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France 3
ELISE LUCET : Démonstration de force du patronat contre la deuxième loi sur les 35 heures. Le MEDEF a réuni au moins 25 000 chefs d'entreprise aujourd'hui à Paris. Notre invité ce soir, Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons. Bonsoir. Vous avez manifesté aujourd'hui contre les 35 heures, pourtant, dans certaines entreprises, comme chez Ikea, ça fonctionne.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : C'est une grande multinationale suédoise, avec énormément de directeurs des ressources humaines, énormément de sites, beaucoup beaucoup de personnel, très bien organisée, elle a fait les 35 heures, ça a l’air de marcher. Tant mieux, mais les quelque 30 000 patrons, comme on disait, entrepreneurs comme nous disons, qui se sont rassemblés aujourd'hui à la porte de Versailles à notre appel, ne sont pas dans ce cas-là, et eux, sont tous contre les 35 heures.
ELISE LUCET : Alors, justement, vous avez réuni aujourd'hui, et c'est assez exceptionnel, entre 25 et 30 000 patrons porte de Versailles à Paris. Pourquoi, d'après vous, les chefs d'entreprise se sont-ils ce point mobilisés ? Est-ce parce qu'ils ont eu l'impression d'être ignorés ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, ils sont ignorés, ils sont méprisés selon eux dans notre pays, on ne les consulte pas, on ne les écoute pas. Ils ont pourtant envoyé 200 000 lettres à Madame Aubry pour lui dire : ne faites pas les 35 heures de cette manière, n'imposez pas à tout le monde, notamment pas à eux, les petits, les modestes. Et ça n'a pas été écouté du tout. Alors, nous avons senti que c'était nécessaire de rassembler. Nous avons rassemblé. Et, à notre surprise, on est venu en masse, on est venu en masse de la province. C'étaient des petits et modestes entrepreneurs qui en ont assez et qui l'ont dit très fort, et quelquefois fortement et quelquefois même assez violemment dans l'expression.
ELISE LUCET : Alors, justement, succès aujourd'hui - 25 a 30 000 patrons réunis -, la loi est discutée à partir de demain à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ? Descendre dans la rue ? Manifester comme la CGT ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Descendre dans la rue, ça peut se faire. Regardez la CGT le fait.
Nous n'en sommes pas encore à, mais si nous continuons, en effet à ne pas être écoutés, si le dialogue social qui, pour nous, est la manière de mettre en place les 35 heures est bafoué, si on ne suit pas les accords que nous avons négociés, alors je pense en effet qu'il y aura une réaction encore plus forte contre les 35 heures que les entrepreneurs ne peuvent pas et ne veulent pas mettre en place dans l'infinité des cas : 1 % seulement des entreprises, vous l'avez dit, 15 000 entreprises ont signé un accord, d'ailleurs à leur avantage, tant mieux pour elles. 1,2 million d'entreprises ne le peuvent pas.
ELISE LUCET : On a entendu des patrons aujourd'hui lors de ce grand rassemblement du MEDEF, brandit notamment la menace de la délocalisation. Va-t-on, d'après vous, en arriver à ce genre d'extrêmes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que si on persiste, en effet, à ignorer la manière dont une entreprise française peut être dans la concurrence mondiale, etc, il y aura énormément d'idées de laisser glisser en dehors de France les entreprises, les créations d'entreprises, les jeunes créateurs d'entreprises. Et donc, nous aurons ce que l'on appelle la délocalisation passive. Ce n'est pas une usine qui ferme et qu'on emmène, mais c'est tous les plans de développement qui se feront ailleurs. Et ça, vous savez, nous voulons à tout prix l'éviter parce que ce serait un très grand recul pour l'emploi, pour l'expansion en France et très mauvais pour notre pays. Et nous, les entrepreneurs, nous voulons faire réussir notre pays, ce qui a été dit très fortement aujourd'hui.
ELISE LUCET : Ernest-Antoine Seillière, merci.
TF1
JEAN-CLAUDE NARCY : Nous avons vu tout à l'heure les réactions politiques. Alors pour clore ce dossier, il nous a semblé intéressant de connaître celle des chefs d'entreprise dont il était l'un des interlocuteurs privilégiés dans ce gouvernement. Nous allons rejoindre le président du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière, qui annonçait aujourd'hui devant la presse que son mouvement ne se retirait pas pour l'instant des organismes sociaux, comme il en avait menacé le gouvernement il y a quelque temps sur le dossier des 35 heures. Monsieur Seillière bonsoir.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bonsoir.
JEAN- CLAUDE NARCY : Quelle est d'abord votre réaction à la démission de monsieur Strauss-Kahn ? Est-ce que vous ne perdez pas ainsi un allié ? Ne restez-vous pas en tête-à-tête à présent avec ce que l'on peut appeler votre bête noire, Martine Aubry ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous demandons à tout ministre de la République d'être à l'écoute des chefs d'entreprise. Dominique Strauss-Kahn l’était, c'était un homme compétent et estimé. Mais disons-le tout à fait franchement, en dépit de très bonnes relations de travail que nous avions avec lui, il était très solidaire de la politique du gouvernement sur ces aspects que nous réprouvons, comme par exemple les 35 heures, et il a été tout de même l'inventeur de bien de nouveaux impôts sur les entreprises. Son départ, pour nous, très honnêtement, ne change rien. Mais nous avons le sentiment que sur le plan international, il avait une place très importante et que, de ce fait, son départ et les circonstances de son départ, ne servent pas l'image économique de notre pays à l’étranger.
JEAN-CLAUDE NARCY : Et puisque vous parliez des 35 heures, justement, sur le financement des 35 heures, le gouvernement a fait une marche arrière i1 y a quelques jours. Aujourd'hui vous faites encore de la Résistance, on a l'impression que vous en voulez toujours plus ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non. Je crois, si vous voulez, que nous avons, comme position de bon sens, demande que les cotisations des salariés et des entreprises ne servent pas à financer le temps libre des 35 heures, c'est ce que l'on appelle le jardinage et le bricolage. Quel Français ne serait pas d'accord avec nous là-dessus ? Nous avons également pour position de dire que les accords très nombreux que nous avons signés avec les syndicats pour l'application des 35 heures doivent être respectés par la loi. Quel Français ne serait pas également d'accord avec nous là-dessus ? Nous avons, en fait, des positions de bon sens et nous demandons, avec détermination, que le gouvernement veuille bien nous rejoindre sur ce terrain du bon sens. Un premier pas a été fait et nous en attendons maintenant d'autres, mesures mais nécessaires.
JEAN-CLAUDE NARCY : Une dernière question. On a l'impression ce soir que vous voulez contourner le gouvernement pour un rapport plus direct avec les syndicats qui vous ont d'ailleurs bien soutenu sur le dossier des 35 heures.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui. Les syndicats sont nos interlocuteurs tout à fait naturels pour déterminer avec les entrepreneurs les conditions dans lesquelles on peut à la fois gérer les organismes sociaux et faire réussir l'emploi en France. Nous avons donc avec eux des relations très étroites, et nous leur avons proposé aujourd'hui de travailler ensemble à la refondation du système social français. Il a aujourd'hui 50 ans, le paritarisme comme on dit est usé, il a été surabondamment pris en main par l'Etat qui règne sur tout cela avec une immense force et avec domination. Et nous pensons que les syndicats et les entrepreneurs peuvent, de bonne foi et avec bons sens, en prenant leur temps, proposer et prendre l'initiative de proposer à notre pays une véritable refondation de la gestion des systèmes sociaux. C'est ce que nous avons donc proposé ce matin. Quoi de plus naturel que de voir les entrepreneurs et les syndicats travailler ensemble dans le domaine social. Je crois que c'est là aussi le bon sens et nous y travaillons.
JEAN-CLAUDE NARCY : Merci monsieur Seillière.