Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat chargée des PME du commerce et de l'artisanat, dans "L'Hebdo des socialistes" du 13 février 1998, sur le passage aux 35 heures pour les petites et moyennes entreprises.

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Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Q. Un commerçant ayant un ou deux employés peut-il facilement embaucher quelqu’un de plus ?

R. Entre un patron boulanger, son épouse et les deux employés, ils sont quatre, et bon pas deux, au niveau de l’organisation du travail. Il faut regarder si la boulangerie ne peut pas faire du résultat supplémentaire avec un demi-poste de gestion, par exemple pour aider la boulangère à avoir une vie plus raisonnable et faire moins souvent garder ses enfants. Il faut tout regarder dans l’entreprise, le total des charges induites, y compris le fait qu’un jeune couple fait garder ses enfants ou que chacun travaille 50 heures par semaine.

Imaginons que l’embauche ne soit pas intéressante. En décembre 1999, on aura un bilan de l’allégement des coûts sociaux du chômage. À partir du 1er janvier 2000, on met en place une aide structurelle, c’est-à-dire un abaissement de cotisation pour tous les patrons, autour de 4 à 5 000 F. Chaque commerçant, chaque artisan, qui a un ou deux salariés, en bénéficiera. En 2002, dans quatre ans, les salariés passeront à 35 heures légales, mais leur patron aura bénéficié auparavant de deux ans d’allégement de charges.

Beaucoup chiffrent le surcoût à 1,4 % de la masse salariale : en fait, il représente, au pire, 4 % de la masse salariale dans 4 ans. Compte tenu de l’évolution des prix et de la croissance, ce n’est pas épouvantable.

Il faut ramener les choses à leur juste valeur. Au 1er janvier 2002, la durée légale du travail passe à 35 heures, mais durée légale ne veut pas dire durée maximale. Si le commerçant estime que son salariés, ou ses salariés, doivent continuer à travailler 39 heures, il paiera 35 heures, plus quatre heures supplémentaires à 25 % de plus. En fait, il paiera par rapport à aujourd’hui l’équivalent de près d’une heure de plus par semaine. Quand on passe du slogan à la réalité, la réalité apparaît moins dramatique.

Q. Et le Smic ?

R. Si la personne qui passe à 35 heures était payée au Smic pour 39 heures, elle garde le Smic. À côté de cela, si le commerçant ou l’artisan veut embaucher des gens à l’heure (pour l’entretien du local par exemple), il les paiera au Smic horaire qui aura été décollé du Smic mensuel. Ce Smic horaire s’appliquera pour les gens qu’il prendra en plus - pour une heure, deux heures, quatre heures… comme c’est souvent le cas.

Q. Ce double Smic ne risque-t-il pas d’augmenter la précarité ?

R. On ne peut pas augmenter trop vite les salaires, compte tenu du passage aux 35 heures ; c’est la seule difficulté. Mais cela n’augmente pas la précarité dans la mesure où je parle d’heures de travail qui existent aujourd’hui.

Ces gens qui travaillent deux heures ici, quatre heures  là, dix heures ailleurs, sont parfois embauchés par des associations. Ce système leur permet d’avoir un salaire, payé par l’association qui se débrouille pour récupérer ensuite l’argent. Moi, je connais des femmes de ménage, qui depuis qu’existe ce type d’associations sont payées un tout petit peu moins cher. Mais elles préfèrent cela parce que c’est une tranquillité d’esprit formidable : une feuille de salaire normale leur arrive, facile à classer ; elles n’ont plus à courir.

On peut avoir ainsi des groupements d’employeurs, on peut avoir différentes autres solutions. Dans les deux ans qui nous séparent du premier passage aux 35 heures, pendant les quatre ans qui nous séparent du deuxième, on a un énorme travail à faire en ce domaine. Il faut, notamment régler les problèmes des pluri-employeurs.

Q. certains petits artisans étaient satisfaits de la simplification administrative que vous avez mise en route mais disent que les 35 heures viennent tout compliquer.

R. Les 35 heures ne compliquent rien du tout. La première heure supplémentaire deviendra la trente-sixième au lieu d’être la quarantième, c’est tout. Rien d’autre ne change.

En fait, c’est un a priori collectif. Toute réforme est considérée comme un handicap par essence. Du moment que l’on vous impose quelque chose, vous n’en trouvez le principe jamais simple.

Q. D’autres commerçants certifient qu’ils appliqueraient les 35 heures et embaucheraient s’ils pouvaient ouvrir plus longtemps…

R. Je discutais avec une commerçante qui ferme à 19 heures parce que, arrivée à cette heure-là, elle n’en peut plus : elle va prendre quelqu’un et faire deux 35 heures. Elle disant : « Cela vaut le coup pour moi, j’ai une clientèle du samedi soir jusqu’à 20 heures, j’ai une clientèle du dimanche matin. Moi, je ferai le dimanche matin et mon salarié me remplacera le samedi après-midi pour que, moi, j’ai un peu de temps libre ».

Q. Il y a une réglementation pour l’ouverture du dimanche !

R. Tout le problème, c’est la protection du salarié. Les salariés isolés sont moins protégés que les autres. Est-ce qu’une sorte de commission locale ne pourrait pas négocier, par exemple, pour l’ensemble des commerçants d’une ville : comment on s’organise, qui fait quoi, quand, où ? Il y a des choses intéressantes à faire aussi sur ce sujet.

Q. Les 35 heures renforceront-elles le tissu des PME ?

R. Oui, parce que c’est une mutation qu’on leur propose : elles sont bonnes et elles peuvent être encore meilleures. En fait, le message du Gouvernement par rapport aux PME est plus optimiste que le message des PME par rapport à elles-mêmes. Elles se posent toujours des questions sur le facteur « capital » : elles en manquent et il faut les aider à trouver des financements. Il faut qu’elles se posent aussi des questions sur le facteur « travail » : le travail bien pensé, bien organisé, est un instrument d’avancée de développement.