Interview de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, dans "Regards" de février 1997, sur les bons résultats de la FSU aux élections professionnelles, le questionnaire de la FSU auprès des élèves et de leur famille, le système scolaire, la violence à l'école.

Prononcé le 1er février 1997

Intervenant(s) : 

Média : REGARDS

Texte intégral

Regards : Les résultats des élections professionnelles donnent à la FSU la première place dans la fonction publique d’État et chez les enseignants. Quels motifs voyez-vous à ce succès ?

Michel Deschamps : Nous réfléchissons, de façon approfondie, avec les syndicats et les sections départementales, aux enseignements de ces résultats, à ce que les personnes sont exprimé par leur vote. Incontestablement, ce scrutin s’inscrit dans une dynamique : les syndicats regroupés dans la FSU, depuis trois ans, attirent de nouveaux adhérents. La FSU s’inscrit dans un syndicalisme de proximité combatif. Je suis persuadé que son pluralisme interne, l’extrême attention portée à la diversité des syndicats et des personnels est un atout majeur. Enfin, l’unité que nous avons recherchée avec les autres forces syndicales, dans l’éducation, dans la Fonction publique, dans le mouvement social…, cette unité-là paie, parce qu’elle répond aux attentes des salariés.

Il y a peut-être une autre explication : la FSU ne s’est jamais reconnue dans la coupure entre les deux « blocs » du syndicalisme « réformiste » et du syndicalisme « contestataire ». Je crois qu’il faut inventer une voie qui sache concilier les rapports de forces et les propositions alternatives et confronter les revendications sectorielles à l’intérêt général. Cette confrontation n’est évidemment pas simple mais c’est précisément sur le point de convergence des intérêts professionnels et de l’intérêt général que le syndicalisme est attendu. Pas seulement dans la bataille défensive contre les régressions sociales mais dans l’aptitude à dégager des perspectives. Agir permet, par ailleurs, de modifier de conception et les contenus d’un intérêt général qui n’est évidemment pas une donnée statique…

Le scrutin du 12 décembre, en modifiant la donne syndicale, pose aussi ces questions. La FSU est non seulement renforcée dans sa place de première fédération de l’éducation mais elle devient la première fédération de la fonction publique d’État et la quatrième force syndicale du pays, par les suffrages et le nombre d’adhérents.

Elle est donc conduite à s’impliquer plus encore dans le mouvement syndical et dans ses difficultés. Face au chômage, face aux remises en cause des droits sociaux, face aux menaces sur le secteur public, face aux obstacles à l’insertion de la jeunesse, le syndicalisme français n’a-t-il rien d’autre à offrir que le spectacle de ses divisions, de ses combats de chef, de ses « guerres civiles » internes ? S’agit-il seulement de se disputer les rares syndiqués restants ? Si nous ne savons pas nous rapprocher, dans les pratiques et pas seulement dans les déclarations, nous allons droit dans le mur. Nous avons là une responsabilité devant le syndicalisme et devant la société tout entière, à un moment où le racisme, la pauvreté, le désespoir, la fuite dans la drogue sont autant de signes d’une risque d’implosion sociale.

Regards : La consultation publique pour l’éducation que vous avez commandée à la Sofres a montré que pour les élèves et leurs familles, l’école doit servir en priorité à permettre l’accès à un travail : pour les enseignants, à former à la réflexion et à l’esprit critique. Est-ce une contradiction ?

Michel Deschamps : Dans le questionnaire, le sondage, les enquêtes vidéo que nous avons fait réaliser, nous avons été surpris par la force avec laquelle s’expriment la peur du chômage, dès 12 ou 13 ans ! L’acharnement à trouver un « job » à n’importe quelle condition pour échapper à l’exclusion sociale. S’exprime là une peur presque obsessionnelle, qui enserre les attentes et les motivations de toute une génération comme dans un étau. C’est cet étau-là qu’il faut resserrer… en créant des emplois ! Les jeunes et les familles n’accusent pas l’école du manque d’emplois. Ils savent qu’elle ne peut créer les 600 000 à 700 000 postes de travail indispensables pour insérer aujourd’hui les jeunes, mais ils attendent de l’école une meilleure préparation à un monde plus dur. Cette exigence me paraît naturelle – les enseignants ne la sous-estiment d’ailleurs pas, puisqu’ils la classent dans leurs trois priorités. Mais ils restent très attachés à la formation de l’esprit critique et à celle du citoyen. Missions traditionnelles ? Je n’en sais rien mais qui prendrait la responsabilité de les considérer comme dépassées ou inutiles, dans la société que nous connaissons ? Il n’y a pas en fait d’opposition, mais une tension entre ces pôles – formation intellectuelle, formation au métier, citoyenneté – qui ne peuvent que co-exister et « travailler l’école » pour construire de nouvelles cohérences.

Regards : Que suggère votre fédération pour y répondre ?

Michel Deschamps : Une des réponses concrètes tient dans la modernisation de l’obligation scolaire. Alors que la scolarité continue de fait au-delà de 18 ans, l’obligation de l’État d’offrir une scolarité de qualité change de nature. Elle doit inclure la formation professionnelle initiale. Elle doit élargir la gratuité à des formations d’autant plus coûteuses qu’elles sont techniques et professionnelles. Elle doit diversifier et revaloriser les filières technologiques et professionnelles offertes par le service public. Elle doit préférer, à des solutions très partielles et très insuffisantes comme l’apprentissage, une amélioration des formations publiques, avec le développement de stages véritablement formateurs, comme le souhaite la FSU.

Nous constatons, hélas, que les « stages diplômants », dans leur présentation actuelle et alors qu’ils sont concoctés directement entre l’État et le patronat, loin des formations des jeunes, vont des un sens rigoureusement inverse.

Regards : Quelles autres mesures préconisez-vous, relatives notamment aux contenus d’enseignement ?

Michel Deschamps : Le mouvement de diversification des voies de réussite, les formations spécifiques aux métiers, le développement nécessaire des enseignements à option… font a contrario renaître la question de la « culture commune » à l’ensemble des jeunes. Le rapport Fauroux répond par la proposition d’un « savoir minimum », d’une « trousse de survie », qui apparaît totalement archaïque et dénuée d’ambition. L’école de la République doit avoir un tout autre idéal. Il s’agit d’ouvrir l’accès aux connaissances fondamentales, de dispenser les savoirs sur lesquels se bâtiront, tout au long de la vie, la culture, la responsabilité citoyenne… A la veille du 3e millénaire, cela ne peut se réduire à savoir lire, écrire, compter.

L’exigence du « destin solidaire commun » pose la question de la diversité des aptitudes et des goûts, mais aussi celle de l’inégalité sociale. Les emplois crées aujourd’hui sont insuffisants en volume : ils sont aussi pauvres en qualité. Ils ne permettent pas ou peu la prise en compte de l’élévation des savoirs, des techniques… L’avenir ne peut se trouver dans la généralisation des « boulots » précaires et sous-rémunérés. Le gouvernement investit dans l’aide aux entreprises sous des formes diverses, sans cesse renouvelées et élargies… Quel effet réel sur l’emploi ? Même une revendication comme celle qu’avait avancée la FSU de lier l’aide publique à une obligation d’accueillir des jeunes en stage, n’a pas été suivie d’effet !

Regards : Ces orientations, à savoir le souci d’une culture commune dispensée par l’école, la nécessité d’inclure la formation professionnelle, la formation à l’esprit critique, n’auraient-elles pas, si on les appliquait toutes, encore d’autres effets ?

Michel Deschamps : Un double travail, sur les contenus et sur les méthodes, est nécessaire. Notre enseignement est parfois trop abstrait. Il tabler davantage sur les pratiques, rééquilibrer les savoirs, travailler la portée pratique des enseignements généraux et la portée culturelle des enseignements pratiques. Il faut développer les arts plastiques qui sont les parents pauvres, le sport, la musique. L’approche disciplinaire est indispensable mais il faut en venir à la pluridisciplinaire : privilégier les méthodes pédagogiques qui favorisent l’activité et l’initiative, le travail collectif.

Regards : On dit souvent que la « diplômite » est une maladie spécifiquement française. Pensez-vous qu’il y ait une survalorisation du diplôme, alors qu’existe en même temps un important échec scolaire ? Et croyez-vous, concernant les élèves en difficultés, que l’école puisse donner un sens à des études qui n’en ont visiblement pas pour eux ?

Michel Deschamps : En France, les diplômes sont la voie de la reconnaissance sociale. Leur rôle augmente avec la crise, puisque la possession d’un diplôme, si elle n’est pas une garantie absolue, est une chance d’obtenir un emploi. A contrario, l’échec scolaire devient inacceptable, tant son coût social est lourd. La mutation du système éducatif en dévient plus urgente. Il faut rompre avec un système qui, pendant des décennies, a fonctionné sur la sélection. Le « bon établissement » reste celui qui écrème à l’entrée et obtient les meilleurs résultats à la sortie. Les Français ont gardé un souvenir mythique du certificat d’études. Ils ont oublié qu’il était fondé sur un taux de sélection qu’on n’accepterait plus aujourd’hui.

L’intolérance actuelle à l’échec scolaire est évidemment liée aux problèmes économiques, mais aussi peut-être à la notion de cohésion sociale. L’idée de la culture commune, de l’apprentissage de la citoyenneté semblent des garanties de cohésion plus nécessaires encore qu’hier. L’échec scolaire signifie aussi l’exclusion, dès l’enfance, de la société. Le problème c’est que le système d’éducation se voit confier une mission nouvelle à bien des titres – réussite de tous -, mais dans les pires conditions : moins d’argent, moins de cohésion sociale, mois d’emplois pour les jeunes.

Regards : Est-ce l’opinion de la majorité des enseignants ?

Michel Deschamps : Ils sont foncièrement attachés à la réussite des élèves, même dans les conditions dégradées d’aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard s’ils ne reconnaissent dans la FSU et dans son exigence de justice sociale. Mais ayons le courage de dire que cette attitude devient de plus en plus dure à tenir… qu’elle craque même parfois dans certains endroits particulièrement difficile… que la tentation est parfois grande de « négocier » la paix, en classe, dans l’établissement, contre une moindre exigence scolaire.

Il y a donc urgence à se donner les moyens multiples de la lutte contre l’échec, d’améliorer la qualification des personnels, par un effort pour la formation initiale - la mise en place des IUFM a constitué un progrès -, mais aussi par une vraie formation continue.

Regards : Évoquons la violence à l’école. Comment la combattre, selon vous ?

Michel Deschamps : Notre enquête a confirmé combien la violence s’exerce d’abord contre les jeunes et les effraie. Lutter contre la violence, c’est d’abord s’en donner les moyens par des décisions purement scolaires, mais l’école ne peut lutter toute seule. Une remobilisation sociale autour de l’éducation est urgente. Elle passe notamment par un dialogue effectif entre les enseignants et les familles, enjeu-clé des évolutions de l’école. C’est pourquoi la FSU est favorable au renforcement du rôle des fédérations de parents, au statut de délégué… comme elle est favorable à la valorisation des moyens d’expression collective des étudiants et des lycéens. Dans les quartiers, le dialogue existe déjà entre la communauté scolaire, les juges pour enfants, les travailleurs sociaux, la police. Ce dialogue est vital.

Mais on ne peut occulter la question des moyens, des postes nécessaires d’enseignants, de surveillant, d’assistantes sociales, d’infirmières… On ne peut ignorer la nécessité d’abaisser les effectifs et de réduire la taille des établissements. Ce n’est pas la voie dans laquelle on s’engage. Le budget 1997 est au contraire un budget de régression, dans des proportions inconnues depuis des décennies. Suppressions de postes, fermetures de classes, la rentrée 1997 est compromise : nous ne l’accepterons pas. La FSU fera tout pour que les choix budgétaires soient revus. La FSU fera tout pour que les questions de l’école, de l’éducation, de la formation, de l’insertion des jeunes redeviennent une véritable priorité.