Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur l'oeuvre architecturale de Jean Dubuisson, et sur la création d'un musée sur un site archéologique gallo-romain, à Paris le 3 décembre et Deneuvre le 13 décembre 1996.

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Circonstance : Remise du Grand Prix d'architecture et des Grands Prix nationaux, et hommage à Jean Dubuisson, le 3 décembre à Paris. Inauguration du musée "Les Sources d'Hercule" à Deneuvre le 13 décembre 1996

Texte intégral

Grand prix national d’architecture - mardi 3 décembre 1996

Cher Bernard TSCHUMI,

L’architecture est pour vous le contraire d’un lieu clos, d’un lieu cloisonné, d’un lieu qui se serait refermé : et ce n’est évidemment pas un hasard si la belle idée de lieu ouvert s’est imposée comme étant au cœur de votre action et de votre pensée architecturale.

Lieu ouvert aux influences venues d’autres disciplines et à l’action de l’architecture sur celles-ci, lieu ouvert à la réflexion, lieu ouvert aux expériences nouvelles.

Ce n’est pas par simple éclectisme que vous vous référez à d’autres disciplines : urbanisme, littérature avec Georges BATAILLE, philosophie avec Jacques DERRIDA, mais aussi cinéma ou physique. Cela traduit bien plutôt des choix qui font une large place aux jeux d’influence, d’interférences et d’interdisciplinarité.

Mais surtout, cela traduit une véritable pensée de l’architecture. Puisque j’évoque cet aspect de votre carrière, qu’il me soit permis de saluer ici le théoricien, qui à travers ses diverses activités d’enseignement et de recherche, a contribué à donner une cohérence nouvelle à l’architecture.

Doyen de la faculté d’architecture de Columbia, vous inscrivez ce souci constant d’interaction entre la pensée fondatrice et la pratique réalisatrice. Je signalerai, encore, le titre de vos principaux ouvrages, dont un seul a été traduit en français à ce jour : Praxis : villes-événements.

C’est en 1983 que vous êtes lauréat du concours international pour le parc de la Villette à Paris. Avec ce projet, véritable tournant dans votre carrière, vous faites la démonstration magistrale que votre réflexion peut passer avec une grande aisance à la pratique.

Divers projets prestigieux vont vous êtes confiés par la suite, notamment par le ministère de la culture : le studio national des arts contemporains au Fresnoy, l’école d’architecture de Marne-la-Vallée ou le centre d’activité des étudiants de l’université de Columbia.

Par ailleurs, vous avez développé une activité d’urbaniste-conseil auprès de grandes métropoles : New York, Lausanne ou Montréal.

Ces travaux très divers prouvent à quel point chez vous les espaces de réflexion et du travail architectural s’interpénètrent et se fécondent. Ils font de vous le pionner d’une architecture du XXIe, comme vous aimez à vous définir. C’est à dire que je suis heureux de vous remettre le grand prix national de l’architecture pour 1996.


Grands prix national 1996 - mardi 3 décembre 1996

Nous sommes réunis, ce matin, à la Comédie française – et je remercie Jean-Pierre MIQUEL de son accueil –, pour rendre hommage à des hommes et à des femmes qui, par leur talent, leur savoir, leur savoir-faire, par leur persévérance aussi, à répondre à l’appel de leur vocation comptent, désormais, parmi les plus brillants acteurs de notre vie culturelle.

En recevant ces grands prix, matérialisés par un très beau diplôme conçu par deux anciens grands prix nationaux, Jésus-Raphaël SOTO et Jean WIDMER, les lauréats doivent être sûrs que c’est notre pays tout entier qui les remercie d’être devenus ce qu’ils sont.

En allant jusqu’au bout de leur rêve, ils auront beaucoup donné à leurs concitoyens. Ils y ont trouvé le bonheur, mais ils ont fait celui de leurs contemporains.

En se mettant au service de leur passion, ils ont servi leur pays, puisque celui-ci pour demeurer ce qu’il est, a besoin, au plus haut point, d’artistes et d’hommes qui transmettent ce qu’il y a de meilleur de l’homme.


Hommage à Jean DUBUISSON, le mardi 3 décembre 1996

L’année 1995 avait été marquée, dans le domaine culturel, par une décision de première importance et de haute valeur symbolique prise par le Premier ministre : le rattachement de l’architecture au ministère de la culture. C’est maintenant chose accomplie, avec la mise en place, au cours de cette année 1996, de la nouvelle direction de l’architecture.

L’architecture à la culture ? On est étonné qu’il ait jamais pu en être autrement. N’est-elle pas, selon la déclaration solennelle de l’article 1er de la loi du 3 janvier 1977, une « expression de la culture » ?

Cette formule n’a rien de théorique. N’identifions nous pas les civilisations d’hier, d’abord au travers des témoignages architecturaux qu’elles nous ont laissés ? Ne prenons-nous pas conscience, quotidiennement, que nos réponses architecturales et urbaines d’aujourd’hui – je lis volontairement architecture et ville, car ce sont deux termes et deux réalités indissociables – exprimes, non seulement, nos goûts esthétiques, mais aussi et d’abord nos choix de société, et conditionnent l’évolution de nos civilisation ?

Au sens dynamique du terme, l’architecture appartient ainsi totalement au domaine culturel. Elle en constitue l’élément le plus proche, le plus intimement présent dans la vie de chacun.

J’ai donc voulu marquer solennellement ce retour de l’architecture au sein du ministère de la culture, en décidant d’intégrer la remise du grand prix de l’architecture dans cette cérémonie annuelle de nos grands prix nationaux.

De plus, d’une manière toute aussi exceptionnelle que l’est ce retour, j’ai tenu à ouvrir cette cérémonie par un hommage à un architecte qui, par la richesse de sa longue carrière et la diversité de son œuvre, illustre et incarne tout ce que je viens de dire sur l’importance culturelle de l’architecture.

Cher jean DUBUISSON, c’est un grand plaisir de pouvoir, à l’occasion de cette cérémonie, rendre hommage à l’un des architectes les plus marquants de notre époque.

C’est au lendemain de la première guerre mondiale que vous réalisez l’un de vos premiers projets, en 1951. Il s’agissait des logements du Shape Village, à Saint-Germain-en-Laye, destinés à accueillir des officiers du quartier général des forces alliées en Europe.

C’est à cette époque aussi, et vous êtes en cela un précurseur, que vous commencez à tirer parti d’un nouveau procédé de fabrication, le procédé Camus, qui permet une mise en œuvre rapide sur les chantiers de fabrication. Enfin, ces années de formation sont pour vous des années de dialogues avec les grands maîtres de la génération précédente : GROPIUS, Le CORBUSIER, Arne JACOBSEN.

Très vite, vous allez vous pencher sur ce qui sera l’essentiel de votre œuvre : les problèmes de l’habitat et la construction des grands ensembles. Ainsi, tout au long des trente glorieuses, vous allez accumuler les réalisations, à Paris, Roubaix, Biarritz, Chambéry, Metz. Chaque fois, vous vous efforcez de concilier fonctionnalité et beauté. Vous y parvenez en dessinant des édifices d’une grande élégance plastique, à la limite de l’abstraction. La clarté, la pureté, l’équilibre deviennent votre image de marque.

Dans le cadre de la commande publique, nous vous devons aussi, évidemment, un musée novateur qui a fait date, celui des arts et traditions populaires, au cœur du bois de Boulogne.

Il y aurait encore beaucoup à dire, cher Jean DUBUISSON, pour donner une image vraiment fidèle de tout ce que vous avez apporté à l’architecture de notre temps. Laissez-moi seulement vous remercier encore pour tous ces gens à qui, tout au long d’une carrière exemplaire, vous avez proposé bien plus que des logements : de véritables lieux de vie.

 

Inauguration du musée Les Sources d’Hercule de Deneuvre, le vendredi 13 décembre 1996

Je suis très heureux d’être, aujourd’hui, parmi vous, pour découvrir et inaugurer un nouveau lieu de culture, sur un site correspondant à une importante bourgade gallo-romaine, à double vocation, religieuse et artisanale.

Ici, grâce à la volonté de vous tous, à la faveur des fouilles archéologiques et des études scientifiques, par la magie de la scénographie, un site archéologique constitué de bassins rituels, alimentés par des sources et de stèles à l’effigie du dieu Hercule, est devenu un véritable musée.

Je me réjouis de l’existence d’un tel lieu, susceptible d’attirer un large public en milieu rural, exemplaire du point de vue de l’aménagement du territoire, alors qu’on constate un regain d’intérêt pour le tourisme culturel, notamment patrimonial.

Mesdames et Messieurs, nous étions à l’instant à Fontenoy-la-Joute, où j’ai pu découvrir une autre illustration, particulièrement emblématique de ce qu’est l’action des pouvoirs publics et de mon ministère en particulier, en faveur de l’aménagement culturel des espaces ruraux.

Le pays de lunévillois où vous m’accueillez aujourd’hui fait la preuve qu’il mise avec nous sur la culture pour construire son avenir. Il le fait, ici, en tirant le meilleur parti d’une découverte archéologique extraordinaire.

Il le fait à Fontenoy-la-Joute, en se lançant dans l’aventure du village du livre. Il le fait, également, en se mobilisant pour la restauration du château de Lunéville, site historique de très grande valeur, dont le maire, en accord avec le conseil général et les services du ministère de la culture a décidé d’entreprendre la valorisation.

D’ailleurs, les monuments historiques, quand ils sont valorisés, sont un excellent facteur de développement économique en milieu rural. Le pays du lunévillois en recèle un grand nombre et, parmi eux, le château de Gerbéviller, avec son magnifique nymphée.

Ces projets et ces réalisations administrent la preuve du réel dynamisme, aujourd’hui, de territoires jadis oubliés sur le plan culturel. Ils m’encouragent dans la voie que j’ai tracée pour le ministère de la culture et qui me conduira, en 1997, à consacrer les deux tiers des crédits de mon ministère à des actions dans les régions françaises.

N’oublions cependant pas Deneuvre. Je crois qu’il est important de rappeler quelques-unes des missions essentielles d’un musée : la conservation, bien sûr, mais aussi l’éducation et la formation du goût et de la sensibilité.

J’ai réaffirmé, récemment, ma volonté d’élargir et de fidéliser le public des musées. Le succès de la dernière édition de l’opération nationale l’Invitation au musée, en Lorraine comme dans toute la France, confirme l’intérêt de nos concitoyens pour ce type d’équipement. La gratuité du musée du Louvre, le premier dimanche de chaque mois, favorise, d’ailleurs, la fréquentation des chefs-d’œuvre par le plus large public.

Nous sommes en présence, ici, d’une ensemble archéologique particulièrement intéressant, puisque les stèles qui représentent le dieu Hercule et ses attributs traditionnels constituent près du tiers de la statuaire d’Hercule découverte en Gaule.

Je tiens à féliciter tous ceux qui à force de ténacité et d’enthousiasme, ont mis en avant l’intérêt scientifique du site et concourus à la réalisation de l’archéosite de Deneuvre.

Découvert en 1974, le sanctuaire dédié à Hercule a fait l’objet de fouilles systématiques par la société d’archéologie de Deneuvre, sous la direction de Gérard MOITRIEUX, jusqu’en 1984. Quelques années plus tard, la municipalité de Deneuvre, le conseil général de Meurthe-et-Moselle et l’État ont décidé de mettre en valeur ce site.

D’autres étapes ont émaillé la mise en œuvre de ce projet : la construction d’un bâtiment pour abriter le mobilier par Monsieur COLLIN, architecte ; l’agrément du fonds de sculptures par le ministère de la culture, à l’instigation de Madame LAUMONT, conservateur du musée et fonctionnaire du conseil général de Meurthe-et-Moselle ; les études scientifiques réalisées par Monsieur MARCHAND, architecte, et Monsieur BATIFOULIER, scénographe-muséographe.

J’ajoute que les contributions financières du conseil régional de Lorraine et de l’Union européenne, rejoignant celles de l’État, du conseil général de Meurthe-et-Moselle et de la commune ont favorisé l’accomplissement de cette opération.

J’apprécie le caractère original de la scénographie déclinée dans ce lieu. Le parcours muséographique recrée, notamment dans le cœur du sanctuaire, une ambiance sereine, empreinte du  mysticisme, telle que l’on vécue les pèlerins antiques.

La circulation de l’eau dans les bassins, élément qui permettait, naguère, d’entrer en contact avec le dieu Hercule, accroît la magie du lieu.

Une citation de SENEQUE magnifie son action : « j’ai vaincu le chaos de l’éternelle nuit, et ce qui est pis encore, les deux sombres, le destin : après avoir triomphé de la mort, me voici revenu »…

Je souhaite plein succès à ce nouveau musée placé, ainsi, sous les meilleurs auspices.