Déclaration à la presse le 17 et interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à RTL le 18 février 1997, sur les relations franco-américaines, la rénovation de l'Alliance atlantique, son élargissement éventuel à la Russie et la situation dans la région des Grands Lacs au Zaïre.

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Circonstance : Rencontre de M. de Charette avec Mme Madeleine Albright, secrétaire d'Etat américain, en visite à Paris le 17 février 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Conférence de presse à l’issue de la rencontre avec le secrétaire d’État Américain, Mme Madeleine Albright à Paris - 17 février 1997

Il y existe entre nos deux pays une amitié vraie, durable, profonde, une amitié qui date de l’origine et qui doit être forte. Pour cela, nous sommes convenus d’avoir un dialogue organisé, systématique,  structuré. Nous sommes convenus, Mme Albright et moi-même, de nous rencontrer de façon systématique deux ou trois fois par an pour faire le point sur l’ensemble des dossiers. Il y a entre nos deux pays, des valeurs partagées, des intérêts communs, des visions du monde qui souvent s’accordent. Tout cela fait qu’entre nos deux pays, l’amitié et le dialogue doivent présider à nos relations.

Bien sûr, il y a des différences. Bien sûr, il y a de temps en temps des différences d’appréciation, parfois, parfois des différences d’intérêt. Mais l’amitié c’est aussi la différence et le respect de ces différences, l’écoute des arguments et des préoccupations de l’autre. Nous sommes convenus de nous écouter mutuellement avec une très grande attention et de respecter nos différences par ce dialogue, dont je viens de parler. Entre amis des différences ne font pas un conflit. Voilà pourquoi nous sommes très heureux, chère Mme Albright, de vous savoir ici et très heureux d’avoir eu ensemble ces longs moments de travail et de discussion. Je peux dire devant vous tous, mesdames et Messieurs, qu’ils ont été extrêmement chaleureux, aussi bien à l’Élysée avec le Président de la République, à Matignon avec le Premier ministre et qu’ici même où je suis honoré de vous recevoir.

O. Mazerolle : (sur l’OTAN)

R. : Nous sommes attachés au succès de la réunion prévue à Madrid au mois de juillet prochain. Pour cela, il faut travailler sur l’ensemble des questions en discussion. Il y a la rénovation de l’Alliance, son élargissement. Il y a la relation avec la Russie. Il y a le rôle de l’OSCE dans l’architecture européenne de sécurité. C’est un très vaste chantier. Il faut naturellement tout faire pour aboutir avec succès au mois de juillet prochain.

La réunion dont vous parlez est une idée qui est dans l’air, qui a été lancée et qui fait partie des idées qui peuvent contribuer au succès de Madrid. Pour l’instant, naturellement, nous travaillons sur le fond, sur le processus et aucune décision n’a été prise.

O. Mazerolle : Avez-vous parlé de la loi d’Amato et des sanctions que l’administration américaine voudrait que l’Union européenne impose à l’Iran et la Libye ?

R. : Ce sont de questions qui concernent moins les relations franco-américaines que le dialogue euro-américain, donc c’est un sujet dont nous parlons entre Européens. Bien entendu, nous l’avons évoqué aujourd’hui dans nos échanges de vue. Nous avons constaté que nos points de vue n’étaient pas différents de ce qu’ils étaient jusqu’à présent. Il faut que nous continuions à parler ensemble sur ces sujets car je suis persuadé que c’est l’une des questions sur laquelle le dialogue peut faire progresser les choses.

 

RTL - 18 février 1997

RTL : Vous embrassez le secrétaire d’État à quatre reprises. Celle-ci en sortant de l’Élysée dit : « C’était bien ». C’est formidable, cela change complètement de l’atmosphère Warren Christopher ?

Hervé de Charette : Ne mettons pas des noms pour parler des nuages. Mais c’est vrai qu’il y a eu à la fin de l’année 1996 quelques incidents, qui ont donné une impression fâcheuse, et d’ailleurs, qui m’ont donné une impression désagréable parce que je trouvais que l’on pouvait avoir des sujets sur lesquels on n’était pas d’accord. Cela n’était pas une raison pour se faire des mauvais coups. Avec Mme Albright, en effet, j’ai trouvé que c’était hier un moment tout à fait chaleureux des relations franco-américaines, comme nous les aimons depuis l’origine des États-Unis. Parce que vous savez que nous sommes le seul grand pays du monde à avoir toujours été l’ami du peuple américain, depuis la fondation de l’État américain. Je crois que c’est très important de le rappeler…

RTL : D’ailleurs vous avez rappelé cela en lui offrant un fac-similé du Traité de Versailles qui marquait l’indépendance des États-Unis ?

Hervé de Charrette : C’est ce que j’ai vu, que j’ai constaté, que j’ai entendu hier l’idée que, France et Etats-Unis, nous sommes des peuples amis. Nous avons l’intention de travailler ensemble pour contribuer à l’organisation du monde de demain. Nous avons beaucoup plus de sujets d’intérêt commun que de sujets de différence.

RTL : Pourtant, on dit que Mme Albright n’envoie pas dire ce qu’elle a à dire, qu’elle est franche et brutale ?

Hervé de Charette : Eh bien, cela me fait bien plaisir parce que c’est beaucoup plus facile de travailler avec quelqu’un qui parle avec sincérité et franchise qu’avec quelqu’un qui vous parle de façon plus obscure.

RTL : Le Herald Tribune titre ce matin : « c’est la fin de la guerre verbale entre la France et les États-Unis », mais pour autant les points de vue ne se sont pas rapprochés sur l’organisation de l’Alliance atlantique ?

Hervé de Charette : Bon, naturellement, il y a des sujets sur lesquels il y a des différences d’appréciation entre la France et les États-Unis. Retenons d’abord ce premier point : nous sommes convenus, que, malgré cette différence d’appréciation que nous pouvions avoir, il fallait en parler franchement et essayer de  régler de façon amicale et entre nous. Mme Albright a eu une belle formule ; elle a dit : « pas devant les enfants », comme lorsqu’il y a des disputes entre les parents. C’est une jolie formule. Vous prendrez cela comme vous voudrez mais c’était chaleureux et sympathique et c’est comme cela qu’il faut faire. Alors, évidemment, comme vous le dite, il y a certains sujets de différence mais nous avons progressé.

RTL : L’identité européenne, l’Alliance Atlantique, sur quel point ?

Hervé de Charette : On essaye de faire avancer les choses. Quel est le problème ? La France a dit, le Président de la République a dit, qu’elle était prête à prendre toute sa place dans l’Alliance atlantique à la condition que ce soit une nouvelle alliance. Non pas l’alliance d’hier, celle qui a été fondée dans les années 1948-1950 où les États-Unis étaient la seule force consistante, et qui avaient d’ailleurs - il faut bien le dire - sauvé le monde du drame, mais le monde d’aujourd’hui. C’est un monde dans lequel nous avons pour objectif, pas nous seulement les Français, mais les Européens, car j’insiste bien, il y a un consensus des Européens, nous voulons organiser l’identité européenne…

RTL : Sur le commandement sud, tous les Européens ?

Hervé de Charette : Eh bien, laissez-moi poursuivre cette discussion et cette négociation. C’est vrai que je suis plus optimiste aujourd’hui qu’il y a une quinzaine de jours.

RTL : Pourtant, on a eu l’impression d’un recul français, notamment sur le commandement sud en Méditerranée. Le Président de la République avait écrit à deux reprises au Président Clinton pour lui dire que c’était un point capital et finalement, vous vous dites que c’est pas si important que cela ?

Hervé de Charette : Si je dis « ça ne va pas », vous dites qu’il y a des problèmes et si je dis « ça va mieux », qu’on est en train de céder aux Américains. Il ne faut pas prendre les choses comme cela. Nous voulons qu’au sein de l’Alliance, cette identité européenne existe. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous souhaitons un partage des responsabilités en Europe, en matière de sécurité, au sein de l’Alliance, entre les Américains et les Européens, pas entre les Américains et les Français. Ce que nous disons, - c’est vrai que nous avons l’habitude en Europe de parler plus fort que les autres -, mais ce que nous disons est soutenu par les Allemands, par la quasi-totalité de nos partenaires européens avec plus ou moins de tonus et de volontarisme mais c’est bien la thèse des Européens.

RTL : Donc on va y arriver ?

Hervé de Charette : Écoutez, ce n’est pas fait. Si on n’y parvient pas, on reportera ça à plus tard. Il n’y a pas de quoi en faire un drame mais nous espérons y parvenir.

RTL : Alors il y a une date tout de même, le mois de juillet pour l’élargissement de cette Alliance atlantique à d’anciens pays de l’Est comme la Pologne et la République tchèque et d’autres encore. Là, la France propose une réunion à cinq des quatre principaux pays de l’Alliance avec la Russie, pour que les choses se passent au mieux entre alliés et les Russes. Est-ce que là aussi vous allez obtenir un accord des Américains ?

Hervé de Charette : Ce qui compte d’abord c’est le résultat. Et le résultat c’est, pour que tous ceux qui nous écoutent comprennent bien, au mois de juillet un sommet à Madrid qui réunira les pays de l’Alliance atlantique. Nous l’espérons bien qu’à un moment de cette réunion qui va durer deux jours, la Russie et l’ensemble des pays qui ne font pas partie de l’Alliance, ceux qui ont envie d’y entrer comme ceux qui n’en ont pas le projet immédiat puisse nous rejoindre, une réunion de tous les pays d’Europe. L’idée, c’est de marquer que tous ensemble nous voulons organiser notre sécurité commune. Comprenez bien, Olivier Mazerolle, que le monde a complètement changé. Pendant cinquante ans, nous avons vécu avec une Alliance atlantique qui dirigeait ses armes vers l’Union soviétique parce qu’elle se sentait menacée  - et elle l’était par les armes de l’Union soviétique. Demain, nous serons tous dans un esprit de coopération, en veillant bien à ce que chacun ait les garanties de sécurité dont il a besoin.

RTL : Très bien, mais ce qui préoccupe la France c’est que les Russes ne prennent pas cela comme étant une agression à leur encontre. Est-ce que vous allez obtenir cette réunion préalable qui permettrait d’arranger les choses ?

Hervé de Charette : Pour parvenir à ce que les Russes se sentent à l’aise - car rien ne serait plus nocif que de donner le sentiment aux Russes que nous voulons les mettre dans le coin, les tenir à l’écart, voire même rester en position de confrontation avec eux -, il faut travailler sur le fond. Il faut travailler aussi sur le processus. Dans les éléments du processus, il y a l’idée qui n’est pas française, qui a été lancée par les Russes, d’une réunion à cinq.

RTL : Et vous adhérez à cette idée russe ?

Hervé de Charette : Si elle peut être utile, nous y adhérons. Nous verrons dans le cours du processus quand et comment cela peut se faire.

RTL : Le général Lebed est à Paris, il va rencontrer le président de l’Assemblée nationale ainsi que le président du Sénat. Vous vous ne le rencontrez pas. Pourquoi ?

Hervé de Charette : Je crois que, dans tous les pays où M. Lebed est passé, il a été reçu comme il est reçu en France. C’est-à-dire, comme un dirigeant politique de la Russie d’aujourd’hui. Il est donc reçu avec beaucoup d’intérêt par les présidents de l’Assemblée et du Sénat, par un certain nombre d’hommes politiques. Au niveau gouvernemental, on reçoit surtout les dirigeants gouvernementaux, donc…

RTL : Et au sujet de la politique à venir ?

Hervé de Charette : M. Lebed a certainement un rôle à jouer dans la Russie d’aujourd’hui et de demain. Cela est sûr.

RTL : Autre sujet de discussion entre la France et les États-Unis : c’est la région des Grands lacs. La guerre a toujours lieu au Zaïre, à l’est du Zaïre, entre les rebelles et l’armée du Président Mobutu. Il y a toujours des réfugiés. Est-ce que la France et les États-Unis vont prendre l’initiative ?

Hervé de Charette : D’abord, est-ce qu’on a aujourd’hui la moindre chance de faire en sorte qu’on ne dise plus qu’il y a des conflits, de la concurrence entre la France et les États-Unis en Afrique ? C’est une contre-vérité totale. En Afrique, nous avons, les uns et les autres, des devoirs de solidarité et des devoirs d’aide à ce continent qui a beaucoup de problèmes. Nous avons constaté hier une fois de plus que nous sommes, la France et les Américains, dans cette affaire, la main dans la main. Nous sommes dans un travail commun pour essayer de sortir l’Afrique centrale, c’est-à-dire le Zaïre et les pays de cette région, des difficultés où ils sont. Nous travaillons ensemble. Il y a un travail permanent franco-américain. Vous le verrez dans les semaines qui viennent, pour faire en sorte qu’on sorte de cette crise.