Texte intégral
Date : 3 décembre 1996
Source : L’Interconsulaire
L’Interconsulaire : Vous avez assigné aux ambassadeurs de France à l’étranger une nouvelle mission de « diplomatie économique ». Qu’attendez-vous d’eux plus précisément ?
Hervé de Charrette : Plus précisément, je leur ai assigné une priorité.
Chacun en effet peut constater l’importance croissante du facteur économique dans les relations internationales : la libéralisation des échanges, la dérégulation des économies, l’apparition de nouveaux débouchés commerciaux mais aussi de nouveaux concurrents, l’expansion sans précédent des flux d’investissement, ont en quelques années modifié le paysage mondial. C’est dans ce cadre que doit désormais s’inscrire l’action de la France, et en l’occurrence, de son outil diplomatique.
Nous devons dans ces circonstances affirmer sans hésitation notre présence économique, particulièrement dans les zones promises à une croissance soutenue. J’ajoute que nos efforts en ce sens participent évidemment à la bataille pour l’emploi que mène le Gouvernement.
C’est dire si je me sens à tous égards concerné, et pour tout dire mobilisé. J’ai demandé aux ambassadeurs de France de l’être tout autant. Que ce soit pour l’obtention de marchés, l’ouverture de nouveaux débouchés, la protection et la promotion de nos investissements, la conduite de négociations. Comme vous le voyez, la « diplomatie économique » dont je fais un axe fort de l’action de mon département ministériel, couvre un vaste champ, du soutien aux entreprises, grandes ou petites, jusqu’aux discussion entre États. J’attends donc de nos ambassadeurs qu’ils conduisent une action systématique et constante, qu’ils s’impliquent personnellement, mais aussi qu’ils sachent tirer le meilleur parti possible des collaborateurs et des services placés sous leur autorité, notamment les postes d’expansion économique.
L’Interconsulaire : Cette mission que vous confiez aux ambassadeurs suppose-t-elle des changements dans la coordination des différents services de l’ambassade ?
Hervé de Charrette : Cela ne me semble pas indispensable, même si nous devons en permanence réfléchir à l’amélioration du dispositif existant : les textes en vigueur rappellent clairement l’autorité dont est investi l’ambassadeur, et lui confèrent un réel pouvoir de coordination sur les services qui lui sont rattachés. L’unité d’action de nos ambassades me paraît ainsi suffisamment assurée. Pour le reste, j’ai confiance dans les qualités professionnelles et dans le sens de l’État de nos chefs de poste, mais aussi de tous ceux qui travaillent à leurs côtés.
L’interconsulaire : Une réforme en profondeur du dispositif d’appui à l’export est à l’étude : quelles sont vos orientations ?
Hervé de Charrette : Comme vous le savez, la réforme du dispositif d’appui à l’exportation fait actuellement l’objet d’une concertation interministérielle conduite sous l’autorité du Premier ministre. Une première série de mesures a été adoptée, concernant notamment le CFCE.
Le département ministériel dont j’ai la responsabilité est parti prenante, en étroite concertation avec les services du ministre de l’Economie et des Finances et notamment la DREE, à cette réflexion et au débat qu’elle suscite légitimement. Pour ma part, je crois que, par-delà les considérations techniques, nous devons nous en tenir à quelques objectifs primordiaux : comment répondre aux attentes des entreprises, qui varient selon leur taille, leur secteur d’activité, le marché sur lequel elles évoluent : deuxièmement, comment adapter le dispositif extérieur de l’État aux changements introduits par le marché unique européen, la multiplication des économies émergentes, la libéralisation et la dérégulation quasi généralisées que j’évoquais auparavant. C’est en gardant le cap sur ces priorités que nous pourrons faire évoluer notre dispositif d’appui, que cela passe par un redéploiement des moyens de l’État, une révision des structures, ou tout autre changement que nous ne devrons pas refuser d’introduire.
L’Interconsulaire : Comment les ambassades peuvent-elles aider les PME à être présentes sur les marchés émergents ?
Hervé de Charrette : À ma demande, la Conférence annuelle des ambassadeurs de France, à la fin du mois d’août, à Paris, a centré ses travaux sur le soutien à l’activité internationale des PME-PMI. Plus de 60 dirigeants d’entreprises moyennes ou petites, venus de 8 régions françaises ont pris part aux débats que j’ai d’ailleurs animés en compagnie de Yves Galland et de Jean-Pierre Raffarin et avec les présidents des mêmes régions. J’ai pris cette initiative en ayant à l’esprit la place que les PME-PMI occupent dans le tissu industriel, les capacités exportatrices qu’elles recèlent, et le gisement d’emplois qu’elles représentent.
Qu’est-il ressorti de cette conférence ? Tout d’abord une sensibilisation de nos ambassadeurs aux besoins des PME-PMI. Je crois qu’en retour, les chefs d’entreprises concernés ont perçu qu’ils pouvaient compter sur nos ambassades pour les aider à prospecter, vendre, investir, et trouver auprès des ambassadeurs eux-mêmes, l’appui qu’ils escomptent. J’ai le sentiment que ce message est bien passé, et je vous remercie de le relayer encore. En second lieu, j’ai tenu à ce qu’une action plus concrète prolonge cette initiative. J’ai donc demandé à mes services d’organiser de façon systématique le déplacement d’ambassadeurs de France dans nos régions, pour y rencontrer les dirigeants d’entreprises, le plus souvent de PME-PMI, et travailler avec eux au développement de leur présence internationale. Naturellement, ces « ambassadeurs en mission » doivent parler des marchés qui intéressent les entreprises, et donc représenter en quelque sorte les « pays-cibles » d’une région. Par ailleurs, le choix des régions pour y tenir ces rencontres est entre les mains des responsables régionaux eux-mêmes. Comme pour les entreprises, c’est à une demande explicite que mon ministère répondra. Pour ma part, je procéderai en novembre prochain à Nantes, au lancement de ces « rencontres ».
Quant à l’appui dont nos PME ont besoin sur les marchés émergents, je dirai que la solution ne se trouve pas dans un changement de nature des soutiens que peut apporter l’État - lesquels sont les mêmes partout - mais dans un changement d’intensité de l’assistance ainsi fournie.
L’Interconsulaire : L’une des grandes missions des chambres de commerce et d’industrie est d’appuyer les PME dans leur démarche exportatrice. Elles disposent pour cela d’un solide réseau dans le monde (73 chambres dans 63 pays). De quelle façon comptez-vous associer le réseau des chambres à l’action des ambassades ?
Hervé de Charrette : Je connais bien l’importance du réseau des chambres de commerce et d’industrie, et l’action qu’elles mènent au service des PME-PMI. Et c’est parce que j’apprécie leur efficacité que j’ai tenu à ce que mon ministère travaille avec elles aux deux bouts de la chaîne : à l’étranger, où la coopération sur place est ancienne, et désormais dans les régions où, avec leur concours, nous organiserons les rencontres « ambassadeurs-entreprises » dont je parlais.
L’Interconsulaire : Y a-t-il certains pays, certaines zones, sur lesquels il vous semble plus urgent d’agir ?
Hervé de Charrette : L’urgence se trouve partout, s’il s’agit, par l’exportation, de favoriser la croissance et l’emploi. Mais, l’urgence ne constitue pas une priorité : je crois qu’il nous faut consolider nos positions en Europe, sur la base du marché unique et dans la perspective de la monnaie unique, qui nous épargnera les fluctuations monétaires. Je crois aussi que nous ne devons, à aucun prix, manquer le rendez-vous que nous donnent les pays émergents - en Asie, en Amérique latine, en Europe centrale et au Proche-Orient. Je crois enfin que nous ne devons pas négliger nos partenaires en développement, notamment africains.
L’Interconsulaire : L’aide de l’ambassade aux PME vous semble-t-elle plus utile dans les pays développés mais où les places sont chères) ou au contraire sur les nouveaux marchés présentant des risques ?
Hervé de Charrette : L’État ne saurait se substituer aux chefs d’entreprises, mais il peut éclairer sa décision et faciliter ses opérations.
L’adaptation du dispositif public d’appui aux exportateurs doit être commandé par la demande, celle des entreprises. Chaque marché appelle un dispositif approprié, mais aucun ne saurait justifier la disparition complète de mécanismes de soutien public. L’État peut donc inciter, il ne saurait décréter l’exportation. Il lui revient donc d’être présent, partout où cela est possible, au prix éventuellement d’une réorganisation en profondeur de ses services, notamment sur les marchés développés.
Date : 7 décembre 1996
Source : Valeurs actuelles
Valeurs actuelles : Qu’attendez-vous des ambassadeurs français en poste à l’étranger ?
Hervé de Charrette : J’attends des ambassadeurs qu’ils découvrent le monde des PME-PMI. Ils connaissent bien l’univers des grandes entreprises, avec qui ils entretiennent des relations régulières, moins celui des PME qui est plus vaste, plus complexe, plus dispersé. Globalement, l’exportation française repose sur cinq mille entreprises seulement, alors que les réserves de capacité exportatrice sont inouïes. Avec ces rencontres, nous voulons contribuer à un maillage entre le monde diplomatique et le monde économique, nous voulons monter le « réseau France » pour l’exportation. Il est nécessaire de faire comprendre aux PME que le temps des ambassadeurs un peu proustiens est fini depuis longtemps et que les diplomates ont acquis un savoir-faire en matière économique qu’ils mettent à leur disposition.
Valeurs actuelles : Estimez-vous que les petites et moyennes entreprises sont trop frileuses à l’exportation ?
Hervé de Charrette : On a tort de parler de frilosité des PME. Ce qui est vrai, c’est qu’entrent les PME françaises et les PME allemandes il existe une différence de taille. Une PME en France aura cent cinquante salariés quand en Allemagne elle en comptera le double. Cela signifie des moyens humains et financiers plus importants pour s’intéresser aux marchés étrangers.
Bien sûr, beaucoup de nos petites et moyennes entreprises enregistrent déjà d’excellents résultats à l’exportation. Mais, il faut aller plus loin. Dans une guerre tous les soldats comptent, quel que soit leur grade. Et c’est une bataille pour les emplois de France que nous avons à livrer. Il faut avoir un chiffre en tête : une augmentation de 5 % du commerce extérieur permet de créer deux cent cinquante mille emplois. Nous disons aux PME-PMI : vous avez peut-être des opportunités qui dorment, nous allons vers vous pour vous aider à les réaliser.
Valeurs actuelles : Trois ambassadeurs participant à ces rencontres sont en poste sur des marchés émergents en Asie. Ces pays sont-ils votre priorité en matière d’exportation ?
Hervé de Charrette : Nous possédons 6 % des parts de marché dans le monde mais seulement 2 % en Asie. C’est donc dans cette partie du monde que nous devons faire porter nos efforts. Mais pas seulement. D’ailleurs les ambassadeurs français présents ici représentent les cinq continents. Quel que soit le pays concerné, il faut multiplier les dialogues, développer la connaissance mutuelle entre deux mondes peu habitués à se côtoyer. Dans deux mois, les rencontres « ambassadeurs-entreprises » se renouvelleront dans une autre région, qui n’est pas encore désignée, et en dix-huit mois nous devrions faire le tout de toutes les régions françaises.