Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, à RMC le 11 décembre 1996, notamment sur l'intervention télévisée de M. Chirac le 12 décembre, le plafonnement de l'ISF, l'attentat à la station RER de Port Royal, et la flexibilité de l'emploi.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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P. Lapousterle : Demain soir, l’intervention du président de la République à la télévision. Vous êtes membre de l’opposition, vous ne le cachez pas, est-ce que vous attendez ce discours sans illusion ou bien avec curiosité et intérêt ?

A. Bocquet : Avec curiosité, bien entendu, comme chacune et chacun des Français. Avec des illusions : il y a longtemps que j’ai perdu mes illusions quant à la politique du Président Chirac. Il avait fait des promesses mirifiques pour être élu président de la République, force est de constater qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. Au contraire, la fracture sociale s’est approfondie et rien de ce que donne la politique de M. Chirac et de M. Juppé n’apporte des réponses aux problèmes des Français en matière d’emploi ou d’avenir de la jeunesse et autres problèmes sociaux. J’attends quand même une réponse quant à la question du référendum sur la monnaie unique. Il avait, dans une émission télévisée, le 6 novembre 1994, annoncé qu’avant que la France franchisse le pas de l’entrée dans le système de la monnaie unique, les Françaises et les Français seraient consultés. Nous, les communistes, réclamons qu’il y ait un référendum, c’est-à-dire que la promesse de M. Chirac soit mise en œuvre. J’attends une réponse sur cette question-là.

P. Lapousterle : Cela dit, d’autres considèrent que, par le vote de référendum, la monnaie unique étant dans le texte, elle a déjà été votée ?

A. Bocquet : M. Chirac lui-même avait dit qu’en France, il fallait que ce soit les Françaises et les Français qui le décident par référendum. Nous pensons que c’est plus juste et démocratique. Après tout, c’est la promesse la moins chère puisque c’est le prix des bulletins de vote, oui et non, c’est le prix de la démocratie.

P. Lapousterle : Un mot sur les affaires qui touchent le RPR ?

A. Bocquet : Il y a toute une affaire sur les affaires dans notre pays. Il faut évidemment que la rigueur soit appliquée, que la justice se fasse, sauf que plus il y a de tapage sur les affaires, plus on fait évidemment un champ libre pour le Front national.

P. Lapousterle : Je voudrais votre réaction sur la décision d’hier, des députés de la majorité, de décider finalement d’accepter le plafonnement de l’ISF à 85 %, donc des revenus, pour éviter que les plus grosses fortunes installées en France ne quittent le territoire pour aller à l’étranger ?

A. Bocquet : Oui, c’est un prétexte qui est avancé, mais d’ores et déjà, les plus grosses fortunes françaises ont de l’argent dans toutes les banques du monde. La question posée est que la majorité gouvernementale UDF-RPR, une fois de plus, privilégie les privilégiés en diminuant cet impôt sur la fortune. C’est absolument inacceptable à la veille des fêtes où la plupart des Françaises et des Français tirent la vie par les difficultés énormes. De plus, ce qui est scandaleux, c’est que c’est un amendement qui est adopté par le Sénat et qu’aujourd’hui l’Assemblée nationale se trouve confrontée au problème : elle est dans l’impossibilité de redébattre de cette question et de pouvoir modifier cet amendement. Il faudrait qu’il y ait un amendement du gouvernement pour en changer. Nous avons contesté hier à la tribune de l’Assemblée nationale. Une fois de plus, la politique qui est menée en France est pour les riches. C’est vérifié.

P. Lapousterle : Mais est-ce que c’est bon que les gens doivent finalement vendre du capital pour payer l’impôt sur le capital chaque année ?

A. Bocquet : L’impôt sur les grosses fortunes, c’est vraiment epsilon en ce qui concerne les moyens donnés par ceux qui sont les plus riches dans ce pays. Les fortunes sont colossales, parce qu’on est dans un pays qui est riche, où les riches sont toujours plus riches et les pauvres plus nombreux et plus pauvres.

P. Lapousterle : Un mot sur l’attentat, on a parlé de dissonance de votre parti dans les réactions qui ont suivi parce que vous avez attiré l’attention sur peut-être quelques manques du point de vue de la sécurité ?

A. Bocquet : Nous avons évidemment contesté. Aucune cause, quelle qu’elle soit, ne peut justifier un attentat aveugle avec les conséquences que chacun ici connaît et déplore et condamne. Donc, de ce point de vue, nous avons participé à cette contestation unanime. Mais nous avons également dit que le plan Vigipirate est une utilité, et évidemment le gouvernement a pris ses responsabilités, mais ce n’est pas être dissonant que de dire que le fait qu’il y ait de moins en moins de moyens humains dans le métro, dans les gares, c’est un élément qui est un handicap du point de vue de la sécurité. Nous pensons que le fait qu’il y ait des moyens humains plus nombreux dans les sociétés de transport public, d’abord c’est la possibilité de créer des emplois – et ce n’est pas négligeable – et c’est aussi un élément supplémentaire pour la vigilance et la sécurité. Nous ne sommes pas les seuls à le demander, les associations d’usagers, les syndicats le demandent. Je ne vois pas là un élément dissonant, simplement une exigence toute naturelle.

P. Lapousterle : Il y a un problème qui agite la société française, les partis, mais aussi la population, parce que ça va concerner tout le monde. C’est un sujet que le président de la République abordera probablement jeudi, c’est ce qu’on appelle la flexibilité de l’emploi. Donc, il y a des partisans de cette méthode qui disent : plus de souplesse dans l’embauche et le licenciement pour plus d’emplois et c’est la condition pour que, en France, il y ait enfin un peu moins de chômeurs chaque mois ?

A. Bocquet : Il y a un côté tout à fait paradoxal, c’est que le CNPF, M. Gandois en personne, dise : si vous voulez qu’on embauche, autorisez-nous à licencier. C’est vraiment absolument incompréhensible…

P. Lapousterle : Parce que vous ne finissez pas sa phrase : autorisez-nous à licencier pour qu’on puisse embaucher plus facilement, qu’on ait moins la crainte d’embaucher.

A. Bocquet : Oui, mais le problème est que ce n’est pas nouveau. On a déjà fait cette expérimentation. Je me souviens, je crois qu’il s’agissait de M. Gattaz, qui avait obtenu d’ailleurs à propos de la loi qui était appliquée auparavant en ce qui concerne l’autorisation administrative des licenciements, que celle-ci soit supprimée et il avait promis la création de 300 000 emplois. Nous n’avons jamais vu ces 300 000 emplois. Non, c’est un chantage absolument abominable. Pour créer des emplois, il faut que le patronat utilise les fonds publics qui lui sont donnés pour les investir dans la production, dans le développement économique. Il faut réduire le temps de travail. La flexibilité, parlons-en, réduisons le temps de travail à 35 heures sans diminution de salaire. Voilà les solutions ! Mais la flexibilité à la sauce patronale, c’est toujours plus de contraintes pour les salariés.

P. Lapousterle : Est-ce que l’on peut dire cela lorsqu’on voit que dans les deux pays qui ressemblent à la France, qui ont le même système économique, c’est-à-dire les États-Unis et la Grande-Bretagne qui utilisent la flexibilité de l’emploi depuis assez longtemps, il y a moins de chômeurs qu’en France ?

A. Bocquet : Vous savez, je reviens d’un voyage aux États-Unis, d’abord les conditions de travail sont épouvantables, l’exploitation des salariés est absolument impressionnante au sens négatif du terme, bien entendu, et je crois que cette solution n’est pas une solution à visage humain. Qu’il y ait une certaine souplesse qui s’impose dans l’activité économique, c’est évident, mais ça ne doit pas se faire aux dépens des salariés.

P. Lapousterle : Il faut continuer à avoir plus de chômeurs chaque mois parce qu’on ne veut pas toucher aux avantages acquis des gens qui ont un travail ?

A. Bocquet : La solution pour le chômage, elle est dans la réduction du temps de travail, dans la relance du pouvoir d’achat pour développer la consommation populaire et donc développer l’économie, elle est dans les investissements productifs et non pas dans l’utilisation des profits pour la spéculation financière. Aujourd’hui, près de la moitié des profits sont investis dans la spéculation financière, dans le système de l’argent pour l’argent. Et cela ne fait pas vivre une économie, ça la tue.

P. Lapousterle : Que pensez-vous du carnet de compétence qui a été proposé dimanche dernier par M. Barrot ? C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas simplement le curriculum vitae pour quelqu’un, mais une espèce de carnet dans lequel seraient consignées ses expériences professionnelles, ce qui lui permettrait de trouver plus facilement du travail ?

A. Bocquet : Cela relève du gadget gouvernemental. Il s’avère que, par ailleurs, je suis le maire d’une ville, je reçois quotidiennement des dizaines de curriculum vitae plus mirifiques les uns que les autres du point de vue du niveau de compétence, d’expérience, de diplôme ; des bac + 5, + 9, l’autre jour, bac + 10, des jeunes qui ne trouvent pas d’emploi ou alors, qui sont contraints de faire des emplois de service qui sont loin de leur qualification. C’est une fausse fenêtre, en définitive. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des centaines de milliers de jeunes dans ce pays qui veulent, qui ne demandent qu’à travailler, qui ont l’expérience, les compétences, au moins les diplômes et que cette société ne leur offre pas d’emploi. Et une société qui n’offre pas d’emploi à sa jeunesse est une société qui n’a pas d’avenir.

P. Lapousterle : Le programme du Parti socialiste vous convient ?

A. Bocquet : Il y a des éléments que je partage, bien entendu, du point de vue des solutions qui sont avancées, affichées au plan social. Je n’ai qu’une question : être favorable à la monnaie unique et penser avoir une politique sociale, je trouve ça un peu antinomique parce que la monnaie unique est justement faite pour les marchés financiers, pour les favorisés au plan mondial et européen. Donc, j’y vois une contradiction. Je ne pense pas qu’on puisse être favorable à la monnaie unique et penser, d’une manière parallèle, réaliser une politique sociale.

P. Lapousterle : Est-ce que c’est une contradiction qui vous permettra quand même d’aller ensemble aux élections de 1998 et de gouverner ensemble ou est-ce une contradiction insurmontable ?

A. Bocquet : 1998, c’est demain, mais en même temps, l’avenir commence maintenant. La question qui est posée c’est, par exemple, sur la monnaie unique : d’une part que les Françaises et les Français soient consultés, c’est une priorité, et quel contenu met-on aux changements de demain ? On sait bien que la gauche est plurielle, contradictoire. On gère des municipalités ensemble ou des départements. Les communistes ont toujours pris leurs responsabilités. La question posée est : quelle politique va-t-on mener demain ? C’est cela la question de fond. Et c’est évident que les contradictions ne peuvent pas se résoudre seulement autour d’une table, elles se résoudront dans l’action et dans la lutte.