Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, membre du bureau politique du RPR, député-maire et candidate à la présidence du RPR, dans "Madame Figaro" du 27 novembre 1999, sur son parcours politique, l'entrée des femmes en politique et sur sa proposition de remettre en vigueur le droit révolutionnaire de pétition.

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Circonstance : Elections à la présidence du RPR les 20 novembre et 4 décembre 1999

Média : Madame Figaro

Texte intégral

Guillemette de Sairigné. - Présider un grand parti, c'est à coup sûr devoir gérer les conflits, prendre des coups…

Michèle Alliot-Marie. - J'aime la castagne, je ne suis jamais en si bonne forme qu'en campagne électorale. Et je ne crains pas de prendre des risques, qu'il s'agisse de sauter en parachute, d'aller en Arménie pendant la guerre du Haut-Karabakh ou d'assumer les attaques, comme celles dont j'ai été l'objet de la part de mon adversaire lors de la dernière élection municipale à Saint-Jean-de-Luz, aux motifs que j'étais une femme, que je n'avais pas de lien avec le Pays basque - alors que ma famille y est installée depuis quatre générations - sans même parler des agressions sur un plan plus personnel. Il faut choisir entre son confort et ses convictions. Or je crois nécessaire, dans l'intérêt de la France et des Français, que le parti auquel j'appartiens soit de nouveau au pouvoir, et retrouve pour ce faire sa place de premier mouvement politique national, après avoir en une année rendu la moitié de ses effectifs.

G. S. - Peut-on au moins espérer que, vous présidente, les femmes seront mieux traitées par le RPR ?

M. A.-M. - J'ai refusé de voter pour le texte constitutionnel sur la parité, considérant les quotas inapplicables, en tout cas dans un scrutin uninominal. Mais en revanche, oui, bien sûr, je ferai tout pour permettre à des femmes compétentes d'émerger.

G. S. - Pourquoi cet ostracisme à leur égard en politique ?

M. A.-M. – Oh, ce n'est pas tellement mieux quand on regarde le nombre de femmes chefs d'entreprise ! Ou de celles qui accèdent à des postes de direction dans la fonction publique - quand Lionel Jospin aurait la possibilité de procéder à de telles nominations tous les mercredis en Conseil des ministres. En politique, les femmes, du fait de leur accès tardif au droit de vote, ont mis du temps à prendre rang dans les partis. Mais surtout, elles se sentent étrangères à ce milieu où les attaques sont parfois d'une grande dureté, où la dimension de service des autres, pourtant essentielle, est trop souvent brouillée par des enjeux de pouvoir personnel, j'ai eu pour ma part un mal fou à convaincre des femmes de grande valeur d'entrer sur ma liste aux municipales.

G. S. - Ne peut-on imaginer d'adapter la politique aux femmes plutôt que les femmes à la politique ?

M. A.-M. - On ne peut éviter que la politique soit un métier terriblement prenant, grignoteur de soirées, de week-ends, écartelé entre Paris et province si l'on est député ou sénateur, ou même entre son lieu de résidence et la métropole locale si l'on est au conseil général ou régional. Les 35 heures en politique, ça n'existe pas ; j'en serais plutôt en ce moment à 85 heures par semaine ! Peut-être les femmes s'engageront-elles en politique un peu plus tard que les hommes, une fois les enfants élevés, à moins qu'elles n'aient la chance d'avoir un mari très aidant, comme c'est le cas de nombre de mes jeunes collègues à l'Assemblée. Mais l'essentiel, croyez-moi, si l'on veut motiver les femmes à faire de la politique, c'est d'imposer un nouveau ton, un nouveau style.

G. S. - Moins agressif ?

M. A.-M. - Un parler plus clair surtout, les femmes ne pratiquent guère la langue de bois. Et puis des thèmes renouvelés : j'ai ainsi récemment plaidé pour la remise en vigueur de ce vieux droit révolutionnaire de pétition qui permettrait aux Français, une fois par an d'imposer à leurs parlementaires de débattre d'un sujet qui les concerne intimement, comme cette « préférence nationale » évoquée par Édouard Balladur et promptement évacuée au motif qu'elle n'était pas politiquement correcte. Mais ce qui, avec l'irruption des femmes, changera la donne en politique, c'est la diversité de leurs intérêts : pour elles, il y a aussi la famille, la maison, les activités sociales ; elles ne sont pas obnubilées par la seule politique comme le sont les hommes. Leur sainte terreur de voir leur mandat remis en cause est pour beaucoup dans leur volonté de plaire à tout prix, d'où cette fragilité psychologique qui explique, entre autres, que nombre d'entre eux ne résistent pas à la vue d'un jupon !

G. S. – Est-ce pour décourager leurs avances que vous acharnez à porter des lunettes au risque de passer pour une intellectuelle égarée en politique ?

M. A.-M : Si le les enlève, c'est bien simple, je rencontre un réverbère dans la rue et je lui dis : « Bonjour Madame ! » Et comme il est très difficile, quand on est comme moi myope et astigmate, d'avoir une correction suffisante avec des verres de contact... Mais je ne cherche plus à me cacher derrière de grosses montures comme je le faisais quand j'ai démarré dans les cabinets ministériels.

G. S. - Par timidité ?

M. A.-M. - Sans doute. Et puis, j'avais vingt-deux ou vingt-trois ans, j'étais la seule femme au cabinet d'Edgard Faure : quand je devais parler de l'Europe sociale à un groupe d'experts ou donner des ordres à des préfets, je préférais qu'on s'intéresse à mes idées plutôt qu'à mon physique. De même, quand j'ai commencé à enseigner, mes étudiants étaient souvent plus âgés que moi - leur tête quand, assise parmi eux, je me levais pour gagner l'estrade ! -, il fallait à tout prix me faire respecter. D'où ce look classique. Mais hors fonctions, je n'aime rien tant qu'un jean, un gros pull et une chemise d'homme !

G. S. - Sur votre CV, vos titres universitaires – dont deux doctorats d'État – occupent au moins dix lignes !

M. A.-M. - Mon pays, c'est le Sud-Ouest. Quand la famille a dû s'installer à Paris, il a fallu dire adieu à la plage, aux sports : je n'avais rien d'autre à faire que de passer des diplômes ! Plus tard, avec mes copains de fac, c'était à celui qui accumulerait le plus de peaux d'âne possible.

G. S. - Mais déjà, la passion de la politique...

M. A.-M. - Ah non, je n'y entendais rien ! On ne parlait jamais politique à la maison. Si j'ai très tôt rejoint des cabinets ministériels, c'était en tant que technicienne du droit. La politique, j'y suis venue doucement, d'abord comme suppléante de mon père aux législatives de 1978, puis en travaillant à partir de 1981 au RPR avec Jacques Chirac. C'est lui qui, nommé Premier ministre en mars 1986, m'a annoncé par un coup de fil à 23 heures que j'entrais dans son gouvernement, alors que Je venais d'être élue, trois jours plus tôt, députée des Pyrénées-Atlantiques !

G. S. - Depuis, vous avez accompli un brillant parcours, députée européen, ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Balladur, premier vice-président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, maire de Saint-Jean-de-Luz... Et pourtant, on ne sait pratiquement rien de vous. Sinon que, à vingt-cinq ans, vous avez épousé votre professeur de droit, de très loin votre aîné ?

M. A.-M. - J'en ai divorcé. Mais depuis bientôt douze ans, il y a un monsieur dans ma vie, même si, nos carrières bien remplies aidant, nous gardons deux appartements distincts.

G. S. – Diriez-vous que vous avez sacrifié la vie de famille à la politique ?

M. A.-M. - Non. Il s'est trouvé seulement que, mon premier époux ne voulant pas d'enfant, je me suis retrouvée très disponible pour des choses passionnantes que je n'aurais peut-être pas faites autrement : au cabinet du ministre des DOM-TOM, si l'on me demandait d'être le lendemain matin en Nouvelle-Calédonie, j'y allais ! Toute ma vie, je n'ai cessé de voyager dans des conditions parfois hasardeuses, cabotant sur des petits bateaux au nord de la Thaïlande, partageant un temps avec une amie ethnologue la vie d'une tribu masaï ; j'ai une passion aussi depuis l'enfance pour l'Amérique latine.

G. S. - Vous réussissez à garder du temps pour vous ?

M. A.-M. - Tous les soirs, je lis avant de m'endormir, de la philosophie, de l'histoire, de la poésie, ça me détend et me permet de garder une certaine capacité de jugement. Et puis je ne loupe pas un journal de décoration, j'adore chiner, retaper un vieux meuble, tendre du tissu sur les murs - il serait temps que je m'y remette dans ma maison de Ciboure. Ce goût des choses manuelles, je le tiens de ma mère (chef d'entreprise, elle dirige toujours sa boite d'isolants électroniques, bien qu'ayant largement dépassé l'âge de la retraite !). Dans le temps, je tricotais des pulls irlandais, je créais des vêtements ou des bijoux fantaisie où j'incluais de superbes pierres fines que je rapportais de mes fréquentes missions à Madagascar. J'ai même fait de la tapisserie en attendant mes résultats d'examens, rien de tel pour calmer les nerfs. Inutile de vous dire que depuis quelques années...

G. S. - En revanche, vous continuez le sport ?

M. A.-M. - J'en ai besoin pour mon équilibre, même si ce n'est pas évident de pratiquer à Paris le « fractionné » (course-marche rapide-course) : pour peu qu'il pleuve, le brushing en prend un sacré coup ! Le week-end, sur la côte basque, là, je marche utile, j'en profite pour faire le tour de ma ville en vérifiant l'état des lampadaires, en repérant les trous dans les trottoirs… Et puis, trois-quatre fois par an, quand je m'échappe pour un week-end ou des vacances, je me défoule en faisant six heures de cheval ou de ski dans la journée, ce qui me laisse évidemment sur le flanc, Mais le plus dur reste encore les vingt minutes de gymnastique que je m'inflige tous les matins !

G. S. - Vous exigez beaucoup de vous sur tous les plans !

M. A.-M. - Je crois seulement à la nécessité de règles du jeu, et pas seulement dans le domaine sportif. Il se trouve que j'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont donné des repères, une solide foi chrétienne, des valeurs morales, un sens aigu des responsabilités. Or, c'est peut-être ce qui manque le plus aux jeunes à l'heure actuelle. Et aux Français en général. A force de les engluer dans un assistanat généralisé, on les incite à détourner le regard quand quelqu'un se fait attaquer devant eux, quand une personne âgée meurt de solitude dans le quartier. Les parents aussi doivent pouvoir être sanctionnés, au niveau par exemple des associations familiales, s'ils n'exercent pas leurs responsabilités éducatives. Quant à l'école elle ne fait pas non plus son travail quand elle refuse de pénaliser le travail mal fait, de faire le lien entre l'effort et la réussite : moi, je ne crains pas de dire que je suis pour les notes et pour les prix.

G. S. - Le paradoxe, dites-vous dans votre dernier livre, « La République des irresponsables » *, c'est qu'on sur pénalise au contraire ceux qui prennent des nitiatives, les chefs d'entreprise, les présidents d'associations, les maires...

M. A.-M. - Ce n'est pas un hasard si 45 % de ces derniers ont annoncé leur intention de ne pas se représenter aux prochaines municipales : pourquoi prendre à tout moment le risque d'une mise en examen dès qu'un de vos administrés rencontre un problème ? Tout cela crée une atmosphère délétère qui ne fait qu'entretenir le profond rejet de la politique par les Français.

G. S. - On vous sent hantée par ce problème.

M. A.-M. - Comment ne pas l'être quand nos concitoyens ne se déplacent même plus pour aller aux urnes ? Quand, à l'Assemblée, tout l'hémicycle confondu ne représente que 35 % des Français ? Quand des lois aussi essentielles que les lois sur la famille ou la nationalité, votées par la seule majorité, n'expriment en fin de compte la volonté que de 18 % des citoyens ? Face à ce véritable danger pour la démocratie, il y a urgence à proposer une vision renouvelée de la politique. Grâce aux femmes, nous l'avons dit. Grâce aux jeunes aussi.

G. S. - Maire de Saint-Jean-de-Luz, avez-vous mis ces belles idées en application ?

M. A.-M. - Dès mon entrée en fonctions en 1995, j'ai installé, à côté du conseil municipal, un conseil communal des 15-25 ans. Depuis quatre ans et demi, il a fait un travail formidable. C'est à leur initiative qu'ont été créés un parc pour les skaters, des parkings pour les deux-roues, un jury jeune au Festival des jeunes réalisateurs, un site Internet, un centre d'accueil pour les jeunes chômeurs. Parfois, ils se sont heurtés à la réalité : l'aire de jeux qu'ils imaginaient implanter au milieu des HLM, ils ont dû la déplacer du fait de l'opposition des riverains. La politique est devenue pour eux quelque chose de concret.

G. S.  - Au niveau local, mais au niveaux national ?

M. A.-M. - Au RPR, on a trop utilisé les jeune pour coller les enveloppes ou faire masse aux réunions : qu'ils participent désormais vraiment à notre réflexion, et pas seulement sur les problèmes « jeunes », mais tout aussi bien sur la recherche scientifique, les crédits militaires, la politique familiale, car c'est leur vie et leur société que l'on prépare. J'ai en tout cas d'ores et déjà annoncé qu'élue à la présidence j'enverrai cinq mille jeunes aux prochaines élections municipales. Et cinq mille femmes. De quoi bouleverser déjà un peu le paysage...


* Editions Odile jacob