Interview de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, dans "Les Echos" le 30 septembre 1999 sur le projet de loi sur la formation professionnelle en 2001, notamment le financement de l'apprentissage, la validation des acquis professionnels, le droit individuel de formation.

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Brigitte Perucca : Lionel Jospin a annoncé lundi un projet de loi sur la formation professionnelle en 2001, mais aussi des mesures législatives dès avril. Pourquoi avoir choisi de scinder la réforme en plusieurs volets ?

Nicole Pery : Le Premier ministre a bien voulu retenir le schéma en quatre étapes que je lui ai soumis il y a quelques semaines : des expérimentations, des actes législatifs au printemps dans le cadre d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social sur le financement de l'apprentissage et la validation des acquis professionnels, une concertation avec les partenaires sociaux et enfin le projet de loi sur le droit individuel à la formation. En étudiant de très près tous les volets de la réforme de la formation professionnelle. il m'a semblé qu'un certain nombre de questions pouvaient être réglées par circulaires ou par décrets, sans attendre le vote de la loi.

Brigitte Perucca : Pourquoi une première étape d'expérimentations ?

Nicole Pery : Cette étape me tient très à cœur. J’ai été frappée par l’éclatement des structures d'orientation et de formation professionnelle au niveau des régions, qui sont des partenaires majeurs dans ce domaine. Je veux montrer qu'il est possible de faire travailler en partenariat toutes les institutions qui interviennent sur le champ de la formation de telle manière qu'un salarié ou un demandeur d'emploi puisse avoir accès – soit dans un même lieu, soit grâce à la mise en réseau de ces institutions – à toutes les informations dont il a besoin : orientation, validation des acquis, offres de formation, etc.
Je me suis rendue récemment en Aquitaine pour le lancement d’un partenariat entre le conseil régional et l'ANPE. Je passerai contrat prochainement avec le Conseil régional du Centre. Poitou-Charentes, Paca, Midi-Pyrénées, Nord -Pas-de-Calais, et d'autres suivront.
Tant, à travers ces expérimentations que par les mesures réglementaires et législatives sur la validation des acquis qui suivront, ma démarche vise à préparer le terrain pour une bonne mise en œuvre du droit individuel, transférable et garanti collectivement, qui constitue le cœur de la réforme.

Brigitte Perucca : Quels objectifs poursuivez-vous sur le financement de l'apprentissage ? Ne craignez-vous pas de réveiller des tensions à peine apaisées entre les différents collecteurs de ta taxe d'apprentissage ?

Nicole Pery : Mon regard sur ces problèmes de financement n'est pas celui d'un inspecteur des finances : mon seul souci est d'améliorer l'efficacité du dispositif. Or, il existe de très fortes inégalités entre les centres de formation d'apprentis (CFA).
Les mesures réglementaires que nous préparons seront de trois ordres. D'abord, pour améliorer la transparence, je souhaiterais que chaque CFA affiche le coût de chacune de ses formations, de façon à ce que les régions, qui contribuent au financement des CFA, puissent le faire en connaissance de cause. C'est une petite révolution, mais je crois qu'il n'y a pas, sur ce point, de blocages majeurs. Ensuite, je voudrais faire en sorte que l'entreprise ait un lien direct avec le CFA, qu'elle puisse lui verser sa taxe d'apprentissage, sans passer nécessairement par un organisme collecteur. Enfin, dans un souci de simplification, je suis favorable à une réduction du nombre des collecteurs – ils sont plus de 600.actuellement ! – avec une collecte à un  niveau régional.

Brigitte Perucca : Pourquoi à ce niveau ?

Nicole Pery : Comme pour les expérimentations mon souci est de favoriser des décisions concertées et équilibrées entre branches professionnelles et territoires. Quand je suis arrivé dans le  ministère, il y avait un projet de réforme de la collecte de la taxe d'apprentissage qui 1a recentrait sur les branches. Cette piste ne me paraît pas respecter ce souci d'équilibre. Bien entendu, toutes ces hypothèses vont être étudiées avec les partenaires concernés, qu'il s'agisse des représentants des salariés, des entreprises ou des chambres de commerce et de métiers.
L'important, c'est d'apporter la preuve qu'il est possible de fixer de nouvelles règles du jeu, claires, équitables et transparentes, alors que beaucoup de gens ont le sentiment que le système de formation continue, parce que trop complexe et soumis à des intérêts y compris financiers, n'est pas réformable.

Brigitte Perucca : La loi de 1992 permet déjà la validation des acquis professionnels. S'agit-il tout simplement de l’améliorer ?

Nicole Pery : La loi de 1992 a effectivement ouvert la voie mais elle n’est pas suffisante. La validation des acquis professionnels est un outil majeur dont la logique est liée à la définition du droit individuel à la formation. Notre premier travail a .été de clarifier les rôles de chacun : les compétences sont du domaine de l'entreprise, mais quand le salarié quitte l'entreprise, il a droit à une certification et à une reconnaissance de ses qualifications. La formation tout au long de la vie ne doit pas se réduire à la formation en entreprise.
Tout, dans ce domaine, est à construire. Pour valider les acquis, il nous, faut adapter notre système de certifications publiques que sont les diplômes, il doit exister une certification paritaire, élaborée, comme c'est le cas aujourd'hui, avec les certificats de qualification professionnelle, par les branches. Mais ces deux certifications ne peuvent être concurrentes, elles doivent être complémentaires.
À l'éducation nationale, Claude Allègre est convaincu de la nécessité de mettre en place cette validation des acquis. De son côté, le Medef évolue positivement. Il s'interroge sur la façon de passer des compétences aux qualifications. Cette réforme devrait justement ouvrir un champ nouveau de négociation au niveau des conventions collectives.

Brigitte Perucca : Vous vous apprêtez à réunir les partenaires sociaux prochainement. Qu'est-ce qui vous permet de penser qu'ils sont prêts à jouer le jeu de la négociation ?

Nicole Pery : La date de cette réunion de travail n'est pas encore fixée, elle se tiendra probablement fin octobre, début novembre: La volonté politique est clairement exprimée. Reste, il est vrai, aux partenaires sociaux à se mobiliser. J'ai le sentiment que les confédérations commencent à se saisir du sujet. À Strasbourg, le Premier ministre, les a conviées à ouvrir une concertation, c'est le mot qu'il a employé. Il leur a donné rendez-vous dans un an pour les assises de la formation professionnelle. Je souhaite qu'elles saisissent cette opportunité. Bien sûr, je n'ignore pas que les 35 heures ont mobilisé ces derniers temps l'essentiel des énergies. Mais je fais le pari qu'en 2000, ce dossier ayant été dépassé, les partenaires sociaux prendront leurs responsabilités. il y a cette saisine du Premier ministre, mais il y a aussi et surtout les besoins des entreprises. Si le débat se dépolitise, s'il est traité comme un enjeu de société, on devrait pouvoir avancer dans le respect du dialogue social.

Brigitte Perucca : Comment s'articulera la future loi avec la seconde loi sur les 35 heures ? Souhaitez-vous le retrait pur et simple de l’article 10, qui traite de la formation, comme l'ont demandé certains parlementaires socialistes ?

Nicole Pery : La balle est dans le camp du Parlement. En indignant que cet aspect de la loi était négociable, Martine Aubry a ouvert le jeu. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a nécessité de concevoir à la fois un dispositif qui permette d'avaliser les accords passés dans les entreprises et les branches sur la réduction du temps de travail tout en laissant un espace pour la future loi.