Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur le marché international d'art contemporain et sur la contribution de certaines personnalités à la découverte d'artistes et d'oeuvres contemporains, Paris le 2 octobre 1996.

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Circonstance : 23e Foire Internationale d'Art Contemporain (FIAC) et remise des insignes de commandeur, chevalier et officier dans l'ordre des Arts et des Lettres à diverses personnalités, à Paris le 2 octobre 1996

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,

Je tiens à saluer, chaleureusement, les cent-quarante-deux galeries qui participent à cette 23ème édition de la FIAC : les soixante-sept galeries françaises, les soixante-quinze galeries étrangères et, parmi elles, les quinze galeries coréennes, la Corée et ses artistes, qui honorent cette manifestation de leur présence forte et lumineuse.

Je tiens, également, à saluer tous les artistes représentés, ainsi que toutes les personnalités présentes aujourd’hui.

Vous participez, cette année – certains pour la première fois – d’autres avec fidélité, à ce que je crois être un tournant de la vie de l’une des foires les plus prestigieuses de l’art contemporain.

A bien des égards, cette édition 1996 de la FIAC est marquée du sceau de l’exceptionnel. Son organisation, sa philosophie, son style, devraient annoncer un renouveau, un retour en force de Paris et de ses galeries sur la place mondiale.

Le contexte est peu favorable. Nous le savons tous. Je tiens à vous féliciter, professionnels du « négoce de l’art », pour reprendre l’expression du Président de la République, de savoir refuser la fatalité de la crise.

Mes félicitations s’adressent particulièrement aux organisateurs qui sont directement à l’origine de cette nouvelle FIAC, c’est-à-dire au COFIAC. C’est, à travers vous, toute une profession, celle des marchands d’art, qui, consciente des prochains défis à relever, prend son avenir en main.

Ces défis, nous les connaissons tous : l’ouverture prochaine du marché de l’art, la réforme du statut des ventes publiques. Autant d’évènements qui modifieront la circulation des œuvres et les règles du jeu du marché de l’art.

Je crois aux vertus de la concurrence, et les galeries sont les premières, comme toute entreprise, à la souhaiter. Mais qu’il y ait, simplement, une éthique de ce marché, une manière de considérer l’œuvre d’art et l’artiste autrement qu’en terme de production et de placement financier, c’est ce que la profession de marchand d’art défend, et c’est ce que, en tant que ministre de la culture, je veux défendre également.

L’histoire de l’art de ce siècle n’est-elle pas riche de ces associations d’artistes et de marchands d’art, associations exemplaires dans la mesure où elles servent l’intérêt des deux parties et, au final, l’intérêt de l’art lui-même ? On ne peut évoquer les Nabis sans penser à Durand-Ruel, Gauguin et Cézanne sans nommer Vollard, ou encore Picasso sans citer Kahnweiler…

Je suis le premier convaincu de la noblesse du métier que vous exercez et de l’importance de sa fonction pédagogique et culturelle : vous êtes, historiquement, les vrais découvreurs des artistes, les premiers diffuseurs de l’art. Vous continuez, aujourd’hui, d’inscrire l’art dans la vie économique et sociale, en contribuant ainsi à son épanouissement. Vos intuitions sont précieuses pour le fonctionnement de l’ensemble du marché.

Dans le but de vous aider, le ministère de la culture dispose d’un certain nombre de moyens d’intervention : je veux parler de l’aide à la première exposition d’un jeune artiste, qui permet à une galerie d’accompagner un langage en train de naître. Cette aide a été instaurée, en 1972, par mon prédécesseur Jacques Duhamel, auquel vous savez que me lient des valeurs et des orientations fondamentales.

Je pense, également, à l’aide proposée aux galeries françaises, afin qu’elles participent largement des artistes français. Cette aide a bénéficié cette année, à ma demande, d’un effort budgétaire considérable.

Par ailleurs, les collections d’État, dans le domaine de l’art contemporain, acquièrent régulièrement auprès de galeries de œuvres qui constitueront le patrimoine de demain.

Acteur du marché à travers ces aides et ces collaborations, je salue les initiatives ^prises, aujourd’hui, par votre profession à l’occasion de cette FIAC 1996.

Ces initiatives traduisent tout, sauf le repli sur soi ! Au contraire, elles expriment une ouverture sur le monde, une volonté d’aller de l’avant, un souci d’être compétitif. D’emblée, je constate que la FIAC, cette année, a invité davantage les galeries étrangères et, parmi elles, de prestigieuses galeries allemandes, américaines, suisses, que nous sommes fiers d’accueillir à Paris.

En choisissant la Corée en tant qu’invité d’honneur, la FIAC reconnaît l’importance d’un pays, de ses acteurs économiques, de ses artistes, sur le marché de l’art, et au-delà, l’importance de tout un continent, l’Asie.

Cet évènement est accompagné par des invitations lancées à de jeunes collectionneurs prometteurs, mais aussi à des conservateurs d’institutions étrangères, ce qui me semble constituer une réaction saine et décisive pour mieux faire connaître le patrimoine contemporain français.

De plus, je note avec satisfaction une participation accrue des jeunes galeries, toujours sous le signe de l’exigence.

Enfin et surtout, un effort considérable a été accompli cette année pour lever l’accueil de ces personnalités au niveau de qualité que l’on est en droit d’attendre d’une manifestation de prestige.

J’ajoute que cette édition de la FIAC est la première à être organisée sous l’égide de la toute nouvelle ICAFA, l’association des foires internationales de Bâle, Chicago, Cologne, Madrid et Paris qui ont décidé ensemble, à travers une charte, d’imposer un style de travail, une façon d’être et de se mouvoir sur le marché de l’art mondial – en clair, une éthique – dont j’évoquais à l’instant toute la portée.

La mission que vous êtres en train d’accomplir nous apparaît tellement déterminante pour l’avenir et la crédibilité du marché français que le Président de la République a souhaité vous exprimer personnellement son soutien.

C’est sous son haut patronage que se tient cette 23e FIAC et je suis particulièrement fier, à cette occasion, de dire ma reconnaissance à un certain nombre de personnalités du marché de l’art, du monde artistique, de l’histoire de la FIAC, en leur remettant les insignes de leur grade dans l’ordre des arts et de lettres.


Madame Ra-Hee Hong

Je commencerai par Madame Ra-Hee Hong. Je souhaite, Madame, vous exprimer toute notre gratitude pour la relation privilégiée que vous avez développée avec la France dans le domaine de la culture.

Épouse du président de la Fondation Samsung, vous avez fait de cette fondation, dont vous êtes le directeur, l’un des plus importants mécènes institutionnels sur le plan mondial. Non seulement vous soutenez les principaux musées de Séoul et contribuez au rayonnement de l’art coréen – par exemple en finançant l’aménagement d’une galerie entière du Musée Guimet à Paris – mais vous financez également de grandes expositions, comme actuellement celle des collections du Musée Guggenheim, à New-York.

Au sein de vos activités ; la France et ses artistes semblent avoir votre faveur, puisque vous contribuez grandement aux échanges culturels entre nos deux pays : vous faites découvrir en 1995 les installations de huit créateurs français à Séoul et, à Paris, vous permettez, cette année, l’ouverture d’un atelier coréen à la Cité Internationale des Arts.

Vous êtes l’un des plus impressionnants collectionneurs actuels. Je pense bien sûr à vos récentes acquisitions lors de la Foire de Bâle, mais aussi à la création prochaine d’un musée Rodin à Séoul, à la suite de l’achat, par votre Fondation, de vingt-cinq œuvres du sculpteur français. Peu d’organisations peuvent aujourd’hui se prévaloir d’être directement à l’origine de la création d’un musée. Je pense aussi à l’ouverture, en l’an 2000, d’un musée d’art moderne à Séoul, qui en fera demain l’une des capitales phares de l’art moderne en Asie.

Chère Madame, vous êtes de ces personnalités qui tissent les fils mystérieux du dialogue entre nos deux civilisations, à travers ce que chacune d’elles a de plus précieux : la création artistique.

Pour toutes ces raisons, et tandis que votre pays, la Corée, est l’hôte de la FIAC 1996, j’ai le plaisir de vous faire commandeur de l’Ordre des arts et des lettres.


Madame Jessie Westenholz

Je poursuivrai par une personnalité essentielle de la FIAC, artisan de sa mise en place depuis plus de quinze ans, Jessie Westenholz. Chère Madame, vous êtes née dans une famille de musiciens, mais c’est vers le théâtre que vous portent vos premières expériences, en Europe et au Canada.

Vous rejoignez la société O.I.P. (Organisation, Idée, Promotion) en 1980, pour devenir la cheville ouvrière de la FIAC. Votre cosmopolitisme et votre énergie s’avèrent extrêmement précieux pour donner à cette foire sa dimension internationale : ainsi, c’est vous qui êtes à l’origine de la mise en exergue, chaque année, d’un pays et de ses galeries.

Forte de ce succès, vous créer deux autres salons : le salon Musicora, en 1985, que vous hissez rapidement au niveau mondial parmi les salons les plus singuliers consacrés à la musique classique ; et, en 1994, le salon du patrimoine.

Chère Jessie Westenholz, votre itinéraire est celui d’une femme de communication, de curiosité et de culture. Évidemment, en ce soir d’inauguration de la FIAC, c’est l’énergie inlassable que vous avez plus particulièrement consacrée à cette manifestation que je souhaite récompenser. C’est aussi la passion bouillante d’une femme venue du Nord, d’une européenne qui défend Paris comme personne.

Chère Madame, je vous fais Chevalier de l’Ordre des arts et des lettres.


Madame Anne Lahumière

J’ai tenu également, ce soir, à louer deux galeries très importantes, deux participants assidus de la FIAC et des autres salons internationaux : Anne Lahumière et Jan Krugier.

Anne Lahumière, vous avez fondé en 1963, avec votre mari, Jean-Claude Lahumière, une galerie qui devient l’année suivante membre du Comité des galeries d’art. Elle est présente, dès le début, sur les grandes places de l’art contemporain, où elle défend des artistes français vivants – Auguste Herbin, Alberto Magnelli, André Masson, Victor Vasarely, Jean Dewasne. Rapidement, vous orientez votre galerie vers la reconnaissance de l’art construit, en privilégiant les artistes qui ont bâti leur langage à partir des formes géométriques.

Votre expérience est exemplaire, du point de vue du souci de cohérence des travaux représentés, de la défense des créations française et de l’implication personnelle qu’elle suppose : vous avez été directement à l’origine d’expositions – Exposition André Masson, exposition « Du signe au construit » - qui ont été programmées dans de nombreux musées en Allemagne, en Autriche, en Scandinavie ; vous êtes aussi fondatrice d’une maison d’édition d’art qui porte votre nom.

Rien d’étonnant, ainsi, à vous retrouver depuis 1994 présidente du Comité des galeries d’art, à la tête duquel vous défendez ce métier, ici même, ou auprès des comités de sélection des grandes foires. Je ne doute pas que vous n’œuvriez davantage pour le rapprochement des énergies, entre organisateurs des grandes foires internationales et marchands d’art, dans le seul souci du bon fonctionnement du marché.

Je vous fais chevalier de l’Ordre des arts et des lettres.


Monsieur Jan Krugier

Jan Krugier, vous êtes très connu sur le marché de l’art comme l’un de plus grands marchands de tableaux, entre Genève et New York, mais aussi sur toutes les foires mondiales.

Quand je parlais, tout à l’heure, de la fonction culturelle du marchand d’art, je pensais beaucoup à vous, qui avait fait connaître au public suisse, dès l’ouverture de votre première galerie, en 1962, un grand nombre d’artistes majeurs du XXe siècle ; Giacometti, les futuristes, Max Ernst, Fernand Léger…

Votre rencontre avec Maria Picasso en 1976 est déterminante. Vous révélez au public l’étendue de sa collection à travers une tournée exceptionnelle dans les grands musées du monde entier et dans vos propres galeries, pratiquement sans interruption, de 1981 à 1989.

Votre passion de la peinture vous amène à de très intéressantes initiatives d’exposant, avec un art de la juxtaposition du passé et du présent qui souligne l’essentiel de ce qu’est une œuvre d’art : par exemple, le rapprochement de Picasso avec des créateurs espagnols contemporains dans votre galerie de Genève en 1989, ou encore la présentation simultanée de dessins de Ingres et de dessins de la période classique de Picasso, en 1993. Dans les grands salons internationaux, votre présence, marquée par des expositions thématiques, laisse toujours le souvenir de stands très éclairants et très surprenants.

Je parle de votre passion de la peinture, je devrais dire avant tout : de la peinture de Picasso. On m’a rapporté qu’un jour, lors des foires internationales, un visiteur s’est présenté à votre stand coiffé de son chapeau devant l’une des toiles de Picasso que vous exposiez : vous lui avez immédiatement demandé de se découvrir devant ce chef d’œuvre.

Tout votre personnage est dans cette anecdote, esthète et passionné, extrêmement respectueux des artistes et de leurs œuvres. Mais peut-être vous retrouvez-vous davantage dans cette collection de dessins de grands maîtres que vous constituez patiemment depuis des années à l’abri du regard de tous.

Cher Jan Krugier, je vous fais officier de l’Ordre des arts et des lettres.


Monsieur Mark Di Suvero

Mark Di Suvero, vous avez porté au plus haut point l’idée d’une sculpture moderne monumentale qui mobilise les ressources de la technique contemporaine sans que celle-ci ne bride l’invention des formes. Vos constructions reposent sur une recherche de l’instant où l’équilibre semble sur le point de rompre. Ainsi, le dynamisme est-il préservé et vos œuvres, quel que soit leur matériau, s’élèvent-elles dans l’air avec une légèreté paradoxale.

Mark Di Suvero, je vous fais commandeur de l’Ordre des arts et de lettres.


Monsieur Ronald Kitaj

Ronald Kitaj, vous êtes le deuxième artiste à qui je souhaite rendre hommage.

Bien que né à Cleveland, vous vous imposé dès le début des années soixante comme l’une des figures essentielles de la peinture britannique.

Votre art, qu’il serait trop timide de qualifier de « pop », se développe tout autant à partir de sources photographiques et cinématographiques que de références historiques et littéraires toutes reprises et métamorphosées grâce à la rigueur du travail pictural.

Votre œuvre n’a cessé de se développer à la manière d’une chronique d’aujourd’hui, chronique sans concession ni faux-semblants. Alternant moment de violence et moment de grâce, elle a imposé sa cohérence alors même que vous vous situiez très en marge des modes artistiques. Elle a été honorée par le grand prix de la Biennale de Venise en 1995.

Cher Ronald Kitaj, je vous fais commandeur de l’Ordre des arts et de lettres.


Monsieur Anthony Caro

Enfin, j’ai souhaité distinguer Anthony Caro qui, pour des raisons personnelles, n’a pu être parmi nous aujourd’hui. Anthony Caro conjugue deux traditions, celle de la sculpture abstraite construite et celle d’une sculpture figurative qui affronte le nu et le portrait. Assistant de Henry Moore, Anthony Caro a conduit, depuis le début des années cinquante, une réflexion qui lui a permis de tirer au maximum partie des matériaux industriels.

Son travail a fait de lui l’un des sculpteurs majeurs du vingtième siècle.

En dépit de son absence, je tenais aujourd’hui à faire aujourd’hui Anthony commandeur de l’Ordre des arts et de lettres.


Madame Sofia Imber

Je n’ajouterai qu’une chose ; elle concerne Madame Sofia Imber, présente parmi nous, mais que je ne puis décorer, mes prédécesseurs s’en étant chargés.

Croyez que je le regrette, car j’aurai aimé pouvoir vous remettre moi-même les insignes de Commandeur des arts et des lettres pour l’action exemplaire que vous avez conduite dans le domaine des arts plastiques.

Fondatrice et directrice du musée d’art contemporain de Caracas, vous êtes l’une des personnalités majeures de l’art contemporain qui doit beaucoup à votre sensibilité, à votre ouverture d’esprit et à votre persévérance.

Soyez-en, chère Madame, remerciée au nom de tous ces plasticiens qui doivent à votre générosité d’être aujourd’hui qui ils sont.