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Q. Les 35 heures feront-elles partie des grandes lois sociales dont la gauche aime à se réclamer ?
R. Dans mon esprit, le choix des 35 heures vaut plus par son importance économique que par sa portée sociale. Autant au début et au milieu du siècle, la réduction du temps de travail était conçue pour donner plus de temps libre aux salariés, autant, aujourd’hui, c’est d’abord pour donner plus d’emplois aux chômeurs.
Q. Comment expliquez-vous qu’une telle loi mobilise aussi peu ceux à qui elle s’adresse ?
R. Les études d’opinion montrent que les Français adhèrent très largement à la réduction du temps de travail et même à la loi sur les 35 heures. Il y a en revanche un relatif scepticisme à l’égard de leurs effets sur l’emploi. Mais après tout ce qu’on avait promis et annoncé à grands coups de trompette sur le chômage depuis vingt ans, cette prudence me paraît compréhensible. L’enjeu pour la gauche est donc de convaincre. Convaincre les salariés que cette redistribution du travail est utile et qu’ils n’y perdront pas. Convaincre les salariés que cette redistribution du travail est utile et qu’ils n’y perdront pas. Convaincre aussi les chefs d’entreprise que l’on peut créer des emplois sans affecter la compétitivité, grâce à la négociation et les aides de l’État.
Q. Les différentes études sur les créations d’emplois donnent des estimations fort éloignées. Quel est le chiffre réaliste ?
R. Je suis avant tout réaliste. Je suis sûr que la réduction du temps de travail créera des emplois. Mais je ne voudrais pas laisser penser que les 35 heures seront un nouveau miracle économique. Il n’y a pas de miracle en économie. Tout dépendra de la qualité de la négociation et du nombre d’accords qui seront signés. Les créations d’emplois seront d’autant plus fortes que la négociation sera rapide, les innovations nombreuses et la croissance forte.
Q. Les 35 heures risquent-elles d’être remises en cause par un retour de la droite au pouvoir ?
R. Je ne pense pas. Il s’agit à mes yeux de la poursuite d’un processus séculaire qui ne sera pas interrompu. Déjà la droite, avec la loi de Robien, avait admis le principe de la réduction du temps de travail. Depuis, son application a convaincu un grand nombre de ses représentants qu’il devait être encouragé. Même si aujourd’hui ils ont du mal à l’admettre parce qu’ils sont revenus dans l’opposition et qu’ils s’alignent sur les slogans du patronat.
Q. En choisissant la réduction du temps de travail, la gauche signifie-t-elle ne compte plus sur la seule croissance pour résorber le chômage ?
R. Avec une croissance de 3 %, on crée à peine les emplois nécessaires à ceux qui arrivent chaque année sur le marché du travail, à peu près 150 000. Il faut donc d’autres dispositifs. Il y a les emplois-jeunes, mais il faut aller au-delà du traitement social du chômage. D’où la réduction du temps de travail, qui est, j’y insiste, une solution économique. Plus il y aura de personnes dans l’emploi, plus la croissance sera forte. Car ce qui fait la croissance, c’est quand même la consommation, et ce qui fait la consommation, c’est la confiance dans l’avenir et le nombre de personnes au travail.
Q. Si vous ne deviez employer qu’un seul argument pour convaincre les chefs d’entreprise du bien-fondé des 35 heures ce serait lequel ?
R. Toute victoire sur le chômage redonnera confiance au pays et relancera la demande intérieure, ce qui bénéficiera naturellement aux entreprises. Leur profit de demain dépend pour beaucoup de la consommation d’aujourd’hui.
Q. Dans une économie mondialisée, comment la France des 35 heures sera-t-elle encore compétitive ?
R. Tout est fait dans la loi et tout sera fait dans les entreprises si les partenaires le veulent bien pour que notre compétitivité ne soit pas atteinte. La réforme voulue par le Gouvernement laisse deux ans aux grandes entreprises pour négocier, quatre aux petites. En plus, un rendez-vous est prévu à la fin de 1999 pour savoir à quel moment la durée légale du travail sera de 35 heures. Et quand bien même ce serait en l’an 2000, ce qui est souhaité, il restera toujours de la souplesse avec les heures supplémentaires.
Q. Si la réduction du temps de travail est bien la solution la plus puissance au chômage, pourquoi n’avoir pas choisi d’emblée la semaine de quatre jours.
R. Tantôt, on nous dit : vous êtes trop ambitieux. Tantôt, on nous dit : vous êtes trop timorés. La semaine de quatre jours est peut-être une perspective à moyen terme. Mais, pour le coup, imposer une telle révolution à l’économie française aurait été risqué. En revanche, des accords à 32 heures ou moins sont possibles dans certains secteurs, certaines branches, voire dans certaines entreprises. Rien ne l’interdit dans les textes et la négociation est largement ouverte.