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Télé 7 Jours : Que pensez-vous de la déprogrammation de « Seven » ? Ce film, qui devait être diffusé le dimanche 21 novembre à 20 h 55 ; avait été interdit aux moins de 12 ans lors de sa sortie en salles.
Ségolène Royal : C'est bien. Il aurait surtout fallu qu'il ne soit pas programmé. Ce film bien réalisé par ailleurs, est d'une violence extrême. On y voit des gens dévorés par des insectes, des corps putréfiés. La scène finale où l'on apporte au héros la tête de sa femme est insoutenable. La cruauté et l'horreur sont le propos même du film. Un adulte peut prendre du recul, un jeune non !
T.7J. : Donc, vous êtes allée voir « Seven » au cinéma ?
S.R. : Ceux qui m'y ont invitée me l'ont présenté comme un bon thriller. Je n'ai pas été vigilante. J'aurais voulu ne pas le voir. Donc, j'ai dit non à mes deux aînés, 14 et 13 ans (la question ne se posant évidemment pas pour les deux plus jeunes. 11 et 7 ans). Pour la télévision, c'est assez simple : que les programmateurs ne fassent pas aux enfants des autres ce qu'ils ne voudraient pas qu'on fasse aux leurs. J'ai vu, il y a quelques jours, une interview étonnante de Schwarzenegger : à la question de savoir si ses enfants avaient vu ses films, il répondait : « Il n'en est pas question ! » Personnellement, je suis très inquiète de la montée de l'agressivité et de la violence des jeunes, notamment des violences sexuelles.
T.7J.: Peut-on en accuser le cinéma et la télévision ?
S. R.: Les jeunes, notamment quand ils sont impliqués dans des viols collectifs, font presque toujours référence à des images vues. Ils parlent de leurs actes comme d'un jeu. Ils ont perdu le contact avec la réalité et, surtout, ils n'ont aucune idée du drame des victimes, du traumatisme ineffaçable produit sur elles qui n'est jamais montré dans les fictions.
T.7J. : Il y a quelques années les avocats des délinquants alléguaient l'enfance malheureuse de leurs clients. Aujourd'hui, ils invoquent l'influence de la violence vue à la télévision. Gilles de Rais ou Landru n'avait pourtant pas vu « Tueurs nés » ou « Seven ».
S.R. : C'est vrai. je ne dis pas qu'y a un lien explicatif total entre ces évènements mais, dès lors qu'il y a un doute sur ce lien, il faut appliquer le principe de précaution. On l'applique bien sur la sécurité alimentaire. Ne pas diffuser « Seven » en prime time est l'application même de ce principe.
T.7J. : « Seven » est considéré par la critique comme un excellent film. Cinq millions de personnes l'on vu en salles. Au nom de quoi en priver les téléspectateurs ?
S.R. : Au nom de la protection de la jeunesse et parce que, contrairement au cinéma, la télévision est dans la maison. De ce fait, elle exerce une pression sur la consommation qui lui donne une responsabilité. D'ailleurs, l'ensemble des pays européens s'interdit de diffuser en prime-time des films interdits aux moins de 12 ans.
T.7J. : Pourquoi la protection de l'enfance reviendrait-elle à la télévision qui fournit déjà une signalétique antiviolence précise, plutôt qu'aux parents?
S.R. : Certains parents ne sont pas conscients de ces problèmes et il n'est pas toujours facile d'avoir une autorité sur les adolescents. D'autre part, l'impact d'une télévision, dès lors qu'elle a le privilège de disposer d'un réseau hertzien, est tel qu'en contrepartie, la nation est en droit de lui demander d'être responsable. On n'a pas le droit de bombarder les enfants d'images qui les perturbent, les empêchent de grandir sereinement et les salissent. L'enfance, fragile psychologiquement, à droit à la beauté et à la tranquillité. Dans certains pays européens, les diffuseurs sont autorisés à couper certaines images de films programmés en première partie de soirée. Je regrette que ce ne soit pas le cas en France.
T.7J. : Les créateurs et les producteurs protesteraient.
S.R. : Cela se fait en accord avec eux. La compensation, en terme de prix d'achat entre une première et une deuxième ou une troisième partie de soirée, est telle que les créateurs y trouvent aussi leur avantage. Le rôle de la télévision n'est peut-être pas de tout diffuser. Certains films pourraient n'être vus qu'au cinéma. J'ai eu, à ce sujet, un débat houleux avec Bertrand Tavernier qui voulait que « l'Appât » passe à 20 h 50. Mais, que je sache, ce film avait été tourné pour le cinéma, pas pour la télévision.
T.7J. : Où est la limite ? Aujourd'hui, on rirait plutôt de « Massacre à la tronçonneuse » et l'on n'est plus choqué par les fusillades de «Bonnie and Clyde ».
S.R. : Il est vrai que la sensibilité à la violence varie selon l'époque et l'histoire personnelle de chacun. Il n'empêche qu'il est inquiétant de penser que la frontière de ce qu'on peut supporter recule. Il n'y a pas un sens de l'histoire qui irait fatalement vers la banalisation de la violence. Je pense que l'on va assister à un revirement. S'il ne se produisait pas, si l'on n'arrivait pas à fixer des règles éthiques librement consenties, c'est alors que risquerait d'apparaître la censure : quand les femmes n'accepteront plus d'être dégradées au nom de la liberté des moeurs, quand les adultes n'accepteront plus ce qu'on fait subir aux enfants...
T.7J. : Pourra-t-on jamais empêcher les adolescents d'être fascinés par la violence et la transgression des tabous ?
S.R. : Ces jeunes sont doublement victimes : de la violence et de l'absence des adultes. La violence la plus insidieuse survient quand faut prend conscience de la méchanceté humaine sans entendre d'explication. On peut lui montrer les abominations du monde, y compris la violence de la vie dans les journaux télévisés, mais à condition d'éviter le voyeurisme et de lui expliquer que l'humanité est aussi autre chose. Il faut lui apprendre le respect de la vie. Il y a aujourd'hui en France 60 000 tentatives de suicide d'adolescents par an. Ce désespoir à peut-être à voir avec la perte de leurs points de repère. On sait bien, notamment depuis Dolto, que le jeune à besoin d'interdits pour grandir, ne serait-ce que pour les transgresser.
T.7J : Ces dernières années, la protection de l'enfance s'est malgré tout renforcée.
S.R. : Il y a quelques années, on tolérait des incestes dans les familles et des pédophiles dans les écoles. J'ai avancé avec une détermination de chaque instant vers, une société du respect en levant la loi du silence, en écoutant la parole de l'enfant et en mettant les adultes devant leurs responsabilités. Il serait paradoxal que, parallèlement, on ne progresse pas dans la protection de l'enfant et de l'adolescent face à la violence visuelle.