenu une affaire d'État, c'est un des tiroirs, l'un des registres sur lequel le gouvernement est obligé de s'exprimer tous les jours, car il y a un problème immense qui reste non résolu depuis une trentaine d'années. Il faut que le gouvernement s'en charge. Il serait totalement absurde, comme je l'entends ici et là, d'imaginer nommer un Monsieur Corse. »
P. Lapousterle. - Ce n'est pas une bonne idée C'est ce que proposent les rapports, pourtant !
J. Rossi. - « Une sorte de proconsul qui serait installé à Paris au lieu d'être installé en Corse, après C. Bonnet. Je crois que L. Jospin, qui est le responsable du gouvernement, ne peut être que celui qui a en charge le dossier corse, c'est un choix du gouvernement tout entier, il doit l'assumer, c'est sa responsabilité. »
P. Lapousterle. - Quelles suites politiques, en tant que président du groupe démocratie libérale, comptez-vous donner aux rapports qui ont été publiés ?
J. Rossi. - « Du côté de l'opposition, elle se satisfait aujourd'hui d'avoir contribué à la transparence. Les commissions parlementaires ont fait leur travail, aussi bien celles du Sénat que celles de l'Assemblée nationale. Je ne conteste pas, bien qu'étant dans l'opposition, la qualité de ce travail et je niche les parlementaires de l'avoir fait avec conscience. Les conclusions proposées par la commission de l'Assemblée nationale allaient trop loin, c'était une véritable réforme de l'État. Je pense par exemple au rattachement des préfets à Matignon, ou à l'intégration dans un même ministère, de la police et de la gendarmerie, sous la même autorité. Cela nécessite à l'évidence une réflexion beaucoup plus globale au-delà du dossier corse. Mais aujourd'hui, les conséquences qu'il faut en tirer c'est tout simplement la réorganisation des services et de l'action de l'État au sein du ministère de l'intérieur notamment. Comment peut-on imaginer que ce constat de désordre que j'évoquais il y a un instant puisse perdurer ? Je crois qu'il faut que monsieur Chevènement tire les conséquences de ce désordre et réorganise ses services et que cela se sache. »
P. Lapousterle. - On a entendu quelqu'un de votre parti, C. Goasguen, porte-parole de Démocratie libérale, demander la démission de J.-P. Chevènement...
J. Rossi. - « Je ne vais pas aussi loin personnellement. L'opposition est dans son rôle. M. Goasguen a évoqué la démission de J.-P. Chevènement qui pourrait, en effet, de sa propre initiative, remettre en cause sa propre responsabilité qu'aujourd'hui il essaye de dissimuler. Mais compte tenu de ce qu'a dit J.-P. Chevènement, je doute qu'il ait envie d'aller jusque-là car il ne reconnaît pas sa responsabilité. Pourtant elle est immense. Donc ce qu'on lui demande surtout, c'est de remettre de l'ordre dans sa maison pour la sécurité de l'ensemble des Français et aussi pour tirer les conséquences d'un travail parlementaire qui a été un bon travail et qui a permis de faire la transparence. »
P. Lapousterle. - Selon vous, le fait qu'Y. Colonna, l'auteur présumé, de l'assassinat du préfet Érignac, coure toujours, est-ce une faute du gouvernement ou bien est-ce quelque chose d'imaginable ?
J. Rossi. - « Sur ce plan, je ne suis pas de ceux qui partagent la querelle. Bon, il y a eu des résultats – il ne faut pas accabler J.-P. Chevènement sur tout ! – il y a eu des résultats dans cette action, même si des fautes ont été commises, des retards additionnés. Mais il petit y avoir aussi tout simplement des erreurs dans une action de police qui aboutissent à ce résultat. »
P. Lapousterle. - Que pensez-vous de la publication des auditions des gens qui ont été convoqués par les commissions parlementaires ? Publication des noms de ce qui a été dit par les uns et les autres. Est-ce normal ?
J. Rossi. - « Le règlement de l'Assemblée nationale permet la publication des auditions. Donc ceux qui viennent témoigner doivent se préparer soit à voir leur audition conservée de manière secrète, soit au contraire publiée. Quand ils ont la possibilité de corriger leur texte – j'ai moi-même reçu mon texte et je l'ai relu sans y corriger grand-chose, on n'a pas le droit d'ailleurs de modifier le sens des propos que l'on a tenus –, on est averti que ce texte est susceptible d'être public. Personnellement je suis pour la transparence car c'est avec cela qu'on fait avancer les choses. On ne voit pas pourquoi, aujourd'hui par exemple, dans toutes les procédures judiciaires, tout le secret de l'instruction serait mis sur la place publique et que les commissions d'enquêtes, elles, seraient en mesure, alors que 30 personnes, travaillent autour d'une table, de conserver, un secret. Quand il y a 30 personnes autour d'une table c'est très difficile. Mais personnellement je crois que la transparence est une bonne chose. Ce qui est plus grave par contre, c'est que-l'on puisse livrer au public les noms par exemple des informateurs et contribuer à créer des confusions. Quelle est la vérité des choses ? Je ne le sais pas aujourd'hui, et personne ne le sait véritablement. Cela c'est beaucoup plus dangereux, pour tons. Il serait souhaitable de conserver sous X ce type d'information. »
P. Lapousterle. - Vous qui êtes, à Démocratie libérale, les alliés du RPR, est-ce que J. Chirac est affaibli par le fait que son candidat préféré n'ait pas eu une victoire aussi brillante ?
J. Rossi. - « J. Chirac qu'on dit « affaibli », et puis tous les sondages montrent que, non seulement il surnage, mais qu'il se porte bien. »
P. Lapousterle. - De temps en temps, les sondages, on dit qu'ils sont... Ça varie.
J. Rossi. - « Beaucoup de responsables politiques aimeraient avoir ces sondages. Par contre l'opposition ne se porte pas si bien que bien que cela, parce qu'elle est balkanisée, elle est éclatée. Et ce qui m'inquiète plus c'est l'organisation de l'opposition, aujourd'hui, en deux tendances. On a un peu l'impression que du côté du RPR et de l'UDF – l'UDF, sur des positions, de manière classique plus douces, plus centristes, le RPR, en raison de la cohabitation et du soutien qu'il apporte naturellement et d'abord au président de la République – on a l'impression que ces deux formations, amies et proches, sont dans une attitude plus douce que Démocratie libérale à l'Assemblée nationale. Et effectivement, on voit aujourd'hui, Démocratie libérale – A. Madelin, C. Goasguen, F. d'Aubert, L. Dominati, le groupe que je préside – être au premier plan du combat d'opposition. Nous avons un devoir d'opposition et nous sommes aujourd'hui, heureusement, à l'Assemblée nationale, me semble-t-il, ceux qui l'assumons le plus efficacement, et, en dehors de l'Assemblée nationale car ils n'ont pas de députés aujourd'hui – il y a le RPF de M. Pasqua qui effectivement mène un combat d'opposition. Nous ne partageons pas les thèses souverainistes évidemment de M. Pasqua. C'est l'un des clivages forts de cette formation politique. Mais il y a manifestement au RPF une volonté d'opposition dont nous sommes obligés de prendre acte puisque nous-mêmes nous sommes en première ligne sur ce terrain. »
P. Lapousterle. - Donc il y a de l'eau dans le gaz dans l'alliance privilégiée entre le RPR et Démocratie libérale ?
J. Rossi. - « Pas du tout. Il n'y a pas d'alliance privilégiée entre le RPR et Démocratie libérale. Il y a une volonté d'entente entre le RPR, Démocratie libérale et l'UDF dans le combat parlementaire. Nous souhaitons entraîner nos partenaires du RPR et de l'UDF dans un combat un peu plus dur. Par exemple sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, nous, à l'Assemblée nationale, d'emblée, nous avons voté contre ce texte et Mme Guigou, d'ailleurs, a fort bien compris notre démarche. Nous avons mené un combat d'opposition et, aujourd'hui, on a un eu l'impression que nos partenaires sont un peu plus hésitants sur cette affaire. Donc, je crois que le Président de la République avait parfaitement la liberté, lui, d'afficher ses positions sur ce sujet mais les parlementaires de l'opposition doivent affirmer leurs convictions. »
P. Lapousterle. - Le gouvernement parle de « pitbulls de l'opposition » pour Démocratie libérale ?
J. Rossi. - « "Pitbulls de l'opposition" ! Nous sommes encore un peu petits : 45 députés c'est pas mal, c'est mieux que le RCV et mieux que le PC à l'Assemblée nationale mais nous sommes encore le plus petit des trois – RPR, UDF, DL –mais nous sommes les plus agiles, les plus mobiles et les plus présents sur l'évènement, c'est évident. »