Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, dans "Libération" du 17 novembre 1999, sur la préparation de la campagne d'information sur la contraception, les missions de l'hôpital public et le plan d'action sur l'IVG.

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Q - Votre campagne d'information a été qualifiée d'Arlésienne. Où en est-on ?

Quand nous sommes arrivés, nous nous sommes aperçus que la contraception avait reculé : chez les jeune filles notamment, l'usage du préservatif lors des premiers rapports était abandonné sans être remplacé par un autre mode de contraception. Quant aux femmes de milieux défavorisés, elles n'y avaient pas accès. Il fallait trouver un message fédérateur pour ces deux populations. Avant l'été, nous avons convenu avec le comité de pilotage qu'il fallait une campagne naturelle car nous ne sommes plus dans le cadre d'un combat militant. Nous venons de trouver le bon message, qui n'est pas spécialement ciblé sur les adolescentes. Les tests faits par l'agence de publicité sont positifs, la campagne va démarrer en janvier.

Q - Avez-vous tranché pour le remboursement des pilules de la troisième génération ?

Ces pilules valent entre 70 et 130 francs là plaquette. Les laboratoires refusaient absolument de baisser leurs prix. J'ai demandé au professeur Spira de vérifier si ce prix était justifié par un plus en matière d'efficacité et d'effets secondaires. Il a répondu que non. Les laboratoires n'ont rien voulu entendre. Il est hors de question de céder, nous sommes donc bloqués. Heureusement une de ces pilules va tomber dans le domaine générique l'an prochain, elle sera donc moins chère et nous pourrons la rembourser.

Q - L'autre chantier est celui de la réforme de l'IVG. Où en est le bilan que vous aviez commandé sur la production du service public hospitalier, région par région ?

Il vient juste d'être terminé et fait état de grandes inégalités de l'offre selon les régions. On voit bien le déficit d'information sur la contraception dans certaines parties de notre pays. Quand on prend le pourcentage d'IVG par rapport aux accouchements, on voit qu'il n'est que de 18 % dans les pays de Loire, 36 % en Paca, 45 % en Corse et 73 % en Guadeloupe. Selon les praticiens, le nombre d'interventions varie de 45 à 500 par an, ce qui prouve que certains médecins sont peu enclins à les pratiquer. J'ai envoyé hier aux directeurs d'agences hospitalières régionales une circulaire les enjoignant de proposer toutes les méthodes – y compris le RU 486 – de veiller à ce que chaque service de gynéco-obstétrique ait un service d'IVG et d'imposer dans chaque région une permanence ouverte l'été et durant les vacances. Enfin nous voulons que plus personne ne puisse devenir chef de service s'il refuse, pour des motifs de conscience, de laisser pratiquer l'IVG dans son service.

Q - Êtes-vous favorable à l'allongement du délai à 12 semaines ?

Personnellement, oui. Mais il faut préparer l'opinion publique. Il faudra que les spécialistes montent au créneau, en montrant que la plupart des pays européens l'ont adopté, même l'Espagne et l'Italie. Il faut éviter qu'en cette fin de siècle, on assiste à une remise en cause du droit à l'IVG à propos de cette question des délais.

Q - Et la suppression de l'autorisation parentale pour les mineures ?

Je continue à avoir une hésitation très forte. Je pense qu'un avortement est un bouleversement pour les jeunes filles, et à un moment où l'on redit l'importance de la famille, il me semble paradoxal qu'on affirme : la famille ne doit pas être au courant. Mais il faut aussi régler ces cas douloureux, notamment dans les quartiers difficiles, où certaines filles ne peuvent pas compter sur leurs familles. Nous travaillons sur plusieurs pistes, celles d'un tutorat exercé par un autre adulte, médecin, responsable d'association par exemple qui suppléerait le parent. Mais il ne faut pas exclure la famille quand celle-ci peut remplir son rôle.