Article de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "La Tribune" du 17 novembre 1999, sur la situation et le développement économique, l'organisation des temps sociaux et le syndicalisme de proximité.

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Circonstance : 47 ème congrès de la CFTC à Dijon du 17 au 20 novembre 1999

Média : La Tribune

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Il serait bien imprudent d'afficher des certitudes sur l'avenir de notre société au siècle prochain, tant notre environnement se transforme vite et profondément, dans la rupture des frontières traditionnelles de l'espace et du temps, et jusqu'aux fondements de la culture et de la spiritualité.

Notre développement personnel dispose de nouveaux moyens de réalisation, ne serait-ce qu'avec le modem qui donne un grand coup de vieux au kilomètres de rayons des plus grandes bibliothèques. Encore faudra-t-il que ce développement s'enracine dans le réel et la vie sociale. L'individualisme est un des risques des temps qui viennent. Jusqu'où irons-nous dans un isolement où chacun se fait son monde et sa vérité selon ses propres désirs ? Les choix d'organisation sociale devront viser à renforcer les liens sociaux, pour nous prémunir de l'extension des solitudes et donner toute sa dimension au développement humain.

Les perspectives démographiques vont faciliter le retour au plein emploi, après des décennies de destruction sociale par le chômage. Mais elles annoncent aussi une Europe de vieux. Espérons que ceux qui ont capacité de faire l'opinion découvriront enfin que le lien social s'expérimente essentiellement dans les premières années de la vie, au sein d'une famille, et que la capacité éducative des familles doit être l'objet d'attentions prioritaires.

Il faut du « mieux d'État ».

Dans le secteur économique, la contrainte dominante est celle de la mondialisation, de plus en plus affranchie des entraves technologiques et financières. Après la mondialisation esclavagiste et colonisatrice, après la mondialisation de la guerre, la mondialisation économique annonce à la fois des chances exceptionnelles de prospérité partagé et des risques sérieux de nouvelles injustices. C'est pourquoi un équilibre devra être trouvé entre la nécessaire liberté d'entreprendre et la tout aussi nécessaire justice sociale. La question des régulations économiques et sociales mondiales sera d'actualité à travers les négociations de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) et leurs relations avec les normes sociales internationales. On voit là les dangers d'une revendication idéologique ou intéressée du « moins d'État », alors qu'il faut du « mieux d'État ».

Les conditions technologiques permettent aujourd'hui une stratégie mondiale de développement pour tous, dans le respect des différentes cultures des grandes régions du monde. Ce serait un projet mobilisateur, dans lequel l'environnement prendrait une place importante. Trouvera-t-on les volontés politiques pour l'entreprendre ? L'Union européenne devrait en tout cas y jouer un rôle moteur.

La chute du mur de Berlin a entraîné celle de la loi supposée inexorable de l'Histoire. On a fini par reconnaître que les idéologies du bonheur clés en main pouvaient déboucher sur le mépris de l'homme. C'est pourquoi les organisations syndicales françaises nées de la dialectique marxiste sont engagées dans un difficile aggiornamento qu'il faut encourager. Cette évolution sera longue car notre pays est encore profondément marqué par la culture de lutte des classes, même si le concept a beaucoup vieilli. Espérons que notre entrée dans le siècle correspondra à une plus grande maturité sociale, notamment avec une revitalisation du partenariat social. Le Medef en parle. Reste à savoir ce qu'il met derrière les mots.

Le développement de la participation, non seulement dans ses aspects institutionnels et financiers mais jusque dans les aspects les plus concrets de la vie du travail, du quotidien au stratégique, sera sans doute un des signes de la maturité sociale. Les femmes, en particulier, tiendront de plus en plus leur place comme actrices et partenaires de la vie de leur entreprise. La précarité est un fléau qui ronge la cohésion sociale et qu'il faudra vaincre dans les années à venir. La CFTC pense qu'il faudra en venir à un nouveau statut du travail garantissant la continuité des droits sociaux face à tous les changements de la vie professionnelle, comme dans un contrat social à durée indéterminée.

Ce nouveau statut devra s'intégrer dans une vision globale de l'activité humaine, notamment pour une harmonisation plus fluide des temps sociaux : temps de formation personnel, temps d'éducation, de travail, associatif, social, familial, culturel.

Syndicalisme de proximité.

Au-delà des activités professionnelles, le temps consacré à une activité sociale d'utilité publique devrait être largement reconnu dans ce contrat social. Cela aurait l'avantage de donner un nouvel équilibre aux régimes solidaires de protection sociale. Faute de cela, nous irons vers une protection sociale à deux vitesses. Cela permettrait également que l'investissement collectif se tourne davantage vers les activités rentables sur le long terme, prenant en compte tous les aspects du développement humain au sein de la société, c'est-à-dire d'inventer une « écologie humaine » qui inspire tous les aspects de l'économie. Que sera le syndicalisme lui-même ? Nul doute qu'il sera toujours nécessaire, et qu'il devra trouver les moyens de rassembler effectivement le plus grand nombre de salariés. Le mandatement dans les PME a révélé l'étendue des attentes. La priorité est certainement à un syndicalisme de proximité, attentif aux besoins des salariés et des chômeurs, en information, en formation, en relations humaines, en protection.

La coopération entre centrales syndicales doit se renforcer. Les salariés et les chômeurs le souhaitent. Mais il est important de garantir un vrai pluralisme syndical. Il existe en Europe deux principaux courants syndicaux : le courant social-démocrate et le courant social-chrétien. Le développement du courant social-chrétien en Europe est une priorité pour la CFTC, car notre société a besoin d'un syndicalisme de valeurs, porteur de sens. Ce syndicalisme de valeurs aura pour mission de replacer l'être humain au centre de l'entreprise et de faire en sorte que la croissance soit mise au service de tous.