Texte intégral
Débats pour XIIIe congrès du LCR
Depuis le 11 décembre 1997, nous consacrons les pages 12-13 de notre hebdomadaire à la publication de tribunes de discussion préparatoires au XIIIe congrès de la LCR, qui se tiendra du 29 janvier au 1er février prochain. Les trois positions en présence au sein de la direction de la Ligue s’expriment ainsi directement par le biais de ces tribunes. Ce congrès doit débattre de la nouvelle situation politique ouverte par les législatives du printemps dernier et de la politique par laquelle la Ligue entend y répondre, ainsi que des changements à apporter au fonctionnement de l'organisation. Cette dernière discussion avait été initiée lors du précédent congrès et l'actuel débat préparatoire se voit donc soumettre une série de propositions de réforme des statuts, l'une d'elles portant sur le changement de nom de l'organisation (voir page 13 pour ce point particulier).
Position A - Leçons du mouvement des chômeurs
Il est rare qu'un mouvement social apparaisse si bien relever de la nécessité. Il était nécessaire que les sans-emplois sortent de l’invisibilité politique. Pour que le chômage, la précarité et la détresse cessent d'être vécus comme des hontes, puisque ce sont des injustices, les produits de choix sociaux.
Il était nécessaire que la (non) méthode de Jospin soit bousculée. Parce qu'on ne peut pas, dans le même temps, tenir un discours humaniste, de gauche, et servir le libéralisme : prétendre lutter prioritairement contre le chômage, promettre une loi des 35 heures, et s'accrocher à Amsterdam, l’euro, les équilibres budgétaires, les exigences patronales…
Et si ce mouvement était nécessaire, aussi, à l'échelle modeste de nos propres préoccupations, pour nous aider à vérifier nos choix politiques ?
Nous constatons une nouvelle fois, mais de façon encore plus dramatique, que les débats du libéralisme sont terribles, et en même temps qu'ils ne sont pas encore subis comme une fatalité implacable. L'espoir existe d'une possibilité autre, qui appelle la révolte. Et c'est dans ce type de rapports de forces que s'inscrivent la majorité plurielle et son gouvernement, confrontés, pour la première fois avec une telle force, à une mobilisation si populaire.
La dynamique présente de cette mobilisation ni vise ni à les « aider » ni à les faire chuter, elle exige. Elle sent que, face à elle, la gauche ne peut rester impavide, et elle ne s'en laisse pas conter sur les prétendus « contraintes » qui servent d'alibis à sa politique. A l’antienne, « face à la mondialisation, au patronat, nous ne pouvons faire plus, c’est à vous de vous mobiliser », la réponse est venue : « la mobilisation, vous l'avez, alors faites ! »
Féconde dialectique, qui nous mène loin des schémas simplistes. Par exemple ceux qui, sur la base du constat que le gouvernement applique la politique voulue par le patronat, concluent qu'il ne reste qu'à le dénoncer, et voient dans la volonté de faire jouer les contradictions de la gauche gouvernementale une pure adaptation !
Faire de la politique aujourd'hui, c'est-à-dire vouloir être utile et efficace dans la défense des intérêts du plus grand nombre, c'est prendre en compte les spécificités de la situation dans laquelle nous sommes. Pour gagner des avancées avec le mouvement social, et non pas compter les points en attendant les trahisons qui n'entraînent que démobilisation.
Cela oblige à remettre en cause bien des habitudes, des discours, des modes d'intervention hérités des périodes politiques antérieures. Et aussi, plus difficile encore, ce qu'est la réalité de notre organisation.
On se mettra assez vite d'accord qu'il nous faut proposer la bonne analyse, la bonne ligne, les bons mots d'ordre pour faire notre travail militant, et que cela ne suffit pas : il faut aussi s'inscrire dans des dynamique souvent inédites. Mais considérons-nous que notre organisation, par son nom, ses modes de fonctionnement, ses critères d'adhésion et de débat est en phase avec les nouvelles coordonnées politiques, les aspirations et attentes de celles et ceux qui sont prêts à s'engager politiquement ? Disons : imparfaitement (pour le moins) !
Voilà où les nécessaires réformes organisationnelles rejoignent les questions d'orientation politique. Pour que nombre de militants actifs dans le mouvement des chômeurs, dans la lutte pour les 35 heures ou contre les lois Pasqua et Chevènement puissent prendre leur place dans notre organisation pour l'enrichir comme intellectuel collectif, pour en faire un meilleur instrument des futures recompositions.
Quant à ceux qui disent « d'accord pour changer, mais pas maintenant, pas de cette façon », craignons qu'ils laissent passer le moment. La rapidité des évolutions politiques témoigne que le temps ne nous est pas donné à discrétion. Refuser les changements proposés, c'est laisser les choses en l'état, c'est-à-dire en mauvais état.
Cessons de caresser un souhaitable lointain, alors que l’heure est à l’urgence du nécessaire !
Alain Mathieu, Francis Sitel
Position B - Un congrès lourd de dangers !
À quelques jours des derniers congrès locaux, les enjeux du débat apparaissent clairement. Sur le plan politique, les carences de l'orientation majoritaire s’expriment de manière lumineuse dans le cadre de la formidable mobilisation des chômeurs. Depuis l'ouverture du débat, nous ne cessons de critiquer l'orientation de la direction à l'égard du gouvernement qui nous paraît opportuniste. Beaucoup de camarades, de lectrices et de lecteurs de Rouge, ont pu croire que nous exagérions, que nous portions le trait dans la critique ou que nous poussions mémé dans les orties. Et ce d'autant plus que dans la mobilisation des chômeurs, l'ensemble des militantes et militants de l'organisation directement investis dans cette mobilisation se retrouvaient sur une orientation commune consistant notamment à amplifier la mobilisation, des occupations, à faire le lien avec l'ensemble des salariés de manière à créer le rapport de force nécessaire pour imposer au gouvernement la satisfaction des revendications des chômeurs.
Mais le problème ne se situe pas à ce niveau-là. Il réside dans le fait qu'au moment le plus fort de la mobilisation la direction de la LCR titrait en une de Rouge « Cap à gauche, Jospin », qu’elle faisait inscrire sur la banderole de la LCR pour la manif parisienne de samedi dernier « A gauche, la gauche », que le titre du tract diffusé était « Jospin, la méthode n’est pas bonne ». De même, aucun slogan mettant clairement en cause Jospin et sa politique ne ponctuait le cortège de la LCR alors pourtant que des pans entiers de la manifestation scandaient « Jospin doit céder ». De même, le refus d'avancer la revendication des 32 heures, sous prétexte que le parlement va prochainement discuter de la loi Aubry sur les 35 heures, revient à mettre la LCR à la traîne de plusieurs organisations syndicales dont les banderoles revendiquaient cette exigence.
Nous n'allons certes pas restreindre le débat de congrès aux textes d'une banderole, au titre des tracts et de Rouge ou aux slogans criés dans une manifestation. Mais il faut pourtant bien comprendre qu'il s'agit là non pas d'une erreur ponctuelle mais de la concrétisation pratique d'une orientation politique générale vis-à-vis du gouvernement Jospin. Une orientation qui consiste à interpeller systématiquement le gouvernement pour qu'il cesse d'être prisonnier des pressions du patronat et des contraintes européennes. Mais Jospin n'est prisonnier de personne. En France, comme dans tous les pays en Europe où elle est au gouvernement, la social-démocratie mène une politique de gestion loyale de l’économe capitaliste et pour ce faire n’hésite pas à en faire payer le prix aux travailleurs.
Nous devrions au contraire mettre en œuvre une orientation qui stimule la défiance à l'égard de la politique de ce gouvernement et des partis qui le composent ce qui est indispensable pour le développement des mobilisations aujourd'hui et demain contre les mauvais coups actuels et à venir de ce gouvernement.
Sur les questions organisationnelles, le débat montre qu'il est encore possible de mettre en échec la tentative de transformer l'instance de base de l'organisation de cellule en section. Il ne s'agit pas de querelles de mots ou de quelque chose qui n'aurait guère d'importance puisque nombre de petites villes fonctionnent en cellule-section. Le problème de ce changement, c'est qu'il propose de définir l'instance de base de l'organisation non plus en fonction de la discussion, de la maîtrise, de la collectivisation et de la prise en charge de l'intervention des militants mais en fonction de critères de discussion, de débats généraux. D’où logiquement d’ailleurs la proposition de fixer le rythme des réunions à une par mois.
Enfin, le débat sur la question du changement de nom fait apparaître à l'évidence que les conditions ne sont pas réunies pour que le congrès puisse prendre une quelconque décision. Les motivations de celles et ceux qui préconisent un changement de nom sont extrêmement diverses, comment en témoigne d'ailleurs la profusion des noms proposés aux militants. Certains, font même de cette question l'enjeu essentiel de ce congrès, car le changement de nom serait censé donner un signe fort à l'extérieur de la volonté de la Ligue de changer. Mais s'agit-il de changer de look ou de rompre avec le projet de construction d'une organisation révolutionnaire indépendante, le changement de nom n'étant que la première pièce du puzzle ? Mieux vaudrait alors avoir le débat sur le fond plutôt qu'au travers du changement nom.
Position C - Maintenir le cap contre vents et polémiques
À la veille des derniers congrès locaux, revenons sur plusieurs questions qui, par-delà les arguments polémiques souvent médiocres qui nous furent opposés, recèlent des enjeux d'importance pour les deux prochaines années. La situation politique et sa dimension économique d'abord. On nous accusait volontiers de sous-estimer le caractère explosif de la situation, « effet différé », selon la position A, des luttes du secteur public en novembre-décembre 1995… Vendredi dernier encore, l'on nous annonçait une « déferlante » pour les manifestations du lendemain contre le chômage. Et bien, les faits nous donnent raison, confirmés qu'ils sont par les statistiques du ministère du travail et de la solidarité sur les conflits dans le secteur privé en 1996, en net recul par rapport à 1995 bien sûr mais surtout à leur plus bas niveau… depuis 1975. Pour ce qui concerne la situation économique, importante pour apprécier les marges de manœuvre dont dispose le gouvernement, nous livrerons quelques citations éclairantes du supplément économique du journal Le Monde, en date du 20 janvier 1998. Nous ne sommes pas les seuls en effet à ne pas sacrifier à la pensée unique de la catastrophe qui vient. « Au total, la production industrielle a augmenté de 6,5 % depuis un an, et le PIB croît à un rythme annuel de l'ordre de 3,5 % depuis le printemps. Une autre bonne nouvelle est la progression substantielle du pouvoir d'achat en 1997 : environ 2,5 % (…). Nous sommes actuellement entre la deuxième et la troisième phase (de la reprise, après : 1. Les exportations, 2. La demande intérieure et enfin 3. Les premiers effets sur le chômage, NDLR) : le chômage est globalement stable mais a commencé de baisser pour les jeunes. (…) l’Europe continentale a des chances d'être moins touchée (par la crise asiatique, NDLR) parce qu'elle est en phase de généralisation de la reprise et que la vitesse acquise dans plusieurs pays a un effet d'entraînement sur l'ensemble de la zone ». Ajoutons, l'affaire n'ayant pu échapper à nos critiques, que la dette publique américaine s'est éteinte avec 2 ans d'avance sur ce qui était prévu par l'administration Clinton que d'aucuns jugeaient déjà fort improbable. Après cela, que l'on vienne nous parler de simples fluctuations conjoncturelles relève d'une facilité qui masque mal le refus de regarder en face la réalité comme lorsque l'on prédisait, contre ce que nous affirmions, l’impossibilité que l'euro se fasse à la date prévue avec une corbeille large d'États membres qualifiés dont l’Italie bien sûr. Nous devons en tirer au contraire argument, parce qu'il est fondé, pour exiger la satisfaction des revendications des salariés comme des exclus, l'État, l'Union et le patronat pouvant payer, tout l’indique.
Point besoin en tout cas d'apporter même involontairement de l'eau au moulin à paroles gouvernemental quand il essaie de convaincre l'opinion qu'il navigue sans marge dans un rail étroit corseté par les impératifs de la monnaie unique. Point besoin non plus de s’embarquer sans réfléchir dans une campagne pour un référendum qui porterait, s'il devait avoir lieu, non sur le Pacte de stabilité, mais sur les « abandons de souveraineté » relevés par le Conseil constitutionnel. La campagne du PCF et du MDC à ce propos ne laissant aucun doute quant à son orientation fondamentalement nationaliste. Nous lui préférons une bataille pour une autre Europe qui s'appuie sur le début d'affirmation d'une conscience sociale européenne, mise en exergue par les manifestations convergentes sur ce point d'Amsterdam et de Luxembourg. Deux logiques, deux orientations en pratique contradictoires.
Reste enfin, la résistance manifeste dans les rangs de la LCR non point aux changements nécessaires mais à l’à-peu-près d’un changement de nom sans réelle justification, lourd de dangers sous-jacents quant à notre identité, voire à notre unité. Une résistance qui en dépit du matraquage de Rouge se confirme, s’amplifie et nous ravît. Bien sûr, une défaite de la position A sur ce point cardinal, parce qu'elle l'a voulue ainsi, ne réglerait rien sur le fond de l'orientation à mettre en œuvre mais au moins lèverait-elle l’hypothèque majeure qui pèse sur ce XIIIe congrès hâtivement convoqué avec ce seul objectif. Employons-nous y en votant la question préalable soutenue par les positions B et C : il n'y a pas lieu de changer de nom actuellement.
Changer le nom de la LCR ? Et le remplacer par quoi ?
Les contributions concernant le changement de nom de la LCR - ou son maintien - se sont succédé. Après les GDR, PSR, ADS, jongleries et LCR, LC et… L, voici la LRC, et puis encore cette L tenace. Ce débat est nourri tant par les membres de notre organisation que par nos amis, lectrices et lecteurs. Nous avons reçu un courrier trop volumineux pour tout publier. Nous ferons, dans le prochain numéro, au mieux pour compléter l'éventail des propositions, des argumentations, sans probablement pouvoir toutes les passer en revue dans ces colonnes.
LCR. - Nous ne pouvons clarifier notre « raison d’être » par le seul nom de l’organisation. Combinons donc au congrès plusieurs facettes de notre identité.
1. Nous œuvrons à la construction d'un parti large qui n'accepte pas l'adaptation « réaliste » à la dictature du marché et du profit. N'anticipons pas par des changements de notre nom ce que pourrait être celui de ce futur parti… Mais une résolution du congrès en direction des courants radicaux et démocratique venant du PS, du PC, des mouvements sociaux et associatifs, des Verts, de l'extrême gauche peut réaffirmer cet objectif.
2. Pour porter nos campagnes larges, nous pouvons changer le nom du journal. Pourquoi pas Solidarités ou PLUS (Pour les luttes et la solidarité…) ?
Le nouveau nom du journal pourrait ainsi devenir aussi celui des cercles de sympathisants, et encore le cycle permanent de nos campagnes.
3. Nous représentons aussi un courant dont l'identité est liée au projet communiste, émancipateur. Ce projet est porteur, nous le répétons assez contre Courtois - d’une critique radicale interne contre tous les moyens qui ont détourné de cet objectif.
Il est vrai que ceci est compliqué à faire entendre.
Premièrement, car il y a identification massive de « communisme » à ce qu’a été l'URSS stalinisme - mais la chute de ce régime facilite aussi la critique de se passé-là comme non communiste.
Deuxièmement, car la réévaluation nécessaire du passé bolchevique et, au-delà, les débats de « refondation » d'un projet social alternatif sont encore à l'état d'ébauche. Mais cette mise à plat programmatique et théorique fait partie de nos tâches - et le demeurera au sein de tout regroupement.
Alors, continuons à être la Ligue - pour une refondation communiste (LRC).
Il y a ailleurs d'autres « refondateurs » ? Nous ne revendiquons aucun monopole.
Est-ce que ce nom peut laisser croire que nous privilégions le regroupement de ceux qui se disent communistes ?
Toute notre orientation publique en faveur d'un pôle radical large recomposant la gauche indique le contraire.
Catherine Verla
La Ligue. - Il y a beaucoup de partis, mais il n'y a qu'une seule Ligue…
« La Ligue », c'est son petit nom, c'est son histoire, c'est sa place. Pour ceux qui la connaissent, la Ligue, c'est un programme, c'est la preuve vivante que son « communisme révolutionnaire » n'est pas la nostalgie du stalinisme.
Et si ceux qui ne connaissent pas encore « la chose » peuvent s’arrêter sur son nom, ce n’est pas qu’elle s’appelle « Ligue », mais parce qu’elle trimbale un qualificatif qui fleure bon son « PC orthodoxe » plutôt que le trotskisme et les mouvements sociaux ! Enlevez ce voile, cet obstacle qui contribue à ce que la Ligue soit vécue (et se vive aussi dans une certaine mesure) en référence au PC (au pire comme plus sectaire, au mieux comme plus radicale). Dites la Ligue pour l’égalité, ou la Ligue pour la démocratie et le socialisme, etc. Mais dites encore « la Ligue ».
Ce serait un bien mauvais compromis de maintenir le « CR » en gage de fidélité, tandis que la suppression du « L » viendrait soulager l’attente du changement…
La fidélité, la continuité de son combat sont concentrées dans son petit nom, celui qui sonne affectueusement dans la bouche de ses amis et qui marque toujours une pointe de respect dans la bouche de ses adversaires : la Ligue.
Le changement de nom (qui a une portée très importante) n’est pourtant pas une recomposition : la Ligue reste la Ligue, la Ligue évolue et c’est encore la Ligue.
Ne touchez pas à « la Ligue », ne bradez pas la marque aux contrefacteurs !
N. Jeanson
France Inter : 30 janvier 1998
Q. - Qu'en est-il aujourd'hui de la Ligue communiste révolutionnaire ? La LCR, qui tient son congrès à Aubervilliers jusqu'à dimanche. Ce mouvement trotskiste enfanté sur les barricades de mai 1968 a souvent été le détonateur de crise sociale. Ces dernières années, les grèves de décembre 1995, les manifestations de sans-papiers, celles des mal-logés, aujourd'hui le mouvement des chômeurs. Mais s’agissant de ce dernier événement, sont-ce les chômeurs qui ont besoin de la Ligue communiste révolutionnaire ou la LCR qui souhaite attirer les animateurs de ces mouvements sociaux au sein de son organisation. Trente ans après sa création, c'est une des questions que pose le congrès de la LCR dont vous êtes aujourd'hui le porte-parole, A. Krivine.
Vous avez entendu comme nous tous, tout à l'heure, peut-être S. Rozès du CSA qui s’interrogeait sur qui anime qui - sinon qui manipule qui ?
R. - Je crois qu’il ne faut pas voir tous ces mouvements sociaux et surtout depuis 1995 en termes de manipulation. Je sais que c'est assez classique. Chaque fois qu'il y a un mouvement qui titille un peu une autorité que ce soit un gouvernement ou une direction syndicale, on essaye de voir une espèce de complot machiavélique. Moi, je crois que d'abord, à la base de ces mouvements sociaux, en 1995 cela a été la révolte de la fonction publique, aujourd'hui c'est la révolte des chômeurs tout simplement parce que les chiffres sont là. Il y a maintenant la moitié des chômeurs qui ne reçoivent plus rien et une bonne partie de ceux qui reçoivent quelque chose qui théoriquement doivent vivre avec 2 000 ou 3 000 francs, ce qui est impossible. Donc, c'est la base de la révolte. Alors après, on s'étonne de trouver des militants politiques, peu nombreux d’ailleurs…
Q. - Mais souvent trotskistes quand même ! Ce sont quoi des agitateurs d’idées avant d’être des agitateurs de rue ?
R. - Je poserais plutôt la question inverse, je trouve qu’il n’y a pas assez de militants des autres partis de gauche parce que théoriquement, quand on est dans un parti politique qui se dit de gauche, ce n’est pas pour se regarder le nombril dans des réunions internes. Cela, c’est des sectes ! Au contraire, c'est de mettre son intelligence, ses capacités au service du mouvement. Moi, je trouve que le reproche que l'on pourrait faire et c'est peut-être cela qui discrédite la gauche traditionnelle, c'est qu'il n'y a pas assez de militantes et de militants de gauche avec les chômeurs, avec les sans-papiers ou de dirigeants syndicalistes. Je crois que Madame Notat, par exemple, devrait être dans le mouvement au lieu de l’attaquer.
Q. - Est-ce qu'il y a un lien entre ce qui se passe dans la rue et les mouvements politiques en général. Au fond, est-ce que ce ne sont pas les chômeurs qui sont devant vous, là ?
R. - Je crois qu'il y a un lien qui va dans les deux sens, à savoir que les militants politiques - je l'ai dit, tout à l’heure - essayent de mettre leur expérience au service de mouvement et en même temps, ils apprennent énormément dans le mouvement. Je ne veux pas jouer au vieux combattant mais en 1968, on a appris énormément et par la suite, dans tous les mouvements sociaux, on apprend. Par contre, je crois qu'il y a une particularité dans la vie politique française, c'est que l'on a depuis deux ou trois ans ce que l'on appelle un nouveau mouvement social. C'est un petit peu le mouvement des « sans », c'est-à-dire les exclus. Il n'y a pas que Chirac qui en parle - enfin, lui il n'a fait que en parler. Aujourd'hui, on a dans un pays qui se dit civilisé des gens qui n'ont pas de toit, qui n'ont de travail, qui n'ont pas de papiers et on a la révolte de ces gens-là.
Q. - Mais il y a une traduction politique ou pas ?
R. - Voilà, c'est le problème. J'ai toujours dit que l'on avait un mouvement social qui se trouve orphelin d'un débouché politique. Il y a une espèce de coupure entre ce mouvement social qui éventuellement, lorsqu'il y a des élections on va voter à gauche - et c'est pour cela d'ailleurs que L. Jospin devrait bien écouter ce que dit ce mouvement social. Mais les partis de gauche apparaissent de plus en plus comme des espèces de réceptacles électoraux et rien de plus pour le mécontentement social. Et on a un petit peu ce mouvement social qui, comme l'a dit S. Rozès, ne voit aucun inconvénient à voir des militants d'extrême gauche ou des Verts dans ses rangs mais quand arrivent les élections, ces gens disent : on va voter pour les grands partis de gauche parce qu'il s'agit de battre la droite ; et souvent, on nous doit même à l'extrême gauche : ne vous présentez pas, ce n’est pour vous ! C’est trop salissant ! Laissez les grands partis de gauche, ils sont là pour battre la droite, battre l’extrême droite électoralement.
Q. - D'ailleurs, c'est une de vos faiblesses. Au fond, vous n'avez jamais été très présent structurellement. La LCR a toujours été plutôt une boîte à idées pour la gauche mais pas tellement un mouvement politique organisé ? C'est un peu de votre faute au passage !
R. - Ce qui est vrai, c'est que jusqu'à présent, à la LCR, on a été beaucoup plus à l’aise dans les mouvements sociaux que dans les urnes et dans les élections. Mais je crois que c'est une faiblesse et on est en train d'en discuter à notre congrès parce que je crois qu'il faut être capable de faire les deux, c'est-à-dire à la fois, bien sûr, et c'est prioritaire, être complètement dans le mouvement social et l'aider au maximum et en même temps, essayer de lui donner une traduction politique. Et c'est un des buts du congrès aujourd'hui, c'est d'essayer de répondre, je crois, à une aspiration qui existe dans ce pays. Vous avez des centaines de milliers de gens qui ne se reconnaissent plus dans le parti communiste et le parti socialiste, qui votent pour, voir même qui y adhèrent mais qui souhaitent qu’il y ait une espèce de…
Q. - Vous parlez de la gauche capitaliste, là ?
R. - On parle de gauche plurielle mais en fait, il y a deux courants qui ont toujours existé dans la gauche. Il y a un courant qui essaye, dans le cadre des lois du marché et du capitalisme, de faire un peu de social, cela a été le cas du parti socialiste et cela l’est encore. Et puis, il y a toujours eu un courant, sans mettre d'étiquettes, qui n'accepte pas ces lois et s'appuie sur le mouvement social, essaye d'être en rupture un petit peu avec ces lois qu'on nous dit lois d’airain. Le but aujourd'hui est d'essayer de rééquilibrer au sein de la gauche cette force radicale, écologiste, anticapitaliste face à l’autre.
Q. - Et comment ? Avec le parti communiste, avec les Verts, par exemple ?
R. - Je ne mettrai pas d'étiquette. D'ailleurs, c'est intéressant de noter que tous ces partis sont à notre congrès, comme observateurs. On est assez contents.
Q. -Il y a les socialistes qui vous regardent en ce moment ?
R. - Qui nous regardent et qui sont d’ailleurs au congrès. Il y a aujourd'hui aussi bien dans le parti communiste, dans le parti socialiste, chez les Verts et surtout ailleurs, dans le mouvement social, dans le mouvement syndical, des dizaines de milliers de gens qui seraient prêts à se rassembler pour créer ensemble une nouvelle formation politique, une nouvelle gauche, une gauche radicale qui ne capitule pas - féministe, écologiste. Nous n'avons pas du tout la prétention de représenter cela - ce serait stupide de notre part -, mais on a la modeste prétention de dire que le moment est venu de lancer un appel pour commencer à rassembler cette gauche radicale qui existe potentiellement en constatant que l'autre gauche, cette gauche réformiste, est satellisée par le parti socialiste. Il faut faire le contrepoids maintenant.
Q. - Les mots ont toujours un sens. Il paraît que l'une des réflexions à laquelle vous vous ouvrez porte sur les termes. Vous voulez enlever « ligue » et « communiste ». Il ne restera que révolutionnaire, ce n'est pas indifférent.
R. - Le débat n'est pas là. Je crois qu'il y a un débat sur le communisme. Moi, je pense que le communisme représentait et représente toujours, au niveau de son véritable contenu, une idée, une perspective sociale qui a fait vibrer, à juste titre, des millions de gens. La Commune de Paris, Che Guevara, se réclamaient du communisme.
Q. - Le bilan étant fait, quand même, du communisme !
R. - Malheureusement, on est obligé de tenir compte, parce qu'il faut vivre les pieds sur terre, que pour la plupart de nos concitoyennes et concitoyens, le communisme est associé à ce qui a été finalement sa caricature atroce le stalinisme c'est-à-dire les camps, la répression, l'absence de démocratie. Du coup, le communisme a été sali par des gens qui se réclamaient du communisme. On doit donc tenir compte qu'il a été sali. Il y a donc un débat qui a lieu aujourd'hui dans la Ligue et qui va être tranché dimanche. Ce n'est non pas d'abandonner nos idées mais de voir justement, si pour faire passer encore plus facilement nos idées, c'est-à-dire notre bataille pour une nouvelle société, il ne faut pas changer de mots pour être mieux compris.
Q. - Qu'est-ce que vous mettez dans le mot révolution aujourd'hui, puisque ce mot-là vous voulez le garder ?
R. - Révolution, pour beaucoup de gens, c'est la violence, etc. Pour moi, c'est révolutionner la société, c'est-à-dire considérer que l'on vit dans une société qui est complètement à l'envers, la mettre à l'endroit et au lieu d'avoir tous les matins le bulletin de santé de notre société qui est comment va notre CAC 40, notre indice Nikkei ou notre Dow Jones, de savoir combien il y a d'instits en plus, combien d'école en plus, combien il y a de musées en plus. Je crois que cela, c'est une conception complètement différente de la société. Il faut mettre une société au service des gens et pas de la Bourse.
Q. - À 17 heures, hier, sur l'antenne de France Inter, D. Mermet posait une assez bonne question. Où sont passés les chômeurs ? On ne les voit plus, on les entend plus ?!
R. - On les entend encore. Ils ont occupé, hier, EDF. Ils occupent plusieurs villes. Je crois que c'est un mouvement permanent qui ne prendra pas toujours des formes de grandes manifestations. C'est déjà tout à fait nouveau que les chômeurs s'organisent parce qu'avant, ils ne s'organisaient pas du tout. Un chômeur reste chez lui, il est culpabilisé. Parfois, il n'ose pas le dire à sa femme ou à son mari qu'il est chômeur. C'est déjà bien qu'il commence, même de façon marginale, à s'organiser. Je crois que maintenant, cela va durer. Il va y avoir une montée nationale des chômeurs début mars sur Paris. Si le gouvernement ne répond pas à leur volonté, je crois qu'au contraire, le mouvement va se radicaliser maintenant, tout simplement parce que les chômeurs ne peuvent plus vivre.