Interviews de M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence, dans "Le Parisien" du 4 janvier et "La Croix" du 11 janvier 1997, sur l'hébergement d'urgence des sans domicile fixe et le rôle du Samu social et des associations caritatives (refus de la contrainte).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Arrêté de Philippe Schmit, maire PS de Longjumeau (Essonne), imposant l'hébergement aux sans domicile fixe du 2 janvier au 15 avril 1997

Média : La Croix - Le Parisien

Texte intégral

Le Parisien - 4 janvier 1997

Le Parisien : Que pensez-vous de l'initiative prise par le maire de Longjumeau, Philippe Schmit ?

Xavier Emmanuelli : C'est une fausse bonne idée. Elle part d'une bonne intention mais elle est parfaitement inapplicable, Par expérience, on sait que les sans abri récalcitrants emmenés de force se sauvent dès qu’ils le peuvent d'un centre d’hébergement. Vous ne voulez tout de même pas les enfermer ! Et puis cette mesure comporte de vrais risques : les SDF, sachant qu'ils pourront être « embarqués » se cacheront. Et là, ils échapperont définitivement à toute aide, à tout regard...

Le Parisien : On ne peut donc pas, selon vous, sauver quelqu'un contre son gré ?

Xavier Emmanuelli : Non, il s’agit de respecter les principes absolus de liberté, de dignité, d'aller et venir, bref, les droits de l'homme. Il faut tout faire pour aider les sans abri : dialoguer avec eux, les convaincre, les écouter, c'est pour cela que j'ai créé le Samu social. Mais on ne doit jamais les contraindre, c'est à la fois inacceptable et inefficace.

Le Parisien : Et lorsqu'il y a danger de mort ?

Xavier Emmanuelli : Si vous invoquez par là le devoir d'assistance à personne en danger, alors on devrait l'invoquer tout au long de l'année envers les sans abri, et pas seulement en hiver. S'il y a un danger de mort immédiat - je dis bien immédiat - évidemment, notre premier devoir est d'hospitaliser le sans abri. Pour le reste, s'il fallait emmener de force, contre leur gré, toutes les personnes que l'on juge en danger, où irait-on ?

Le Parisien : Aujourd'hui, l'initiative du maire de Longjumeau a permis de poser le débat...

Xavier Emmanuelli : C'est vrai. Mais je ressens un vrai malaise face à ce débat, j'ai l'impression qu'on revient des années en arrière à l'époque où, à Nanterre, les policiers de la brigade d'assistance aux personnes sans abri embarquaient les SDF de force. Je me suis battu pour que de telles pratiques cessent. Ce n'est pas pour qu'on recommence aujourd'hui !

 

La Croix - 11 janvier 1997

La Croix : Le sondage de l'institut CSA pour La Croix indique que 54 % des personnes interrogées sont plutôt pour la contrainte concernant l'hébergement d'urgence des SDF, Comment interprétez-vous ce résultat ?

Xavier Emmanuelli : Il montre que le problème n'a pas encore été suffisamment expliqué. Quand les personnes sans abri ont peur d'être emmenées de force, elles se cachent. Et c'est là qu'en période de froid elles sont le plus en danger. Le respect de leur dignité rejoint donc le réalisme. Le Samu social et les associations caritatives mettent en œuvre le devoir d'assistance à personne en danger et c'est la seule approche valable.

J'ajoute une objection de principe. Plus vous êtes petit, fragile, démuni, exclu, plus vos droits de l'homme sont contestés. On suppose que vous n'avez pas de bon sens. Or, si vous réclamez le droit de vote pour les SDF il faut aussi respecter leurs droits de citoyens. J'ai trop connu pour ma part l'époque où les gens étaient « ramassés » ainsi. Je n'ai constaté, bien souvent, que dérision et sarcasmes envers ces personnes considérées comme des récidivistes.

La Croix : Le premier ministre a envisagé la fin d'un certain type de centre d'hébergement qualifié de « concentrationnaire » par un responsable de l'Armée du salut. Quelles sont les solutions de remplacement ?

Xavier Emmanuelli : Ces hébergements doivent disparaître. Parce qu'ils sont totalement insalubres et qu'il y règne souvent la loi des caïds. Il faut rappeler que ces grands centres d'hébergement sont un héritage du XIXe siècle. Ils ont été conçus pour abriter temporairement les travailleurs saisonniers, non pour des SDF d'aujourd'hui.

La Croix : L'heure est donc aux unités plus petites ?

Xavier Emmanuelli : Les professionnels sont unanimes sur ce point. Il s'agit d'une formule permettant d'héberger entre 30 et 50 personnes. Ces petites unités doivent être gérées par des professionnels qui travaillent en réseau. L'hébergement d'urgence n'est qu'une première étape en matière de lutte contre l'exclusion. Il n'y a pas de procédures automatiques. L'accompagnement personnalisé est donc indispensable. Par ailleurs, tout le monde s'accorde à développer, dans la chaine de l'hébergement, un nouveau réseau de pensions de famille, de lieux de vie permettant de concilier espace privé et espace public.

La Croix : Quelles conclusions tirez-vous de cette première vague de froid ?

Xavier Emmanuelli : Je soulignerais tout d'abord que les Français se sont mobilisés une fois encore. Les signalements au Samu Social de la part de particuliers sont passés de quelques appels habituellement à plusieurs centaines. Ensuite plus personne ne conteste le fait que l'Etat doit avoir les moyens d'accueillir les personnes en difficulté.

La Croix : Et pourtant on meurt encore de froid en 1997 ?

Xavier Emmanuelli : C'est toute l'année que les gens sont en danger. Les gens ne meurent pas de froid mais de misère accompagnée de froid. C'est toute la société qui doit s'interroger sur cet effritement du lien social.