Article de M. Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, dans "Le Matin" du 4 septembre 1981, sur la politique gouvernementale, intitulé "Rien n'est garanti"

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Peu de similitude entre la « rentrée sociale » de cette année et celles que nous connaissions depuis plus de trente ans. Non pas que tous nos objectifs soient atteints, mais en raison de la situation nouvelle dans laquelle, depuis le 10 mai, s'exerce notre action syndicale. Des relations sont établies entre les représentants de la CGT et tous les représentants de l'Etat qui ont à connaître les problèmes économiques et sociaux, depuis le président de la République et son Premier ministre jusqu'aux ministres et secrétaires d'Etat.

Les premières mesures sociales intervenues sont globalement appréciables, même si l'insuffisance de certaines d'entre elles (SMIC, salaires, secteur public) ont entraîné de notre part des réactions critiques. Les dossiers dont nous ne pouvions pratiquement jamais discuter avec le pouvoir précédent sont en cours d'examen. Il est permis de penser que, dans les semaines et les mois qui viennent, la concertation et les négociations aboutiront à de nouveaux résultats du type de ceux que la loi d'amnistie a apportés aux travailleurs. C'est la première fois en effet qu'une telle loi inclut les victimes de la répression patronale. La furieuse réaction du CNPF est à cet égard significative des possibilités qui existent de marquer des points importants. Certes, tout n'est pas réalisable d'un coup. L'héritage laissé par la droite est lourd. La crise est là. Mais l'essentiel est de savoir si nous avancerons ou non sur la voie du changement réel. A cet égard, rien n'est garanti.

« L'essentiel est de savoir si nous avancerons ou non sur la voie du changement réel »

Une majorité parlementaire au sein de laquelle les réformes économiques et politiques indispensables à une avancée sociale durable sont loin de faire l'unanimité, une forte pression européenne et internationale de toutes les forces conservatrices qui redoutent sans raison le succès d'une expérience démocratique française : un patronat décidé à user de tous les moyens dont il dispose pour bloquer l'évolution et remettre en cause la victoire du 10 mai. Son attitude conservatrice lors des négociations sur la durée du travail, certaines mesures de licenciement provocatrices sont de nature à faire surgir des conflits sérieux si la raison et le réalisme ne s'imposent pas. Tels sont les côtés incertains et négatifs de la situation.

Mais il reste en toile de fond l'immense espérance populaire de changement vers le progrès économique, la justice sociale et la démocratie. C'est cette ardente aspiration que la CGT traduit en acte sur le plan syndical. Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que la victoire du 10 mai soit notre préoccupation centrale. Elle requiert de toutes nos organisations, de tous nos militants, un engagement adapté aux circonstances nouvelles de notre combat de classe.

Prêts à coopérer pour favoriser tout pas en avant, à nous dresser contre toute tentative de nature à nous faire revenir en arrière, nous entendons être, vis-à-vis du gouvernement de gauche, un partenaire réaliste et constructif mais indépendant, allié pour le positif, éventuellement contestataire pour le négatif.

Nous avons toujours dit que l'indépendance syndicale et l'autonomie de l'action des syndicats est une condition majeure de la démocratie quel que soit le contenu politique de l'Etat. Au moment où l'illusion réformiste et les idées de collaboration de classes croient pouvoir s'offrir une nouvelle jeunesse, il ne saurait être question d'édulcorer cette notion de principe. Au contraire, dans les conditions de la gauche au pouvoir, le renforcement du syndicat de classe est l'une des conditions majeures du succès pour les travailleurs.

Au regard des résultats du recrutement enregistré à la CGT au cours des trois derniers mois, il n'est pas certain que tous nos militants, tous nos élus et mandatés aient pris conscience de cet impératif. Certes, la situation s'est améliorée : de la stabilisation nous passons dans nombre de cas à la progression, mais à un rythme beaucoup trop lent.

Dans le courant du mois de septembre, toutes les instances dirigeantes de nos organisations se réuniront au moins une fois. Sans doute toutes consacreront le temps nécessaire à la mise au point des mesures propres à renforcer la CGT et auront la volonté de présenter un bilan fructueux à l'occasion du CCN d'octobre qui annoncera la convocation du 41e congrès fédéral.