Texte intégral
Après tant de silence, les réactions contre le projet Debré, pétitions et manifestations, en dépit de certaines maladresses ou excès, font chaud au cœur. En rompant le cercle vicieux qui interdisait toute position sous prétexte de « ne pas faire le jeu du Front national », la société française sort enfin du blocage. Et apparaît une occasion historique pour sortir d’un faux débat inventé par Jean-Marie Le Pen.
Depuis quinze ans, le Front national avait réussi ce tour de force qui consiste à créer le débat autour d’un thème posé par lui, et dans les termes qu’il a choisis. Tous les partis politiques se sont privés de leur liberté de parole et d’action. Soucieux de ne pas aller à l’encontre de leurs électeurs, ou de les ménager, les responsables politiques opposés à la question de l’immigration le silence où l’accommodation. Parfois, plus cyniquement – Et François Mitterrand en fut le maître – on est allé jusqu’à instrumentaliser le FN dans le débat de gauche-droite. L’erreur d’analyse politique s’ajoutait à la faute morale.
Désormais, un verrou à sauter. Après trop de passivité, la réaction au projet Debré représente plutôt une bonne nouvelle, un état d’esprit plus serein va s’instaurer.
Il faut en finir avec les fantasmes sur les flux migratoires et la prétendue « invasion », en face de laquelle le concept pasquaïen d’« immigrations zéro » n’est qu’une publicité mensongère. La maîtrise des flux migratoires s’impose à tout gouvernement, mais elle est déjà largement atteinte.
Il faut en finir avec la désignation des immigrés comme responsable du travail illégal, alors qu’existent de véritables filières, dans lesquelles les étrangers sont minoritaires et surtout concentré dans des secteurs bien identifiés. Au lieu de s’attaquer aux effets, mieux vaudrait se concentrer sur les causes.
Il faut en finir avec l’inflation législative et une logique exclusivement restrictive et répressive qui, en manipulant les symboles censés répondre à l’état de l’opinion, ne fait que renforcer un arsenal inadapté et inefficace. Sous prétexte de protéger l’immigration régulière, on transforme chaque étranger en bouc émissaire.
Quel paradoxe de légiférer pour aboutir à des situations qui, du fait même de la loi, créent du non-droit ! À quoi peut bien servir, alors même qu’on encourage les jeunes Français à s’expatrier, un dispositif qui empêche étudiants et chercheurs étrangers de se rendre en France ? Au nom de quelle politique familiale peut-on concevoir de séparer un enfant né français de ses parents vivant déjà dans notre pays ? Comment peut-on oser proposer une carte de séjour d’un an à des personnes vivant en France depuis quinze ans ?
Chemin faisant, on oublie la seule question qui mérite d’être posée : comment parvenir à une intégration réussie ? Une enquête de l’Ined, conduite par Michel Tribalat, montre que l’intégration des populations d’origine étrangère est en marche.
Un rapport récent de l’Ined confirme que l’immigration et l’accueil des étrangers fondent l’identité même de la France et que, s’il n’y avait pas eu cette immigration étrangère depuis un siècle, notre pays ne compterait aujourd’hui que quarante-six millions d’habitants. Sans cet apport, quand serait-il de la puissance économique de la France ?
Ces quelques remarques témoignent de la nécessité d’une approche apaisée et renouvelée de la question de l’immigration. Pour y parvenir, il est nécessaire que les partis politiques démocratiques adoptent un code de bonne conduite, s’interdisant de faire de l’immigration un sujet de discorde électorale.
Plus fondamentalement, pourquoi ne pas parier, ensemble, sur l’intelligence des Français plutôt que sur leurs peurs et leurs angoisses ? Et, au lieu de transformer les immigrés en otages du débat politique, mieux vaudrait se concentrer sur les véritables problèmes.
Le débat sur l’immigration ne saurait, en aucun cas, tenir lieu de substitut aux mesures et aux actions qu’il faut engager sans tarder.
Au fond, ce qui est requis, c’est un engagement qui réponde aux préoccupations et aux difficultés véritables des citoyens. Dès lors, le débat sur l’immigration apparaîtra comme un faux débat, une question qu’il faut aborder dans la sérénité en se tournant vers l’avenir, non plus comme un reliquat du passé dont nous n’aurions plus qu’à solder les comptes.