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Le Figaro : La France doit rattraper son retard dans le traitement de la douleur.
Hervé Gaymard : Il est incontestable que notre pays avait pris beaucoup de retard dans la prise en charge de la douleur, en particulier les douleurs chroniques rebelles. La France est au 40e rang mondial pour la prescription des antalgiques majeurs, la morphine. Cependant des mesures adaptées sont rapidement efficaces : en 1995, le délai de prescription de ces antalgiques avait été porté de 7 à 14 jours, pour les médicaments administrés par voie orale, et à 28 jours pour les perfusions. Depuis, en moins de deux ans, ces prescriptions ont été multipliées par deux.
Nous passons à la vitesse supérieure, en définissant une politique globale. D’abord, en facilitant le travail des médecins libéraux. Après consultation des experts, il ne m’a pas semblé utile d’allonger la durée de prescription. En revanche, je vais signer dans les prochains jours un arrêté modifiant la présentation du « carnet pour prescriptions spéciales », le carnet à souches. Plus maniable, plus discret, moins culpabilisant, il aura le format d’un chéquier, un formulaire de renouvellement étant inséré aux deux tiers, pour éviter toute interruption de traitement.
Le Figaro : Quels sont les axes d’une politique hospitalière ?
Hervé Gaymard : Il faut des structures hospitalière adaptées pour traiter les douleurs rebelles. Les centres existants dépendent encore d’initiatives individuelles.
Désormais, nous allons définir trois niveaux : la consultation, où le patient doit pouvoir être suivi par trois médecins, dont un psychiatre, et un praticien compétent en neurologie. L’unité de lutte contre la douleur offrira en plus un plateau technique pour réaliser de petites interventions. Enfin, dernier échelon, le centre de prise en charge de la douleur qui aura des lits d’hospitalisation temporaire.
Le Figaro : Quels seront les critères ?
Hervé Gaymard : Il s’agit de garantir par cette labellisation une homogénéité de traitement et de compétence, avec des équipes de professionnels de référence. Cette accréditation dépendra des agences régionales de l’hospitalisation, qui se réfèreront à des critères définis au niveau national. La mission que nous avons confiée avec Xavier Emmanuelli au docteur Serrie donnera un caractère opérationnel aux recommandations de l’agence nationale d’évaluation.
Le Figaro : La répartition géographique des centres antidouleur n’est pas très cohérente.
Hervé Gaymard : Il faut garantir à l’ensemble de la population un accès à ces consultations et à ces centres. Ce n’est pas le cas actuellement. D’ici à la fin 1997, les directeurs des agences régionales de l’hospitalisation auront dressé un inventaire des besoins et des réalisations pour chaque région.
Le Figaro : Un centre par CHU ?
Hervé Gaymard : C’est un minimum qui sera certainement dépassé. Il faut mettre en œuvre les moyens là où cette prise en charge n’existe pas, et fixer les structures existantes. Je prends un exemple que l’on rencontre fréquemment : un anesthésiste particulièrement sensibilisé au problème crée une consultation hospitalière. Lorsqu’il part en retraite, son successeur ne prend pas automatiquement la relève, et peut être affecté à la réanimation. Désormais, les postes de praticiens antidouleur seront attribués, comme cela existe déjà pour le sida.
Le Figaro : Et le financement ?
Hervé Gaymard : On ne peut pas définir aujourd’hui un besoin en crédits. Pour l’instant, il faut commencer par réorganiser les équipes hospitalières autour des structures.
Le Figaro : Tous les médecins ne sont-ils pas concernés ?
Hervé Gaymard : La mission confiée aux professeurs Étienne et Mattei sur a réforme des études médicales les en préparation va se concentrer sur les pathologies mal prises en compte. La douleur en est une, même si un enseignement existe déjà. L’hôpital doit singer les douleurs lourdes, aigües, la prise en charge en fin de vie. Mais il ne faut pas négliger toutes ces douleurs moins nettes, souvent bénignes, d’origines très diverses, et qui gâchent la vie des personnes. Elles méritent l’attention et la compétence de l’ensemble du corps médical, en particulier de la médecine de ville. C’est un point essentiel de la formation initiale et continue.
Le Figaro : L’organisation actuelle de la médecine, très morcelée par spécialité, est-elle adaptée ?
Hervé Gaymard : On débouche effectivement sur une approche globale du patient. Et je crois beaucoup dans la puissance des réseaux, ville-hôpital. Il se sont développés pour traiter le sida, certes, mais il y a aussi les urgences qui intègrent les médecins libéraux dans les centre 15. Il ne faut pas avoir une vision dogmatique de cette organisation. Je citerai l’exemple d’une grande ville de province. À l’origine, faut de pédiatres hospitaliers en nombre suffisant, la profession s’est réunie pour trouver une solution, et a mis sur pied une coordination entre les pédiatres de ville et le centre hospitalier universitaire. Chacun garde sa spécificité d’exercice, l’accord se fait sur l’essentiel : le protocole de prise en charge, le suivi du malade.
La prise en charge de la douleur s’inscrit dans le schéma de la réforme : évaluation, accréditation des services hospitaliers, fonctionnement en réseau ville-hôpital.