Texte intégral
France Musique : Nous parlerons musique ensemble ce matin, mais peut-être pas simplement musique…
Hervé de Charette : On le fera je crois.
France Musique : Comment s’occupe-t-on d’une cité et notamment de la vie de cette cité lorsqu’on est ministre des affaires étrangères, c’est-à-dire parti tout le temps ?
Hervé de Charette : Il ne se passe guère une journée où, d’une manière ou d’une autre, je ne m’occupe de Saint-Florent-le-Vieil.
Il est vrai aussi que finalement, pour régler beaucoup de problèmes on a besoin de beaucoup de concours extérieurs, de l’État en particulier, et cela ne suit pas de pouvoir connaître la bonne porte, être sûr que l’on va quand même vous ouvrir et finalement poser des questions inhabituelles et obtenir, malgré tout, satisfaction.
France Musique : J’imaginais que lorsque vous faites un voyage, il est uniquement diplomatique ou un peu industriel. Vous avez contact avec la culture des pays que vous visitez, avez-vous le temps ?
Hervé de Charette : Pas beaucoup, il faut bien le dire. Mais on essaie quand même de ne pas mourir idiot, si possible. C’est vrai que l’on fait toujours tout cela au très vite. On voit les chefs d’États, les ministres, on parle avec eux de nos intérêts politiques ou économiques. Je viens avec les chefs d’entreprise, on discute de choses très intéressantes et importantes pour l’emploi en France. On ne peut pas rester sans essayer de comprendre et de connaître. D’ailleurs si on ne comprend pas, si on est indifférent, si on n’aime pas ces peuples, comment parler vraiment avec eux ?
France Musique : Vous disent-ils quelque chose sur la culture française ?
Hervé de Charette : La France a une place dans le monde que l’on ne soupçonne pas. Cette place vient précisément de ce que les autres peuples jettent sur notre pays un regard qui est très différent des autres. Nous ne sommes que 58 millions d’habitants. Nous sommes quand même la 4e puissance exportatrice du monde. Nous sommes l’un des 5 membres permanents du conseil de sécurité. Notre pays compte. Mas on sait bien qu’on n’est pas non plus une super puissance.
Je suis toujours frappé et ému de constater à quel point il y a vers la France un regard, une attente, une connaissance tout à fait étonnante.
Nous étions en Géorgie il y a 3 jours. Le vice-président du parlement géorgien est une femme, cinéaste, parfaitement francophone et formidablement francophile. Elle nous a invités à prendre un verre chez elle. Là, elle a récité Baudelaire comme personne, avec une vérité, une émotion formidable. On sentait que, pour elle, la culture française était très importante. Cela avait baigné sa vie, sa jeunesse, et exprimait quelque chose.
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point le rayonnement de la culture de nos grands écrivains, artistes, dans le monde, contribue au poids de la France d’aujourd’hui.
France Musique : Il y a une chose très importante dans notre politique internationale, c’est notre richesse culturelle. J’entends souvent dire que les crédits dont vous disposez pour la culture et l’exportation de la culture son vraiment insuffisants.
Hervé de Charette : Oui, les crédits, par nature, sont toujours insuffisants. C’est vrai qu’ils sont modestes. Le budget du quai d’Orsay, 15 milliards de francs, est un tout petit budget comme toute, puisque le budget de l’État c’est 1 550 milliards, c’est-à-dire cent fois plus. Sur ces quinze milliards, 5 sont consacrés à la culture un tiers de mon budget est destiné à l’action culturelle. Cela comprend beaucoup d’éléments ; l’audiovisuel extérieur, radios télévisions destinés à l’étranger. Cela comprend les lycées ; la France est un des rares pays à avoir un réseau de lycées et d’établissements scolaires à travers le monde. Cela comprend l’aide à nos artistes, troupes théâtrales, musiciens, peintres etc., pour se faire connaître à l’étranger. Cela comprend le réseau des instituts culturels et autres bibliothèques, deux cents implantations dans le monde. Cela fait beaucoup de choses et évidemment ces crédits sont trop faibles.
France Musique : Vous êtes toujours obligés de faire des choix et parfois des choix géographiques Parfois c’est l’Orient et l’Extrême-Orient, parfois c’est l’Afrique, parfois ce sont les pays de l’Est. C’est dernières années vous avez beaucoup pensé à l’Est ?
Hervé de Charette : On est conduit à faire des choix et on n’arrive pas à les faire. Voilà la contradiction.
France Musique : On ne se désengage pas dans certains pays ?
Hervé de Charette : Franchement, quand vous n’avez pas beaucoup d’agent, vous vous dites que vous devriez concentrer votre effort pour que cet effort soit visible et plus fort. Mais en même temps, on ne peut pas laisser tomber des pans entiers de la planète. Donc, on essaie de faire des arbitrages assez complexes, et jamais parfaits naturellement, entre ces deux objectifs. Enfin, je répète que nous avons un réseau de lycées à travers le monde qui n’a pas d’équivalent. Les autres pays n’ont pas ça. Nous avons un réseau d’instituts culturels qui est tout à fait remarquable, qui manque de moyens mais qui est tout à fait remarquable et où l’on fait beaucoup de choses.
Je vous donne un exemple : j’étais à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies. Bartabas a organisé à New York un spectacle formidable. C’est le plus grand succès français dans le domaine artistique depuis vingt ans aux États-Unis. C’est grandiose, vraiment. Soutenu par le ministère des affaires étrangères, le spectacle est complet et ils ont prolongé de quinze jours. Je dois dire que c’est fabuleux.
Tout cela est formidable parce que cela permet de montrer au monde ce que savent faire les artistes français. Bartabas est un genre moderne, original, créatif.
France Musique : Votre travail diplomatique est un travail e direction des entreprises. Vous cherchez à accélérer l’exportation, c’est bon pour notre santé économique. Ne pensez-vous pas que la meilleure connaissance de la culture française peut, indirectement, aider à l’exportation économique ?
Hervé de Charette : cela a une très grande importance. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls, d’autres pays ont compris cela, notamment les Allemands, les Américains, les Anglais.
Prenez la Chine : la Chine est un monde de culture extraordinaire, complètement ignoré. Au fond, l’Europe ne l’a jamais regardée que comme un territoire à conquérir. Elle n’y a pas bien réussi. ; C’est pour cela qu’elle n’a jamais été qu’au bord du continent. Elle avait des comptoirs comme on disait à l’époque, mais elle a assez peu pénétré à l’intérieur.
Maintenant, la Chine est un monde formidable, qui a 3 500 ans de culture et d’histoire derrière elle et les Chinois sont très convaincus qu’ils représentent l’une des plus belles et des plus anciennes civilisations du monde.
Il faut aller vers les Chinois et, pour cela, il faut arriver avec notre savoir-faire, notre capacité de partager nos cultures, de comprendre et d’aimer leur culture, de tâcher de réaliser avec eux des échanges qui ne consistent pas simplement à leur envoyer la Comédie française, mais qui consistent à essayer de créer, ce qui est mon avis l’essentiel, un dialogue entre les peuples et les cultures.
France Musique : Sur le plan musical, qu’est-ce que cela donne ?
Hervé de Charette : Cela veut dire qu’il faut lancer les idées originales. Puisque nous sommes sur ce sujet « Orient-Occident », nous essayons de marier les deux cultures, de faire appel à un créateur de ballet français, passionné du Japon, qui va créer chez nous une œuvre qui sera jouée par des danseurs japonais et qui exprimera quelque chose qui est mixte, franco-japonais profondément, dans toutes ses fibres.
Tout cela est très porteur de la présence française et naturellement des emplois français puisque c’est aussi le but recherché.
C’est parce que nous avons des relations très étroites avec le Japon ou la Chine qu’on va leur vendre des Airbus, le TGV. Cela va compter beaucoup. Cette présence culturelle est un élément très fort de notre présence à l’étranger.
France Musique : Dans les ponts que l’on peut jeter entre l’Orient, l’Extrême-Orient et nous, est-ce que d’une certaine façon on ne fait pas un peu d’impérialisme, on ne leur dit pas : « regardez comme Mozart et Beethoven c’est formidable ». Comment les aider à préserver leur propre culture ? Comment fait-on pour leur faire prendre conscience de la richesse de leur propre culture ?
Hervé de Charette : D’abord, très souvent, ils n’ont pas besoin de nous pour être fiers d’eux-mêmes. Il faut aussi être accueillant.
Nous recevons près de 15 000 boursiers étrangers chaque année qui viennent vers nous, à qui nous offrons la possibilité de sortir de chez eux et de découvrir des choses nouvelles.
Ensuite, il faut faire venir en France des œuvres, des artistes. On va voir à Paris, avec l’aide de la ville de Paris et du ministère des affaires étrangères, une exposition sur la Cité interdite. Je crois que c’est une occasion, que nous offrons aux Chinois de faire voir les beautés de la Cité interdite. Je crois que c’est une occasion, que nous offrons aux Chinois de faire voir les beautés de la Cité interdite et la densité de leur propre histoire.
Nous organiserons, dans un an, une année du Japon en France en 1998, et nous avons de grands projets. Puis une année de la France au Japon.
Voilà ce qu’est l’échange du dialogue. Il n’y a pas simplement la culture au sens plus traditionnel, il y a aussi notre savoir-faire scientifique, technique, car, nous dépensons beaucoup d’argent pour cette coopération scientifique.
France Musique : Est-ce qu’un ministre des affaires étrangères peut s’investir dans une tâche culturelle ?
Hervé de Charette : Il le faut. Le ministre des affaires étrangères est le ministre de la culture de la France à l’étranger. Quand j’étais au Japon, il y a quelques mois, pour préparer la visite du Président de la République au mois de novembre, je suis allé inaugurer une œuvre de Buren à Tokyo. Je m’efforce, à chacun de mes voyages, qu’il y ait aussi cette dimension culturelle, pas seulement parce que cela m’intéresse, mais pour que cet aspect du rayonnement français soit présent dans la relations internationale.
France Musique : Y a-t-il un pays pour lequel vous dites qu’on n’a pas fait assez et pour lequel vous aimeriez que l’année prochaine, dans 2 ou 3 ans, on s’y installe un peu sur le plan culturel ?
Hervé de Charette : Je crois que devant nous il y a le monde chinois qui est essentiel. Il y a en Chine 1,2 milliards d’habitants. Peyrefitte a écrit un livre il y a 25 ans « Quand la Chine s’éveillera ». Voilà, elle est réveillée. Elle ne s’étire pas. Et dans 20 ans, il est probable que, si la Chine ne connaît pas de drame, elle sera la première puissance du monde. Alors, il est grand temps d’y aller, de s’installer de s’investir à tous les égards, y compris sur le plan culturel. Je le répète, la meilleure façon de s’adresser à un peuple, c’est de l’aimer, donc d’avoir l’oreille, les yeux, le regard, le cœur ouverts à ce qu’ils savent faire, à leur propre histoire, leur culture, leur expression artistique, de vouloir partager avec eux, et non simplement d’envoyer nos artistes. Il faut aller partager avec nos deux cultures. Les mains ouvertes et le cœur ouvert, c’est ce qu’ils attendent. A ce moment-là, la réponse est formidable, parce que, ce que vous avez donné, on vous le rend au centuple.