Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RTL le 7 février 1997 et RMC le 24, sur la croissance en France et aux Etats-Unis, la polémique autour du projet de loi Debré sur l'immigration, le projet de convention entre la Sécurité sociale et les médecins, et sur les revendications des conducteurs d'autobus en province notamment sur l'âge de la retraite.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - RMC - RTL

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RTL - vendredi 7 février 1997

O. Mazerolle : La presse de province publie ce matin un sondage de la Sofres qui indique que les syndicats ont une meilleure cote : les Français souhaitent une action revendicative mais en même temps, ils se déclarent opposés à une journée d'action contre la politique du gouvernement.

M. Blondel : C’est une petite curiosité. Ce qui est intéressant, c'est que le crédit des organisations syndicales en général est assez bon. Ils sont pour des actions revendicatives. Effectivement, il y a là un petit problème d'incompréhension : il n'est pas sûr que les gens estiment, comme moi, que c'est l'orientation économique du gouvernement, qui ne donne plus de marge, qui nous met en difficulté.

O. Mazerolle : Ne pensez-vous pas que ça va mieux ? Le président de la République, au Conseil des ministres il y a 48 heures, disait qu'on commençait à toucher les dividendes de la politique d’assainissement.

M. Blondel : Nous allons voir. Je crois qu'on va retrouver un peu de croissance. Le problème est de savoir si ça va avoir des effets sur l'emploi. Là, quand on en discute, c'est un peu plus nuancé.

O. Mazerolle : À Davos, vous avez rencontré une Amérique triomphante qui connaît une croissance forte, sans inflation et créatrice d'emplois. L’Europe, elle, crée du chômage.

M. Blondel : Le président l’AFL-CIO a expliqué que tout ça était vrai, que la croissance était bien, sauf qu'il y a 42 millions d'exclus aux États-Unis. Il a dit qu'il ne voulait pas se contenter de ce genre de chose. C'est d'ailleurs le discours que tous les syndicalistes ont eu. Nous étions cinq syndicalistes. Nous avons tous dit que l’ultralibéralisme, c'est bien joli, mais que ça écrase les uns, ça écrase les autres. Il faut maintenant à la fois compenser la puissance des entreprises sans négliger pour autant l'autorité des politiques, de manière à rester dans les régimes démocratiques. Nous sommes le contrepoids nécessaire pour éviter que ça se fasse au détriment des hommes et du social.

O. Mazerolle : On parle régulièrement du déclin américain qui ne se produit pas, au contraire, il y a un dynamisme formidable là-bas. N'y a-t-il pas quelque chose à y prendre ?

M. Blondel : La croissance, la volonté ! Nous avons un pays dans lequel l'intervention économique du gouvernement, ou plutôt de l'État a été quasiment permanente. Les patrons des grosses entreprises ne se détacheront pas de ce soutien pour l'instant. Il y a une période de mutation, c'est très clair. Ils ne se comportent pas comme les patrons américains qui sont agressifs sur le marché. Ce n'est pas le comportement des entrepreneurs français.

O. Mazerolle : M. Trichet dit qu'il faudrait à l'Europe, et notamment à la France, des Bill Gates.

M. Blondel : Stop : ne me parlez pas de Bill Gates. Il est maintenant reçu partout, y compris par le président de la République ! Moi, j'étais à Davos, et je suis allé écouter Bill Gates. Sa réponse est claire, elle est toujours la même : c'est le capitalisme comme réponse à tout. Quand on lui fait remarquer quelles sont les conséquences, le chômage et tout cela, il ne veut pas le savoir. Bill Gates est un entrepreneur, ce n'est pas un homme politique. Bill Gates n'a pas en charge à long terme une société : il a en charge sa société et des sous ! Bill Gates n'est pas très fair play : figurez-vous qu'à Davos, ils ont choisi une mécanique de médiation, avec des débats, et ce n'est pas Microsoft, c'est une autre société. Il a fait la tête ! La réponse de l'organisateur du forum a été : « J'ai donné cela à celui qui m'a donné le plus d'argent ». Le capitalisme est roi.

O. Mazerolle : Business Week note que s’il n'y a pas de Bill Gates en Europe, c'est parce que l'entrepreneur qui voudrait agir comme lui trouverait des syndicats ou des salariés qui réclament la retraite à 55 ans, qui veulent travailler 32 heures payées 39 et des jeunes qui aspirent à travailler, pour un sur deux, dans la fonction publique.

M. Blondel : C’est de la démagogie. Ce sont des positions ultralibérales les plus démagogues. Qui réclame la retraite à 55 ans ? Les chauffeurs d'autobus. Ce ne sont pas tous les salariés ! Nous avons obtenu la possibilité de partir à 55 ans pour les chauffeurs routiers. C'est un échec, parce que c'est gens-là, il fallait les tirer pour descendre de leurs camions. Ils n'ont plus envie de travailler, ils sont fatigués, ils rendent leur boîte à clous. Quand on consulte les gens et que 63 % disent oui à la retraite à 55 ans, ce n'est pas du dynamisme, ce n'est pas une revendication, c'est le contraire. Ils en ont en fait assez et disent : « je m'en vais maintenant, et si ça peut donner du travail à mon petit-fils, tant mieux ». La vraie revendication, ce serait la retraite à 55 ans à taux plein immédiatement, mais personne ne dit ce genre de chose, parce qu'on sait qu’économiquement, on ne peut pas le faire à l’heure actuelle.

O. Mazerolle : Pourquoi les chauffeurs d'autobus le réclament-ils en province ?

M. Blondel : Peut-être que si nous étions dans un autobus à 20 h 30 le soir dans un quartier qui fait peur, on aurait, nous aussi, envie de rentrer à la maison ! Prenons l'exemple des chauffeurs routiers : il y en aurait 800 à 1 000 qui partiraient, et le texte n'est même pas encore mis en place. Regardons les traminots, dont la fonction a toujours été considérée comme pénible, et qui ont toujours eu des retraites anticipées par rapport à d'autres. À mon avis, on finira par trouver une solution.

O. Mazerolle : L’Europe et la France donnent-elles une image de dynamisme ?

M. Blondel : En ce moment, l’Europe ne le peut pas dans la limite où on fait des politiques restrictives pour satisfaire aux convergences. À partir de ce moment-là, dans des pays comme le nôtre – où l'État est un intervenant important et régulier –, comme l'État se désengage, on ne peut pas donner du dynamisme. On a une politique économiquement restrictive.

O. Mazerolle : Les dockers du Havre : votre réaction à leur CDD à usage constant et héréditaire ?

M. Blondel : Vous venez de donner une belle définition. Ce que je regrette, c'est que personne ne dise que c'est la CGT. Il faut bien dire les choses ! Je suis en parfait désaccord, comme je suis en parfait désaccord avec le closed shop de la CGT dans le Livre. Je suis pour la liberté. Chacun peut se syndiquer où il veut. On n’hérite pas du travail de ses parents.

 

RMC - lundi 24 février 1997

P. Lapousterle : Vous n'avez pas voulu aller à la manifestation contre la loi Debré samedi, on ne vous a pas vu ?

M. Blondel : Qui vous a dit que je n'ai pas voulu m’y rendre ?

P. Lapousterle : Je ne sais pas, je pose la question.

M. Blondel : Non, le problème est simple, j'ai appelé d’ailleurs…

P. Lapousterle : Votre organisation a appelé…

M. Blondel : Oui. Généralement, lorsque mon organisation appelle, c'est que je suis d'accord. J'ai simplement dit que c'était une affaire de citoyens, etc. Et puis moi, j'avais des occupations et je n'ai rien fait, c'est vrai, pour les changer. Je ne m’y suis pas rendu. Cela ne signifie pas grand-chose.

P. Lapousterle : Cela veut dire que vous avez quelques réserves vis-à-vis de cette manifestation ?

M. Blondel : Non. Je suis un peu étonné de la façon dont on fait mousser. C'était à l’appel, si j'ai bien compris, de ceux qui s'engageraient à ne pas appliquer la loi, or le problème de fond – la désobéissance civique –, c'est que la loi n'est pas encore votée. Alors, à la limite, on juge cela en fonction d'une espèce de procès d'intention. Ils ne savent pas, ces gens-là, d'ailleurs, ce qu'ils feront. J'espère qu'ils seront fidèles à leurs conceptions. Soyons clairs, la désobéissance civique de cette façon… Qu'est-ce que je fais si les patrons se mettent à hurler tous la désobéissance civique pour l'application des conventions collectives et du Code du travail ? Vous voyez la nuance ? Je veux donc dire que, moi, je crois que nous sommes dans un pays de droit. Alors, je suis contre tout cela.

P. Lapousterle : Et votre position sur la loi ?

M. Blondel : Eh bien, c'est clair. La France, terre d'accueil. Je n'ai pas de patriotisme exacerbé sauf pour cela. La France, pays des droits de l'homme et terre d'accueil. Ceci étant, après le reste, je ne monterais pas des mélodrames à partir d'une désobéissance civique qui n'existe pas dans les faits. Vous n'êtes pas d'accord avec moi ? Vous semblez étonné de mon propos ?

P. Lapousterle : Pas du tout. Vous appelez à une manifestation pour mardi ?

M. Blondel : Oui, là c'est autre chose. Ce n'est pas une manifestation exactement. Vous savez que mardi, c'est une pétition. C'est la pétition devant l'Assemblée nationale. Cela, c'est quelque chose qui rentre dans le cadre habituel et légal.

P. Lapousterle : Alors, cette semaine, si j'ai bien compris, il est possible qu'une nouvelle convention médicale – je parle de la Sécurité sociale – soit signée entre la Sécurité sociale et les médecins. Vous êtes celui, M. Blondel, qui avez le plus combattu cette réforme de la Sécurité sociale. Je voulais vous demander ce matin si vous pensez toujours aujourd'hui que c'est une mauvaise réforme comme vous le disiez à l'époque ?

M. Blondel : Toujours. Nous en parlerons certainement parce que vous me parlerez, je l'espère, de la grève à l'hôpital de Nice. C'est cela aussi, la réforme de M. Juppé.

P. Lapousterle : Vous pensez toujours que c'est une mauvaise réforme et qu’allez-vous faire si jamais l'accord était signé cette semaine et que donc elle se mettait en place ?

M. Blondel : Il sera signé et que voulez-vous que je fasse ? Ce n'est pas moi qui vais conseiller la désobéissance aux médecins. Si les médecins jugent que le texte est bon, ils le signeront. En tout cas, moi, je fais remarquer que l'on commence à mettre debout les filières à travers l'obligation ou l'incitation à consulter d'abord un généraliste avant de voir un spécialiste. Si les organisations syndicales de médecins signent ce genre de choses, eh bien elles auront modifié leur position habituelle. On verra bien. Seulement, je sais où cela va conduire après, c'est cela le problème.

P. Lapousterle : C'est-à-dire ?

M. Blondel : Tout cela est clair, cela n'a qu'un objectif, qu’un souci : ne pas rembourser de la même façon et, d'une manière générale, rembourser moins. C'est secondaire, la technique de la réforme de M. Juppé. Le problème est clair, M. Juppé considère que la Sécurité sociale provoque des déficits, que ces déficits sont imputables pour les critères de Maastricht, en fonction de quoi, eh bien, il veut réduire la masse de la Sécurité sociale. C'est aussi simple que cela. Alors, il essaie tous les moyens. Voilà. Vous vous rendez compte que l'on va intéresser les médecins maintenant ? Moi, je veux bien, mais enfin, c'est quand même terrible. Mais on va les intéresser, c'est comme cela. Eh bien tout cela, c'est pour avoir des médecins conciliants qui feront des prescriptions différentes. Vous me permettez une petite observation : je n'ai rien contre les syndicats de médecins, ils viennent d'obtenir la retraite à 56 ans, je trouve que ce n'est pas mal.

P. Lapousterle : Une incitation à la retraite.

M. Blondel : Oui, une incitation. Vous me permettez d'être aussi généreux puisque lorsque l'on parle de l'anticipation de départ à la retraite à 55 ans pour les chauffeurs routiers, ont dit « la retraite à 55 ans », pourtant il s'agit d'un départ volontaire. Mais le raisonnement des gens de Bercy, c'est que, grosso modo, un médecin, cela coûte en prescriptions et en honoraires environ 1 200 000 francs par an. Alors, s'il part à 56 ans, pendant quatre ans, il ne prescrira pas. Et puis on calcule combien partiraient comme cela pour faire des économies, bien entendu parce que les gens qui sont malades n’iront pas voir un autre médecin. Mais cela, Bercy y réfléchira plus tard. Mais, pour l'instant, c'est cela la réflexion.

P. Lapousterle : Vous avez appelé à un mouvement de grève qui pénalise beaucoup les Français, c'est la grève des transports urbains, ce matin Clermont-Ferrand est encore en grève et à Sète, on organise des transports gratuits. Vous avez reçu une réponse négative du gouvernement sur la retraite anticipée, le départ anticipé à la retraite à 55 ans ?

M. Blondel : Oui, ce ne sont pas des médecins ! Ce sont des chauffeurs d'autobus et le travail est moins pénible.

P. Lapousterle : Alors, qu’allez-vous faire ?

M. Blondel : Eh bien, pour l'instant, je soutiens mes camarades qui sont en grève dans différents endroits. Je vais symboliser un petit peu sur Toulouse. Je suis content de ce que nous avons quand même conclu à Toulouse. Je rappelle que nous avons conclu un texte qui permet d'avoir les 35 heures payées 38 et j'aurais souhaité que cela devienne une disposition généralisée. Nous n'avons pas réussi, vendredi il y avait encore des négociations, je ne connais pas complètement le résultat. Je sais que les patrons étaient prêts à faire un premier pas vers 36 heures et demi mais ils les mettaient à terme, etc. En fait, l'objectif c'est 35 et puis, il faut bien comprendre que dans ce cas particulier, quand on réduit la durée du travail, là, on embauche. Donc, c'est intéressant, cela provoque une certaine embauche, et puis il faut savoir que ce sont des métiers qui sont maintenant très difficiles, très fatigants, on s'esquinte les reins et puis on est las – le stress. C'est un métier qui fatigue beaucoup alors je pense que c'est un secteur effectivement où la réduction de la durée du travail est légitime. C'est la raison pour laquelle je n'hésite pas un instant, je soutiens ceux qui sont en grève en souhaitant qu'ils obtiennent satisfaction.

P. Lapousterle : Et la suite des événements, alors ?

M. Blondel : Nous allons voir. Maintenant, j'espère que l'on va réussir à conclure à peu près partout des accords. Après, on va essayer de concentrer tous ces accords et de les généraliser au niveau de la convention collective.

P. Lapousterle : Vous appelez à une grève nationale des transports publics le 28 ?

M. Blondel : Ah, pardonnez-moi, là, vous me prenez à contre-pied. J'ignore pourquoi vous dites le 28.

P. Lapousterle : Je ne sais pas, il m’avait semblé que vous aviez demandé une grève sur l'ensemble du territoire des transports publics le 28 ?

M. Blondel : Je ne sais pas. C'est possible que la Fédération se soit réunie et ait décidé ce genre de choses sans que l'on m’en ait informé. C'est la suite logique des mouvements, des différents mouvements et je crois, effectivement, que c'est peut-être un moyen d'essayer d'obtenir… Mais ce sera difficile de relancer la grève dans la limite où les gars viennent de faire grève et ont obtenu des satisfactions.

P. Lapousterle : Quel sens voulez-vous donner à la grève des fonctionnaires à laquelle vous appelez le 6 mars prochain ? Est-ce que les gens qui ont la sécurité de l'emploi peuvent se mettre en grève pour une augmentation de salaire ?

M. Blondel : On ne va pas discuter ; je croyais, qu’entre nous, nous avions dépassé cela depuis longtemps. D'un côté, la perturbation, vous n'avez pas osé me dire « une prise d'otages », de l'autre côté, ceux qui ont la garantie de l'emploi. Alors, cela veut donc dire qu'à l’heure actuelle, les travailleurs n'ont plus qu'à se taire. Eh bien, pardonnez-moi, les travailleurs ne sont pas satisfaits, ils le font savoir, personne n'a lieu d'ailleurs de pouvoir contester le fait que leurs revendications ne sont pas fondées. Les travailleurs, c'est aussi le père, la mère, les enfants, etc. C'est trois millions et quelques centaines de mille de chômeurs, c'est un million de RMI, etc. La fonction publique, c'est un endroit où l'on pourrait embaucher. On n’embauche pas, je ne dis pas qu'on peut résoudre les trois millions de chômeurs par la fonction publique, je n'ai jamais dit cela, il ne faut pas me faire dire des bêtises. Ceci étant, c'est simple, le budget est un budget de désengagement encore de l'État, ce qui fait qu'il y aura des suppressions d'emplois, de surcroît les augmentations unilatérales proposées par M. Perben ne permettent pas de satisfaire les revendications, puisqu'il n'y a aucune compensation pour 1996. Cela veut donc dire que les fonctionnaires – qui, oui, ont la garantie de l'emploi, ça évitera d'être viré pour fait de grève – vont, le 6 mars, faire connaître qu'ils sont mécontents. Nous verrons bien ce que cela donnera, nous verrons bien l’ambiance. C'est aussi simple que cela, mais moi, je vous assure, ce n'est pas là que je mettrai le grand point d’interrogation. Le grand point d’interrogation, ce sont les hôpitaux. Pourquoi ? Parce que, justement, la contre-réforme Juppé est en train de se mettre en route et que, maintenant, on connaît les évolutions du budget, et elles sont généralement faibles, elles sont même parfois négatives, ce qui fait qu'il y aura des réactions et que j'espère que les Français comprendront que c'est pour défendre l'hôpital dont ils pourraient avoir besoin demain.