Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France 2 le 23 novembre 1999, sur l'intégration des normes de travail à la négociation sur le commerce international dans le cadre de l'OMC, la réduction du temps de travail et le paritarisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Vous êtes membre du Bureau international du travail qui vient de se réunir à Genève. On se préoccupe beaucoup des normes de travail et l'on voudrait que ces normes soient intégrées à la future négociation commerciale à Seattle.

- « Plus précisément, je suis membre du conseil d'administration, élu au titre des travailleurs. Le Bureau international du travail c'est un organisme dans lequel il y a les patrons, les organisations syndicales du travail avec cette principale norme qu'est l'interdiction du travail forcé. Nous avons défini le droit d'organiser librement des syndicats ; le droit pour ces syndicats de négocier des textes, des conventions, les salaires, etc. Tous les pays pratiquement, 174 pays, ont voté pour ces normes et ont accepté de les appliquer. »

Sauf que ce n'est pas respecté !

- « On va prendre un exemple concret - qui est opportun -, celui de la Chine : on sait qu'il y a 20 millions de personnes qui travaillent de manière déportée. On sait que dans d'autres pays il y a le travail des enfants. Au Pakistan on sait que ce sont les enfants qui font les tapis, les ballons de la Coupe du monde de football. Nous pensions, qu'à l'OMC, c'était l'occasion de dire : “Vous pouvez commercialiser les produits à condition qu'ils ne soient pas faits en violation de ces normes.” Et nous demandons à l'OMC : “Tenez compte du degré d'application de ces normes dans la liberté de commercer.” Or, il faut être tout à fait clair, y compris les Européens... »

Oui, parce que le travail des enfants existe aussi en Europe ?

- « Il y a 2 millions d'enfants qui travaillent en Europe. »

En Grande-Bretagne, au Portugal, il y a des enfants qui travaillent.

- « Un peu en Italie, au Portugal et en Grande-Bretagne. En France, pour l'instant ça va. Mais, soyons clair, nous avions un espoir mais il sera déçu puisque mème les Européens vont défendre à Seattle la spécificité française, voire la spécificité européenne. C'est quand mème quelque chose d'assez paradoxal parce que cela ne signifie pas grand-chose. Ceci étant, c'est un ennui sérieux parce qu'en définitive cela nous place de fait à être en opposition assez sérieuse sur la libéralisation du commerce... »

Il y aura beaucoup de manifestations à Seattle...

- « Les syndicats américains, notamment la FLCIO qui est la plus grande organisation américaine, attendent une manifestation de l'ordre de 150 000 personnes. Mais nous savons que cette manifestation va être alimentée par différentes autres manifestations qui viennent des ONG. Alors, on va retrouver là-dedans dans une série de gens, y compris des "anti." Il va y avoir à la fois ceux qui voudraient que cela soit autrement et ceux qui seront contre. »

Et vous, vous serez où ?

- « Je commence une campagne, en accord avec le directeur général du BIT et le conseil d'administration. Nous allons tous faire campagne là où nous nous trouvons et le cas échéant à Seattle. Mais, Seattle, cela va être la grande foire ! Vous savez, on a déjà dit que c'est sponsorisé par M. B. Gates, par Microsoft. C'est une grande opération cinéma, commerce, etc. Je suis d'ailleurs quelque peu sidéré de l'importance que cela peut avoir dans le cadre actuel. Je note quand mème que les Américains sont allés tendre la main aux Chinois en leur disant : “Vous allez faire partie, vous aussi, tranquillement, de l'OMC.” C'est un des pays où la dictature est la plus grande. On entend le président chinois dire : “Dans cinquante ans, il y a aura la démocratie.” »

C'est pour cela que vous portez un costume chinois ?

- « C'est un peu par provocation. J'indique, au passage, que les Américains font travailler entre 500 000 et 1 million de jeunes Mexicains tous les jours dans les agrumes, les légumes, les fruits. Peut-être que ne voulant pas signer, eux, les normes internationales du travail, ils ne peuvent guère être en position de force pour demander à la Chine de les signer. »

Les 35 heures : la mise en place pose problème dans beaucoup d'entreprises - y compris dans la nôtre...

- « C'est gentil de faire remarquer qu'aujourd'hui il y a grève. Je dis tout de suite que je soutiens par définition les grévistes. J'ai eu l'occasion de le dire. Et peut-être que, par mon intermédiaire, je peux faire savoir qu'ils ne sont pas contents quand on parle des 35 heures et que l'on veut faire la modération salariale. Mais, je crois que cela va évoluer. »

Une des grandes difficultés se sont les heures supplémentaires. Pour beaucoup de bas salaires les heures supplémentaires sont un élément absolument fondamental du revenu. Que faut-il faire, faut-il que le Gouvernement aide davantage en donnant des compensations, faut-il que les patrons augmentent les salaires...

- « Quand le gouvernement aide ce sont les salariés qui aident, hein ! Ce sont les salariés qui sont les contribuables intégraux. Et lorsque ce ne sont pas les impôts - vous avez vu la menace sur la loi de financement de la Sécurité sociale ! - c'était le prélèvement sur les cotisations sociales à venir. Ce que l'on a appelé les trois parties pour faciliter les 35 heures, c'est la modération salariale, la réorganisation et le financement de l'Etat. Ces trois parties ce sont les salariés qui payent. En gros, en ce moment avec les 35 heures, à la place de provoquer de facto un surcoût il faut que les salariés fassent un effort pour que l'on embauche leurs camarades. Cela s'appelle "le partage du travail et des revenus." Pour les heures supplémentaires c'est aussi une forme de sacrifice. Dire : "On va mettre 10 % dans un fonds", c'est absolument contraire à toutes les pratiques et les habitudes des entreprises. Cela ne passera pas, c'est tout à fait clair ! J'attends que la loi soit votée. Cela fait quand mème 18 mois qu'on l'attend. Cela fait beaucoup. En 1936, la loi sur les 40 heures est passée en trois jours. Aujourd'hui, cela fait 18 mois qu'on l'attend. »

Il y a beaucoup de contraintes !

- « Oui, mais l'on est en train de mettre toute une série d'amortisseurs et tous ces amortisseurs sont au détriment des salariés. Comment voulez-vous qu'ils l'acceptent bien ? Ce texte est trop compliqué. Il va arriver dans les entreprises et quand on va vouloir l'appliquer, je sais par avance - je n'ai mème pas de consignes à donner - qu'il y aura des réactions. C'est ce que l'on entend, c'est que l'on a eu hier à Marseille, ce que l'on a eu à Lyon, ce que l'on a ici, ce que l'on a partout... »

Il y aura des mouvements de grève partout ?

- « Absolument et quasi spontanés ! Ce n'est mème pas les syndicats qui donneront l'ordre. Et tout simplement parce que les 35 heures qui étaient une espérance - c'est une revendication sociale ; nous l'avions déposée en février 95 auprès du patronat - sont devenues en quelques sorte une espèce de contrainte nouvelle : on remet en cause. Dans les entreprises oè il y avait des pauses de 10 minutes, c'est que l'on en avait besoin ! Eh bien, on remet cela en cause, etc., etc. Il y aura, vous verrez, des ruptures, qu'on le veuille ou non. »

On sait que le patronat va se retirer de la gestion des caisses de Sécurité sociale. Cela va changer quelque chose ?

- « Cela risque de changer beaucoup de choses ! Ce que l'on appelle le paritarisme en France c'était une idée originale, c'était quelque chose que nous gérions avec les employeurs. Cela faisait 2 200 milliards, c'était plus que le budget de l'Etat. Je vais dire quelque chose de très important : le patronat nous fait le chantage pour la négociation de la convention de l'Unédic. Moi, je dis aux chômeurs : "Ce n'est pas nous qui sommes les freins en la matière, c'est le patronat." C'est sur eux qu'il faut faire pression ! Parce qu'il faut absolument que l'on renégocie rapidement avant la fin de l'année, puisqu'après c'est le vide, que l'on renégocie l'Unédic et que l'on renégocie aussi le système de l'Arpe que nous avions gagné et qu'ils ont remis en cause ! Les patrons ont l'idée de remettre cela en cause. Il faut que l'on renégocie cela, sinon on va finir la fin de l'année avec un point d'interrogation pour les chômeurs. Je rappelle que le syndicat est là aussi pour défendre les chômeurs. »