Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RMC le 17 novembre 1999, sur les affaires touchant le PS notamment la démission de Dominique Strauss-Kahn, la réforme de la justice et les relations entre le président de la République et le Premier ministre.

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Q - Je voudrais votre sentiment sur des résultats qu'on connaît déjà un peu en nuance, puisqu'ils vont être publies demain. Il s'agit de l'enquête parlementaire sur le fonctionnement des forces de sécurité en Corse depuis 1996. Je dois dire qu'on tombe un peu de l'armoire, en lisant cela.

- "Il est clair que le dossier corse est victime de la mal gouvernance depuis un certain nombre d'années. En ce qui concerne cette mal gouvernance le Gouvernement Jospin, avec le préfet Bonnet, a atteint des sommets. Je compte beaucoup sur ces rapports parlementaires pour qu'un effort de lucidité puisse conduire à des changements de comportements ainsi qu'à des changements de méthode. La méthode Jospin, je crois, est comme sa majorité, c'est-à-dire quelque peu confuse."

Q - C'est partagé. De 1993 à aujourd'hui, il y en a pour tout le monde.

- "Je ne crois pas. On a quand même atteint les sommets avec les paillotes. Là, c'était assez inimaginable. Mais disons que la mauvaise gouvernance de ce dossier date en effet d'un certain temps, mais nous avons atteint les sommets."

Q - Sur le Pacte civil de solidarité, dit le Pacs, qui est donc devenu depuis hier matin loi de la République, et donc applicable, est-ce que, si les électeurs le décident et vous remettent au pouvoir, vous reviendrez sur cette loi, ou bien comme d'autres, elle restera acquise ?

- "Nous apprécierons le moment venu en fonction des premières expériences et des éventuelles dérives, mais je n'ai pas une opposition hostile de départ. Il faut accepter cette loi qui a été votée. Elle est ce qu'elle est. On a pu la contester. Il faut maintenant voir son application et juger sur son application. Ayons donc une attitude d'ouverture de départ, et apprécions la situation."

Q - Une affaire qui intéresse tout le monde, maintenant : le Parti socialiste a donc décidé hier en bureau national d'adopter le principe selon lequel, lorsqu'un de ses responsables sera mis en cause ou mis en examen sur une affaire jugée grave, cette personne devra se mettre en réserve du parti, et s'il n'en comprenait pas la nécessité lui-même, les instances nationales se chargeraient de prendre cette décision à sa place. N'est-ce pas un choix que vous pouvez juger bon pour tout le monde, c'est-à-dire pour votre camp aussi ? N'est-ce pas indispensable, décisif ?

- "C'est d'abord pour moi un aveu. Il y a quelques jours, on nous disait que la Mnef ne concernait pas le PS. Je vois que le PS prend des mesures. Cela veut bien dire que là, il se sent concerné. La démarche est bonne, mais le PS a quand même mis six ans à accepter la jurisprudence Balladur, règle proposée par ce dernier et qu'il a d'ailleurs lui-même appliquée, comme beaucoup de gens dans l'opposition. La généralisation de cette démarche est bonne. Elle devrait progressivement s'étendre à toutes les sphères de la politique."

Q - Mais pourquoi alors les partis de l'actuelle opposition n'ont-ils pas adopté eux-mêmes la jurisprudence de monsieur Balladur ? Vous avez accusé le PS d'avoir attendu six ans alors qu'il y en a qui attendent plus encore.

- "Monsieur Longuet l'a appliqué, Monsieur Roussin aussi."

Q - Je parle des partis, Monsieur Raffarin.

- "Mais les hommes politiques sont membres de partis, donc ceci est la même chose. Il faut généraliser. Mais, d'une manière générale, il faut rénover la politique. Les partis politiques doivent se transformer profondément. Dans cette nouvelle rénovation des partis politiques, dont la démocratisation est une des étapes très importantes, cette transparence-là est nécessaire. Cela va dans la bonne direction."

Q - Monsieur Tiberi peut-il être candidat de l'actuelle opposition à Paris ?

- "Les partis n'ont pas à être des juges. La justice doit pouvoir exercer ses propres démarches et pouvoir conclure elle-même, non pas transférer à des structures politiques la responsabilité du jugement. En tout état de cause, par attachement à la démocratie, je crois que tout candidat à des élections municipales devrait être désigné par les électeurs d'abord. Je propose donc que pour toutes les grandes villes, il y a des conventions d'investiture locale qui désignent les candidats. En tous les cas, pas d'investiture qui vienne d'en-haut ou qui ressemble à de la cooptation, mais des investitures qui viennent d'en-bas, désignées par les gens du terrain, les habitants de la ville, ceux qui doivent participer à la démarche démocratique."

Q - Y a-t-il un risque que la réforme constitutionnelle portant sur la réforme de la justice ne soit pas votée le 24 janvier prochain ?

- "A ce jour, mon pronostic reste en effet réservé. Il faut une majorité - les trois cinquièmes -, c'est-à-dire qu'il faut qu'une copie vaille douze sur vingt. Aujourd'hui, la copie du Gouvernement vaut à peine la moyenne. Les conditions à ce jour ne sont donc pas remplies pour qu'il y ait une majorité au Congrès. Le Gouvernement doit faire des efforts pour convaincre les trois cinquièmes et obtenir cette note de douze sur vingt, qu'il n'a pas aujourd'hui, sur sa copie concernant la réforme de la justice."

Q - Quelle est la chose qui vous paraît absolument indispensable ?

- "Il faut pouvoir rassurer l'ensemble des majorités de l'Assemblée et du Sénat sur le fonctionnement de la justice et sur l'éthique de rigueur qui doivent s'imposer dans toutes les relations entre le Gouvernement et les instances judiciaires. Il n'y a pas aujourd'hui toutes les garanties pour un bon fonctionnement. Le Gouvernement a donc encore quelques semaines pour améliorer sa copie. Cela me paraît nécessaire. Mais aujourd'hui, mon pronostic reste très réservé."

Q - Vous avez fait partie d'un gouvernement et vous savez bien comment un gouvernement fonctionne. Est-ce que le départ de D. Strauss-Kahn, qui a eu une réussite technique évidente, comporte des conséquences politiques pour l'ensemble du Gouvernement et pour la gauche plurielle au pouvoir ?

- "Oui, cela à plusieurs conséquences importantes. D'abord, cela tire probablement le Gouvernement sur sa gauche. Cela montre aussi, au fond, que l'atout numéro un du Gouvernement Jospin lui est extérieur. L'atout numéro un du Gouvernement Jospin, c'est la croissance. Et cette croissance n'est pas un fait politique."

Q - J'en connais qui avaient cassé la croissance, il fut une époque.

- "Il y en a un qui avait qualifié la France pour Maastricht. Il ne faut pas confondre. Ce qui me paraît très important aujourd'hui, c'est de voir que l'on fait un événement politique de la démission de Monsieur Strauss-Kahn, et que le soir même, la bourse augmente. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l'économie a quitté la politique, que la croissance est extérieure aujourd'hui à la politique, et que ce qui se passe de bon en France aujourd'hui n'a pas comme source l'action gouvernementale. Le départ de Monsieur Strauss-Kahn concomitant avec un record à la bourse, cela montre bien qu'aujourd'hui, l'économie se fait en-dehors de la politique. Et d'ailleurs, heureusement, parce qu'avec la politique qui est menée par le Gouvernement, nous n'aurions pas cette dynamique économique. C'est donc cela qui est le plus important aujourd'hui dans le départ de Monsieur Strauss-Kahn. Ce qui révèle des choses importantes, c'est que, le Gouvernement Jospin aujourd'hui ne traite pas les dossiers de fond, et que lorsque l'on sera en situation de croissance ralentie, ni les problèmes de retraite, ni les problèmes de dynamique économique, de performance des entreprises, ne seront résolus."

Q - Il fut un temps où la politique de la France ne se faisait pas la corbeille. Vous vous souvenez de ce temps-là ?

- "Je m'en souviens très bien. Mais c'est quand même la première fois que la bourse bat un record le jour d'un départ d'un ministre de l'économie. C'est quand même la première fois qu'on montre bien que l'économie et la politique sont très séparées."

Q - Les Français, vous le savez, continuent de soutenir le Gouvernement Jospin. Croyez-vous que vous ébranlerez cette confiance ?

- "Le débat Chirac-Jospin évolue dans la bonne direction. Au fond, il apparaît assez clairement que c'est le débat entre l'ambition et la sagesse."

Q - De quel côté est la sagesse ?

- "L'ambition, on le voit, c'était l'exigence de Monsieur Jospin, contre le calme de Monsieur Chirac. Or, le temps est l'adversaire de l'ambition mais l'allié de la sagesse. Au fond, L. Jospin est entré dans une phase d'usure. On le voit et on le ressent. Il perd quelques fois son calme. On voit sa thématique aujourd'hui gagnée par l'impuissance politique. On voit qu'il reporte un certain nombre de réformes, qu'il passe beaucoup de temps à arbitrer entre ses différents ministres, à essayer de rendre sa majorité cohérente. Aujourd'hui, la machine Jospin tourne au ralenti. Elle n'a pas la puissance initiale parce qu'elle est gagnée par l'usure. Dans ce match Jospin-Chirac qui s'annonce, je pense que dès aujourd'hui les experts politiques peuvent raisonnablement désigner Monsieur Chirac comme probable vainqueur."