Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur les manifestations culturelles organisées à l'occasion du centenaire de la bande dessinée, le festival international de la bande dessinée de Chambéry, et sur l'exposition Asterix au musée national des arts et traditions populaires, Paris les 14 et 28 octobre 1996 et Chambéry le 25 octobre 1996.

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Circonstance : Centenaire de la BD à Paris le 14-hommage à Hergé à Chambéry le 25-inauguration de l'exposition Asterix au musée national des arts et traditions populaires à Paris le 28 octobre 1996

Texte intégral

Ministère de la culture - Lundi 14 octobre 1996

Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, à l’occasion du « centenaire de la Bande Dessinée

Mesdames et Messieurs,

J’ai tenu à vous inviter, aujourd’hui, pour fêter un anniversaire qui nous concerne tous et qui vous concerne tout particulièrement, puisqu’il s’agit des cent ans de la bande dessinée.

Il y a un siècle tout juste, un créateur américain, Richard Felton Outcault, jetait les bases de la bande dessinée moderne. C’est en effet le premier auteur à avoir imaginé des histoires en séquences, avec son petit personnage du « Yellow Kid », et à avoir utilisé les phylactères, les fameuses « bulles », pour porter les dialogues.

On connaît la suite : l’extraordinaire développement de la bande dessinée, d’abord dans la presse, à laquelle elle est, par nature, liée ; puis, dans l’édition, au cours de la deuxième moitié de ce siècle ; finalement, sa reconnaissance comme moyen d’expression artistique, parmi les plus populaires de ce temps.

Ainsi, malgré ses cent ans, on a peine à considérer la bande dessinée comme une vieille dame… C’est, on le dit, le neuvième art. Je dirais volontiers que, de tous les arts, c’est le plus jeune.

À cette occasion j’ai voulu réunir, comme on rassemble une famille, les créateurs, de France et de Belgique, qui participez à la vitalité, à la jeunesse de la bande dessinée. Je rappelle que nous fêtons aussi, cette année, le cinquantenaire du journal Tintin et, bien sûr, le retour d’Astérix.

J’ai eu l’occasion de vous dire mon attachement à la bande dessinée, lors du dernier festival d’Angoulême. J’ai rencontré de nombreux dessinateurs, scénaristes, éditeurs... Ces contacts m’ont permis de mieux appréhender votre profession, de mieux vous connaître aussi.

Afin de répondre à vos souhaits, j’ai demandé à mon ami Fred, qui est parmi nous aujourd’hui, de conduire une mission de réflexions et de propositions. Après tout, cent ans, c’est un bon âge pour faire le point !

 

Ministère de la Culture - Vendredi 25 octobre 1996

Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, pour la remise du grand prix public « la bulle de la bande dessinée » attribué à Hergé pour le personnage de Tintin

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Il y a quelques jours, je célébrai avec un grand nombre d’entre vous le centième anniversaire de la bande dessinée. Cette cérémonie qui a réuni plus de deux cents auteurs francophones m’a donné l’occasion de vous dire combien j’étais attaché à ce mode d’expression artistique intégré à la culture de notre pays.

Comme vous le savez, j’ai demandé à notre ami Fred de nous aider à réfléchir avec l’ensemble des professionnels afin de prendre des mesures d’encouragement et de soutien à la bande dessinée et à sa diffusion.

Je tiens tout particulièrement à souligner le travail exemplaire accompli par un festival comme celui de Chambéry. Depuis, vingt ans, cette manifestation participe activement à la notoriété de cet art vivant. Chambéry a su atteindre une dimension internationale de premier rang, il n’est que de consulter la liste des auteurs cités pour s’en convaincre.

Avec opiniâtreté, l’équipe de Chambéry a contribué à la reconnaissance des spécificités de la bande dessinée franco belge. Je considère qu’elle fait partie, à l’instar d’autres domaines culturels, du champ de l’exception culturelle que nous défendons tous.

Vous avez ici à Chambéry le souci du grand public, de la bande dessinée populaire de qualité. L’initiative du groupe de presse Bonjour, est heureuse, elle affirme l’identité qui est la vôtre, c’est pourquoi j’ai tenu personnellement à être parmi vous pour la remise du grand prix du public dont nous allons connaître le lauréat dans quelques secondes.

Je vous remercie des efforts que vous déployez pour la jeune création, pour le soutien aux auteurs et à travers eux, à toute une profession éditoriale qui fait notre richesse culturelle.

 

Ministère de la Culture - Lundi 28 octobre 1996

Allocution de Monsieur Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Ils sont fous… d’Astérix » au musée national des Arts et Traditions populaires

Madame le Directeur,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Astérix est, dans le monde de l’art, un exemple frappant de la rencontre de « l’imagerie populaire » et de « la critique sociale ».

Quand deux artistes dressent un portrait aussi fort que pittoresque de notre condition quotidienne, quand ces mêmes artistes développent l’intelligence critique de nos ancêtres sur le thème majeur de l’humour, quand Goscinny et Uderzo, puisqu’il s’agit d’eux, savent enthousiasmer des millions de lecteurs à travers le monde, alors « un mythe contemporain » voit le jour.

Astérix est « un village », Astérix est « une Gaule », Astérix est « une Europe ». La recréation d’un monde à part, fort d’hommes astucieux et truculents, pleins de qualités et de défauts que nous savons, aussi, être les nôtres, vaut cet hommage rendu dans un de nos musées de société le plus propre à l’accueillir : le musée national des Arts et Traditions populaires.

Ce musée d’ethnologie, en pleine restructuration depuis la récente nomination à la tête de Michel Colardelle, veut explorer « de nouveaux territoires ».

Les présentations permanentes offrent, aujourd’hui, une vision synthétique de la société française traditionnelle, dans sa dimension rurale et artisanale : ses collections forment un véritable trésor, qui permet de retrouver « un temps proche du nôtre ».

Ce n’est pas seulement « un musée du passé ». Il se propose d’explorer les dynamiques sociales et culturelles, depuis l’an mil jusqu’à aujourd’hui, pour replacer « les phénomènes contemporains dans « leur perspective historique ».

La nouvelle politique de programmation des expositions temporaires – Astérix en est le premier exemple – va donner l’occasion d’évoquer, plus en détail, les questions essentielles que doivent se poser « un musée de société ».

La variété des sujets à venir : « La différence, les musiciens des rues de Paris ou la célébration des cent cinquante ans de l’abolition de l’esclavage » offriront au musée l’occasion de plonger mille ans d’humanité et de civilisation sous le regard de l’anthropologue.

Les centres d’intérêt du musée se diversifient. Aujourd’hui il trouve, dans le mythe contemporain d’Astérix, l’intelligente occasion d’explorer l’un des plus importants phénomènes de l’édition de la seconde moitié du siècle.

Parce que « l’édition de bandes dessinées » est, à plein titre, l’un des secteurs de l’édition. Elle en est même l’un des domaines « créatif » : c’est pourquoi elle est aidée par le Centre national du livre.

L’exposition va montrer pour la première fois comment s’est construit, en trois décennies, d’une manière assez peu prévisible, un succès commercial et surtout « un phénomène de société » qui dépasse le champ des lettres pour atteindre la dimension d’un mythe collectif.

Le dessin et les traits de son humour ont bâti des figures que chacun porte, désormais, en soi. L’analyse faite par le musée veut rendre compte de cette connivence qui s’est instaurée. Elle n’a cessé de s’amplifier, entre les héros de la bande dessinée et nous, entre le monde gallo-romain et l’Europe que nous construisons.

Car Astérix voyage ; l’exposition illustre la rencontre des peuples et des civilisations ; des clichés certes, des rivalités aussi, mais qui n’excluent pas « de véritables échanges ».

Les reconstructions de la Gaule réalisées par les auteurs retrouvent, dans l’exposition d’œuvres originales du début de notre ère, un peu de l’authenticité archéologique en fut le prétexte.

Les Français visitent leur passé et tombent aussitôt dans leurs préoccupations communes : c’est un peu de la vie, qui sort de la potion, pour mieux nous permettre d’acquérir la dérision suffisante pour nous accommoder des problèmes contemporains.

Les aventures d’Astérix se situent dans une Gaule imaginaire qui ressemble davantage à la France d’aujourd’hui, avec ses autoroutes, ses embouteillages urbains et ses campagnes électorales, qu’à la Gaule de Vercingétorix. C’est un monde de papier, issu d’une réalité transformée par l’imagination des auteurs.

Suivant l’ordre de l’enquête ethnographique, l’exposition s’attache d’abord à la vie matérielle du village ; elle accompagne les Gaulois hors les murs ; elle souligne les récits de voyage des deux héros.

Ce n’est pas un hasard si le mythe d’Astérix emprunte les traits de ceux que l’on croit généralement être les ancêtres de l’idée nationale française : les Gaulois.

Ne cherchons, cependant, pas la réalité celtique, là où poncifs et clichés historiques ne sont que « des instruments de la comédie ». L’histoire n’est que prétexte à moquer les défauts de la société d’aujourd’hui, à révéler les errances et les inventions de notre époque dissimulées sous les faces, imparfaites mais généreuses, de deux voyageurs épiques : Astérix et Obélix.

Surtout, ils nous proposent de porter un regard plus lucide et critique sur notre environnement social, politique et culturel. Voila pourquoi je salue l’initiative du musée national des Arts et Traditions populaires, de concourir à la première reconnaissance nationale « du phénomène Astérix ».

René Goscinny a disparu. Cette exposition salue sa mémoire. Le dessin éloquent d’Albert Uderzo, inspiré par leur longue connaissance et leur longue amitié, poursuit aujourd’hui son œuvre.

À l’approche de « l’invitation au Musée », que nous lançons dimanche prochain, par une journée nationale de gratuité, dans plus de sept cents musées de France, je suis particulièrement heureux de venir inaugurer cette exposition : elle présente ce nouveau regard attentif que souhaite, dorénavant, porter sur la société l’ensemble des musées de France.

La mission Fred est chargée d’évaluer les aides existantes pour la profession, que ce soit l’attribution de bourses aux auteurs – mise en place par le Centre national des lettres et le Centre national des arts plastiques –, les aides aux éditeurs et les soutiens aux différents festivals et salons. La rationalisation et la réorientation de certaines de ces procédures s’imposent. Le travail est important. Il est conçu en totale concertation avec les professionnels.

Initiative du Festival d’Angoulême, cette manifestation, qui rassemble les œuvres d’une centaine d’artistes de notre continent, se trouve, en ce moment, à San Francisco, avant d’être présentée à Los Angeles, Atlanta, New-York, Chicago, et bien d’autres villes. Je signale aussi que le ministère de la Culture apporte son soutien à des salons étrangers, comme ceux de Rome et de Charleroi.

La bande dessinée est aujourd’hui particulièrement dynamique. Puisque nous sommes actuellement en plein « Temps des livres », je rappelle qu’elle a acquis une place notable au sein du secteur de l’édition, avec une bonne progression de ses ventes l’année dernière, d’environ quatre pour cent en francs courants.

Le secteur des maisons d’éditions témoigne, lui aussi, d’une vitalité tout à fait remarquable, dans un contexte où il faut faire preuve d’innovation en terme de marketing, d’audace dans le choix des technologies de production, et de combativité face à la concurrence étrangère. Ce ne sont pas les succès des toutes dernières productions, notamment françaises et belges, qui me contrediront.

La bande dessinée européenne a la spécificité de bénéficier de l’engagement de très nombreux partenaires, au premier rang desquels on retrouve les responsables des festivals et salons. Je tiens, en votre nom à tous, à les remercier de leur action. Chacun apporte sa contribution pour mieux faire partager la passion commune de la lecture, de la découverte et de l’aventure.

Je remercie les organisateurs du Festival Quai des Bulles de Saint-Malo, dont la 5e édition débute à la fin de cette semaine, mais aussi ceux du Festival de Chambéry, qui sont à l’origine de cette célébration en compagnie de l’Association du centenaire de la Bande Dessinée, animée avec passion par Claude Moliterni. Notons que le Festival de Chambéry fête, à la fin du mois, ses vingt ans ! Je salue également le Festival de Blois, qui présentera, en novembre, une grande exposition liée à la parution récente du « Blake et Mortimer » de Ted Benoit et Jan Van Hamme.

Enfin, je remercie les responsables du Festival d’Angoulême, haut lieu mondial de la bande dessinée, qui accueillera, en janvier prochain, sous l’autorité de son président André Juillard, de nombreuses expositions et manifestations, et témoignera, une fois de plus, de cette vitalité que j’évoquais à l’instant.

Rappelons aussi que la bande dessinée a maintenant son lieu de mémoire et de recherche, le Centre national de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, dont la fréquentation a progressé l’an dernier de 50 %, ce qui confirme l’intuition de tous ceux qui ont cru dans la bande dessinée comme forme d’art moderne et populaire.

Je voudrais aussi souligner auprès de vous, auteurs du « neuvième art », qu’un nombre toujours plus grand de vos jeunes confrères, et non des moindres, est formé au sein de l’atelier professionnel mis en place à l’école des beaux-arts d’Angoulême, ils bénéficient d’ailleurs du soutien et de l’attention des éditeurs.

À l’occasion de ce centenaire, et dans le but de vous honorer, j’ai demandé que le grand prix national pour les arts graphiques récompense l’œuvre de l’un d’entre vous.

Enfin, je salue très chaleureusement nos amis du Centre belge de la bande dessinée, qui sont à l’origine de multiples initiatives et manifestations, à commencer par celle qui nous réunit aujourd’hui et je n’omettrais pas de remercier les services du TGV Thalys, qui ont permis aux participants belges de cette fête d’être à l’heure pour célébrer cet événement !

Permettez-moi donc de souhaiter un bon anniversaire à la bande dessinée, et surtout une longue vie à un art qui, plus qu’un autre, nous rappelle tous à notre jeunesse, nous conserve notre fraîcheur d’esprit et suscite en nous, à côté du respect que chacun doit à une centenaire, une irrépressible affection.

Puisque le « Yellow Kid » symbolise internationalement la bande dessinée, je suis heureux de remettre, à chacun d’entre vous, une sérigraphie à l’effigie de ce petit personnage qui n’a pas fini de sourire aux destinées du « neuvième art ».