Texte intégral
La Tribune. – Le projet de loi d’orientation agricole de Louis Le Pensec vous satisfait-il ?
Christiane Lambert. – Il fait un pari osé et audacieux, notamment par l’introduction d’un « contrat territorial d’exploitation » sur lequel je dis banco ! C’est une innovation qui répond à la reconnaissance de l’agriculteur en tant qu’acteur économique, social et territorial. Désormais, les soutiens importants apportés à l’agriculture doivent être analysés avec un regard beaucoup plus qualitatif. S’agit-il des pansements, des cataplasmes sur une jambe de bois ou des leviers pour favoriser l’initiative et le caractère entrepreneurial de l’exploitation ?
La Tribune. – Le projet semble vouloir aussi limiter les concentrations…
Christiane Lambert. – Il existe un risque d’effet de balancier. Passer du « tout-productivisme » au « tout-territoire » serait extrêmement caricatural. Ce serait le meilleur moyen de braquer les agriculteurs et de susciter des incompréhensions. Certes, une restructuration de l’agriculture française était nécessaire. Mais elle est allée un peu loin. Aujourd’hui, certains territoires sont des déserts humains bien cultivés. Le projet veut en effet limiter les concentrations. Il dit qu’il faut « reconnecter » l’agriculture au territoire.
La Tribune. – Partagez-vous l’objection des céréaliers qui estiment que ce projet est contraire à l’esprit de la libre entreprise ?
Christiane Lambert. – Contraire à la libre entreprise telle qu’ils la conçoivent, peut-être. Mais la libre entreprise n’est pas la pensée unique de l’agrandissement des exploitations en nombre d’hectares. Cela conduit à multiplier les hectares pour accroître les volumes de soutien qui y sont attachés, ce qui réduit la valeur ajoutée créée par hectare parce que l’on préfère des productions de plus en plus simplifiés et donc on finit par entrer dans une spirale d’appauvrissement. C’est ce qu’a connu la ferme France depuis des années. Aujourd’hui, le seul moyen d’augmenter le revenu des agriculteurs est de réduire le nombre d’agriculteurs.
La Tribune. – Le projet de Louis Le Pensec est-il compatible avec les objectifs de la nouvelle réforme de la politique agricole commune ?
Christiane Lambert. – Je m’interroge beaucoup sur la pérennité des soutiens apportés à l’agriculture. N’oublions pas que les États membres de l’Union européenne souhaitent la diminution de leur contribution au budget communautaire dont la moitié est consacrée à l’agriculture. Naturellement, la question du plafonnement et de la légitimité de ces soutiens se pose. En outre, l’Organisation mondiale du commerce ouvre le débat d’une nouvelle réduction globale des subventions à l’agriculture. Nous sommes une profession extrêmement minoritaire. Si nous ne nous défendons que sur des aspects économiques, on pourra nous dire : « La liberté, vous la voulez ? Prenez-la et débrouillez-vous seuls ». Or, puisqu’il y a une demande mondiale en expansion, nous pouvons produire plus et mieux. Mais pour y parvenir, il faudra reformuler les soutiens apportés aux agriculteurs afin de les légitimer et ainsi les pérenniser. Pour ce faire, il faudra lier les hommes et les territoires et découpler les soutiens des volumes de production.
La Tribune. - Avec de tels propos, ne craignez-vous pas de prendre la FNSEA à contre-pied ?
Christiane Lambert. – Le CNJA a toujours été un peu l’aiguillon de la profession. Nous sommes dans notre rôle de laboratoire d’idées.
La Tribune. - Vous êtes donc globalement satisfaite du projet de Louis Le Pensec…
Christiane Lambert. – Ce projet est comme un gruyère : il y a de la matière, mais il y a aussi des trous. Sur la fiscalité, il est timide. Sur la définition de l’exploitant, il est inexistant. Sur l’organisation économique, est un peu flou. Et sur la transmission, il est un peu léger.