Texte intégral
Extraits
Le Monde : La France, dit-on, doit se réformer pour s’adapter à la mondialisation, une mondialisation qui, on l’a constaté au récent Forum de Davos, ressemble beaucoup à une américanisation. Les réformes visent-elles à aligner la France sur le modèle américain ou à lui permettre d’y résister ?
Nicolas Sarkozy : Je ne considère pas que la mondialisation présente tous les inconvénients que l’on a coutume de dire. Cette mise en concurrence des systèmes économiques, fiscaux, juridiques, étatiques, me semble même plutôt une bonne chose. Je ne fais pas partie de ceux qui ont été fascinés depuis leur plus jeune âge par le rêve américain, je me sens extrêmement français, mais plus ça va, plus je me méfie de l’idée perverse d’une spécificité française, qui n’est bien souvent qu’un prétexte pour éviter de faire les efforts qu’on fait les autres avant nous, mieux que nous. Si la question est « Trouvez-vous qu’il y a de bonnes choses à prendre dans le modèle américain? », la réponse est oui. Si la question est « Peut-on plaquer le modèle américain sur la France ? », la réponse est non. Si la question est « Pensez-vous qu’en France et en Europe on puisse décliner un modèle spécifique sans tenir compte des expériences des autres ? », la réponse est encore non.
Alain-Gérard Slama : Il existe en France un héritage républicain, qui a tendance à se durcir face à cette mythologique mondialisation : quand Jacques Chirac disait que les Français étaient conservateurs, il faisait référence à la réaction des corporatismes, qui refusent tout changement.
Nicolas Sarkozy : Il ne faut pas confondre le conservatisme des structures françaises et le conservatisme qu’il est commode de coller sur le dos des Français eux-mêmes. Aujourd’hui, on fait dire à l’opinion publique plus qu'elle ne pense elle-même. Il est très curieux d’affirmer : si mon message n’est pas compris (je ne parle pas du Président de la République, je parle en général), c’est parce que vous n’êtes pas aptes à le comprendre ; c’est peut-être aussi parce que nous n’avons pas su en faire percevoir les enjeux. L’atonie du débat produit une espèce de rejet, ou de désespérance, ou d’ennui. On en tire la conclusion que l’opinion publique est incapable de réagir. Rien n’est plus urgent que de présenter des idées, même un peu rugueuses, et de parler avec authenticité.
Blandine Kriegel : Vous donnez vous-même de nombreux exemples de la difficulté de la réforme en France. Comment l’expliquez-vous ? Et comment contourner l’obstacle ?
Nicolas Sarkozy : La société archaïque n’évolue que par rupture. Nous sommes ainsi passés de la société monarchiste à la société républicaine par la rupture révolutionnaire Nous sommes aujourd’hui dans un autre univers. La société moderne n’attend par LA grande réforme pour avancer, tous les jours elle produit des réformes, petites, moyennes ou grandes. Mais alors qu’il y a dix ou quinze ans on expliquait après avoir agi, désormais l’explication est le premier étage de l’action. Dans une démocratie d’opinion, c’est parce que j’ai bien et longuement expliqué que l’opinion publique me donne le droit d’agir.
Danièle Sallenave : Sur les décombres de l’idée de révolution, l’idée de réforme jouit d’un prestige peut être indu. Péguy disait : « Tout ce qui est nouveau n’est pas bien parce que nouveau. » La réforme doit être faite pour le bien. Vous dites que le mot de « mondialisation » est peut-être une facilité, mais comment concevoir une politique nationale de réforme dans un cadre de plus en plus éclaté ?
Nicolas Sarkozy : Le problème se pose à tous les pays développés. Prenons l’exemple de l’emploi. Je regrette qu’on se focalise beaucoup trop sur les emplois qui disparaissent en oubliant ceux qui se créent. A toute époque, des métiers nouveaux sont apparus et des métiers anciens ont disparu. L’important est qu’en solde les premiers compensent les seconds. Je souhaite aussi qu’on remette la question des valeurs au cœur du débat politique. Je suis, par exemple, de ceux qui pensent que le travail est un facteur d’épanouissement personnel et de stabilité sociale. C’est pourquoi je suis résolument opposé à la réduction du temps de travail et à l’avancement de l’âge de la retraite.
Prenons la fiscalité. Je me bats pour qu’on paie moins d’impôts, non pas parce que ça fait plaisir aux gens, mais parce que j’ai, profondément ancrée en moi, une valeur qui s’appelle l’équité. Je n’aime pas le mot d’égalité. L’équité porte en elle-même le mérite et la récompense.
B. K. : L’égalité est un des grands principes de la République !
Nicolas Sarkozy : Référence pour référence, je vous renvoie à la lecture de Victor Hugo dans Choses vues : « Égalité, vocabulaire de l’envie. » Je considère que le concept d’équité est plus riche que celui d’égalité. Et que le concept de responsabilité est plus riche que celui de liberté. En définitive, je me demande si la devise « Équité, responsabilité, fraternité » ne serait pas meilleure !
B. K. : Êtes-vous favorable à la parité ou à des quotas pour favoriser l’accès égal des hommes et de femmes à la décision politique ?
Nicolas Sarkozy : Par principe, je n’aime pas les quotas. Mais il est vrai que, sur la place des femmes en politique, nous avons pris un retard considérable. Plutôt que de le combler en trente ans par une évolution naturelle, établissons des quotas pendant cinq ans pour débloquer la situation.