Interview de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget et porte-parole du gouvernement, dans "La Tribune" le 13 février 1997, sur l'exécution du budget 1996, le gel des dépenses budgétaires d'environ 20 milliards en 1997 et le respect des critères de Maastricht.

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Média : La Tribune

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La Tribune : Le budget 1996 est-il bouclé, conformément aux objectifs ?

Alain Lamassoure : Oui. C’est un record historique dans la qualité de l’exécution du budget, par rapport aux prévisions initiales. Le solde est très proche de la prévision d’il y a un an, avec 295 milliards de francs de déficit pour 288 milliards prévus dans le budget voté il y a un an. Pour la première fois depuis la guerre, les dépenses réellement faites en 1996 diminuent en francs constants de 0,3 %.

Quand on compare cette exécution à celles des années précédentes, ou à ce que font nos partenaires – notamment les Allemands, avec lesquels nous nous comparons naturellement –, nous pouvons être satisfaits : nous avons réduit le déficit budgétaire de 28 milliards de francs d’une année sur l’autre. Et nous nous sommes rapprochés de l’objectif européen, alors que, dans le même contexte économique, nos amis allemands s’en éloignaient.

La Tribune : Malgré tout, le déficit budgétaire ne devait pas dépasser 4 % du PIB pour respecter, en 1997, le seuil de 3 % imposé par le traité de Maastricht…

Alain Lamassoure : Nous ne sommes pas inquiets. À 4,1 %, on reste dans « l’épaisseur du trait ». Le tableau de marche que nous nous étions assignés était de revenir d’un déficit de 6 % du revenu national en 1994 à 5 % fin 1995 (ce qui a été fait), à 4 % fin 1996, et à 3 % fin 1997. Nous avons voté un budget 1997 cohérent avec cet objectif. À l’heure où nous parlons, nous ne connaissons de manière certaine que l’exécution du budget de l’État. Il faut rajouter les résultats des collectivités locales, des établissements publics de l’État et de la Sécurité sociale. Nous n’aurons les résultats définitifs de la Sécurité sociale qu’au mois d’avril. Mais, les éléments dont nous disposons aujourd’hui nous permettent d’être sereins.

La Tribune : On a parlé d’un gel de 15 ou 20 milliards de dépenses budgétaires sur 1997. La décision est-elle prise ?

Alain Lamassoure : Le principe en est retenu. Jean Arthuis et moi-même avons fait des propositions au Premier ministre. Il décidera dans les prochains jours. C’est une mesure de précaution en début d’année pour garder la pleine maîtrise de l’exécution budgétaire. C’est grâce à cela, d’ailleurs, que nous avons maîtrisé la dépense en 1996. Nous avions gelé 20 milliards, sur lesquels nous avons annulé 15 milliards de francs de dépenses. Il y a eu d’autres mouvements car, l’an dernier, nous aurons finalement annulé 31 milliards de francs de crédit. Cela nous a permis de maîtriser notre solde.

La Tribune : Sur quels postes ont porté les annulations de crédit l’an dernier ?

Alain Lamassoure : Les pays débiteurs de la France s’étant redressés, nous avons pu annuler les provisions réalisées. Nous avons donc enregistré des ressources supplémentaires à hauteur de 10 milliards, entre la Coface et la Banque française du commerce extérieur. Par contre, on a eu quelques dépenses non prévues à financer en cours d’année, notamment la prime automobile et les opérations militaires extérieures. Dans les deux cas, cela dépasse 3,5 milliards. Il y a eu également la majoration de l’allocation de rentrée scolaire, ou, naturellement, les dépenses liées à l’indemnisation des agriculteurs, pour les conséquences de la « vache folle ».

La Tribune : Un débat s’est engagé sur l’opportunité de la loi Robien et son coût. Avez-vous provisionné un dérapage ?

Alain Lamassoure : Nous avons prévu dans le budget 1997 800 millions de francs à ce titre, ce qui devrait permettre déjà de financer 10 000 à 15 000 emplois avec cette loi. Nous avons démarré sur un rythme de consommation assez élevé, c’est pourquoi le Premier ministre a décidé que l’on ferait le point vers le milieu de l’année. De toute manière, si nous étions amenés à accroître les moyens budgétaires, nous devrions le financer en réduisant d’autres types d’aides.

La Tribune : Aujourd’hui, quel taux de croissance envisagez-vous pour 1997 ?

Alain Lamassoure : Il est un peu trop tôt pour préciser nos prévisions 1997. Il faut se réjouir du fait que, manifestement, il y a un changement d’état d’esprit de tous les acteurs économiques. En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous avons maintenant les taux à long terme les plus bas depuis trente-trois ans. En ce qui concerne les changes, avec un dollar à près de 5,70 francs, une livre sterling qui est revenue pratiquement près de son taux plancher du SME, une lire italienne qui a réintégré le SME, tout nous laisse à penser que nous avons de bonnes chances d’atteindre un taux de croissance supérieur. Mais, pour l’instant, nous restons prudents. S’il y a une marge de manœuvre, nous verrons ce que nous en ferons.

La Tribune : Faut-il que les déficits publics descendent au-dessous de 3 % du PIB ?

Alain Lamassoure : Il faudra arriver au-dessous de 3 %. Ce n’est qu’à partir d’un déficit de 2 % du produit intérieur brut, dans le cas de la France, que l’endettement commencera à décroître.

La Tribune : Certaines dotations en capital d’entreprises publiques ont été différées l’an dernier, comme pour Thomson. Elles devraient alourdir les dépenses 1997…

Alain Lamassoure : Thomson Multimédia n’a pas encore été recapitalisée. Nous aurons à recapitaliser un certain nombre d’entreprises publiques en 1997, que celles-ci soient privatisables comme Thomson ou pas privatisables comme le Giat. Mais cela sera fait avec les ressources d’autres cessions de titres, comme ceux de France Télécom, et ces opérations financières sont neutres du point de vue de la comptabilité européenne.

La Tribune : Nous entrons dans une année électorale. Lorsque présentez l’horizon des 2 % de déficit, n’est-ce pas dangereux politiquement ?

Alain Lamassoure : Je ne dis pas que l’on présentera 2 % sur l’année 1998. Je dis qu’il faudrait arriver assez vite aux 2 %. D’une manière ou d’une autre, il faudra rembourser la dette passée ! Mais nous avons d’ores et déjà passé avec les Français un « contrat de croissance ». C’est tout le sens du budget 1997. Nous avons réduit les dépenses en francs constants, nous réduisons donc le déficit, et nous diminuons l’impôt sur le revenu (à hauteur de 25 milliards de francs cette année). Et nous avons fait voter le Parlement sur la poursuite de cette baisse de l’impôt et son amplification pendant les quatre années qui suivent.

Si le taux de croissance dépasse 2 % à 2,5 % par an, alors, nous rendrons davantage de pouvoir d’achat aux Français. Soit on accélérera la baisse de l’impôt sur le revenu, soit on baissera un impôt indirect (la TVA, la taxe sur les produits pétroliers) ou les cotisations sociales.

La Tribune : Mais pour les ménages, les baisses d’impôt sont compensées par la hausse de la fiscalité locale…

Alain Lamassoure : Il est souhaitable que tous les responsables des collectivités locales se rendent compte que les Français ont atteint le seuil de tolérance en matière fiscale. Il faut qu’ils s’engagent eux aussi dans la maîtrise de leur budget. Nous serons très attentifs à ce que l’État ne transfère pas des charges nouvelles aux collectivités locales – parce que, souvent, c’est un reproche qui est fait à l’État. Mais les dépenses qui ont le plus augmenté entre 1983 et 1996 au niveau local, ce ne sont pas les dépenses d’intervention, mais les dépenses de personnel avec des effectifs qui ont augmenté de 230 000 personnes, pour atteindre 1,4 million aujourd’hui.