Interview de M. René Monory, président du Sénat, à Europe 1 le 17 février 1998, notamment sur les enjeux des élections régionales et cantonales et sur le débat relatif à la limitation du cumul des mandats.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M. Tronchot : Nous sommes, Monsieur Monory, à un peu moins d'un mois des régionales et du premier tour des élections cantonales. Quelle importance est-ce que vous accordez à ces scrutins. Est-ce qu'il faudra y voir un test national ou un simple rééquilibrage régional ?

R. Monory : Que l'on soit favorable ou pas, je crois qu'il faut toujours attacher de l'importance à un scrutin. Ce n'est pas n'importe quoi. Dire que cela sera bon pour la majorité, j'en sais rien, j'ai vu les derniers sondages qui ne sont pas très bons. Cela dit, ça ne veut rien dire. Il y a au moins 50 % des gens qui ne savent pas s'ils vont aller voter. Donc ça peut changer beaucoup de choses. Personnellement, je crois que les campagnes se font toujours dans le dernier mois. Donc on a encore toutes les chances. Cela sera sans doute moins bien que les dernières élections régionales, puisqu'à ce moment-là, on avait raflé, je crois, 21 régions sur 22. Cela ne va pas être la même chose cette fois. Je ne suis pas très pessimiste aujourd’hui.

M. Tronchot : Quand je dis test national, vous répondez ?

R. Monory : Oui. Un test national parce qu’il n’y a que huit mois que le gouvernement est en place. Donc, c’est encore un peu court pour faire un vrai test. Mais il faut bien reconnaître, il ne faut pas dire : si c’est bien ce sera un test national, si ce n’est pas bien, ce n’en est pas un. Ce sera un test national. Je pense que ce sera moyen. Ce ne sera pas trop mauvais.

M. Tronchot : Entre président de conseil général comme vous l’êtes dans le département de la Vienne et président de conseil régional, où se trouve véritablement le pouvoir ?

R. Monory : Il y a du pouvoir des deux côtés. Moi, j'aime bien le département parce qu'il y a longtemps que je suis président de conseil général. Peut-être que le département a cette caractéristique par rapport à la région, c'est qu'il est plus vieux. Le département, c'est une vieille entité républicaine et les gens sont plus unis, sont moins divisés. La région, c'est encore un petit peu plus régional, même micro-régional, parce que la région n'est pas ancienne. Mais je crois que les deux ont leur importance. Et comme je travaillais bien avec la région et Jean-Pierre Raffarin, nous faisons beaucoup de financements croisés, on a fait beaucoup de choses.

M. Tronchot : En quelque sorte, les régionales vont rafler la vedette, mais le plus important, c’est peut-être les cantonales ?

R. Monory : Je ne dis pas que c’est plus important. Mais je dis que c’est important qu’on ne perde pas les cantonales aussi, si on devait perdre les régionales. Moi, je crois que chez moi, cela se passera bien.

M. Tronchot : Après ces élections, le Parlement aura à connaître le projet de loi limitant dans le cumul des mandats. Qu’est-ce qu’il vous paraît possible de retenir dans les propositions qui ont été faites par le Premier ministre L. Jospin ?

R. Monory : Depuis le début, je l’ai dit à L. Jospin que j’ai rencontré, il faut distinguer deux choses : il a ce qui est complémentaire et il y a ce qui est antinomique. Antinomique, c'est par exemple député européen et député français. C'est conseiller général et conseiller régional. C'est ministre et d'autres responsabilités, par exemple. Par contre, ce qui est complémentaire, c'est d'être parlementaire - député ou sénateur - et d'avoir une fonction exécutive, car je vous assure que si on n’avait pas cet apprentissage du terrain, on ne serait pas bons. S’il n'y avait que des apparatchiks à la proportionnelle par exemple, au bout d'un certain temps vous ne comprendriez plus rien. Et moi, je sais que j'ai tout appris sur le terrain. Si je ne suis pas trop mauvais - je crois, enfin c'est les autres qui doivent en juger -, si je suis parlementaire national, c'est parce que j'apprends tout sur le terrain. Et le jour où l'on n’aura plus cette possibilité de s'exprimer, cela ne marchera pas. Je crois que de toute façon le Sénat tient un peu la clé puisque c'est une loi organique.

M. Tronchot : Vous allez être l’arbitre ?

R. Monory : L’arbitre, n’exagérons pas. Enfin, nous ne voterons pas, ça c'est sûr. Je suis à peu près sûr que la majorité du Sénat ne votera pas le non-cumul. Bien sûr, on acceptera, comme je vous dis : quand vous avez un peu de député européen et député français, c'est sûr qu'il y a confusion des genres. Lorsqu'un ministre est ministre et qu'il a beaucoup de responsabilités sur le terrain, cela peut être aussi une confusion des genres. Par contre, je ne vois pas en quoi c'est contradictoire d'être président du conseil général et sénateur en même temps.

M. Tronchot : La limitation du cumul, c'est pourtant quelque chose de populaire, donc il faut le faire et vous êtes en train de me dire, que finalement, c'est un projet mort-né !

R. Monory : Croyez-vous que quand j'ai fait le Futuroscope, c'était populaire ? Cela ne l'était pas. Et cela marche bien, et maintenant c'est populaire. Un homme politique n'est pas fait pour suivre toujours la volonté ou la popularité dans son travail. Si on voulait être populaire à tous les coups, on ne ferait rien du tout. Vous savez, l'opinion publique, elle ne veut pas qu'on change grand-chose. Si vous la questionnez un peu, elle vous dira : ne faites rien. Alors, l'opinion publique, cela ne veut rien dire. On a employé cet affreux mot de « cumulard ». Ce n'est pas vrai du tout. Ce sont deux fonctions : on ne cumule pas l'argent, on ne cumule pas les fonctions. Ce que les gens croient, c'est qu'à partir du moment où l'on a deux fonctions, on touche beaucoup d'argent. Ce n'est pas vrai du tout. Cumulard, ce n'est pas le terme qui est bon. Ce sont deux fonctions. Une fonction exécutive est un mandat. À partir de là, vous êtes certainement meilleur que celui qui n'en a pas.

M. Tronchot : Mais ce que vous me disiez à l'instant, c'est que ce projet était mort-né ?

R. Monory : Non, parce que je l'ai dit au Premier ministre. On votera certains textes, celui du ministre par exemple. Cela dépend de nous. Mais si cela se passe bien autrement, il n'y a pas de raison qu'on n’accepte pas. Surtout qu'il faut aller à Versailles pour le cumul des ministres.

M. Tronchot : Il y a deux écoles dans l'opposition. Il y a celle de F. Léotard qui approuve en bloc et celle de P. Séguin qui condamne presque en bloc ?

R. Monory : P. Séguin a dit à peu près ce que je dis tous les jours. F. Léotard a dit à un moment ce que je dis tous les jours. Je peux même vous sortir une lettre que j'ai de F. Léotard. Elle est drôle.

M. Tronchot : Allez-y !

R. Monory : J'ai déjeuné avec lui, il m'a dit : voilà mon cher René. Elle date du 17 septembre. Voilà, je vous la lis. « Comme nous nous en sommes entretenus hier, j'ai demandé à chacun des présidents des composantes et au président du groupe parlementaire de me donner leur accord pour que je puisse, au nom de toute l'UDF, confirmer au Premier ministre la décision prise par le bureau politique concernant la limite du cumul des mandats : deux mandats dont un exécutif. Je transmets ci-joint pour votre information une copie de la lettre que je viens de leur adresser. Je peux vous dire que tous les présidents de groupe de l'Assemblée nationale qui suivent F. Bayrou et du Sénat, ont tous répondu qu'ils étaient d'accord, et le bureau politique avait dit oui.

M. Tronchot : Et aujourd’hui, M. Léotard dit ?

R. Monory : Il suit la mode.

M. Tronchot : Vous être en train de me dire qu’il fait l’inverse ?

R. Monory : Oui ! Il a fait une déclaration en disant qu'il était pour un seul mandat. Enfin, ce n'est pas bien grave.

M. Tronchot : Je pense qu'il aura l'occasion éventuellement de clarifier les choses sur ce point. Autre sujet. Le Sénat et l'Assemblée vont avoir à réviser la Constitution afin de la rendre conforme au traité d'Amsterdam. À moins qu'il y ait un référendum. Que souhaitez-vous personnellement ?

R. Monory : Je souhaite tout d'abord que le Premier ministre fasse son travail. C'est-à-dire que c'est le Premier ministre qui va proposer au Président de la République.

M. Tronchot : Vous dîtes que c'est lui. Ce n'est pas le Président de la République qui décide.

R. Monory : C’est la Constitution : le gouvernement et Premier ministre proposent la réforme de la Constitution. Ensuite, le Président de la République choisira entre le référendum et la réunion à Versailles. Personnellement, je préfère la réunion à Versailles. Parce que, vous savez, il faut avancer l'Europe. Et on n'est pas sûr du tout d'un référendum aujourd'hui. Et je crois que ce serait dommage de rater l'Europe parce qu'il va se passer beaucoup de choses l'année prochaine.

M. Tronchot : Dans une interview récente, vous avez dit, je vous cite : « le gouvernement va se planter ». Qu'est-ce qui vous permet de dire ça ?

R. Monory : Parce que vous savez, je crois qu'on rentre dans une période très difficile pour les économies occidentales. Celles qui seront plus libres que les autres s'en sortiront mieux, car il va falloir créer, il va falloir être concurrentiel, il va falloir faire face à ces monstres - d'ailleurs des monstres sympathiques -, comme les Américains qui arrivent avec leurs gros sabots. Donc, il va falloir être fort. Ce que je crains : les 35 heures, par exemple. Moi, je ne sais pas si un jour, on fera moins d'heures. Sûrement, on en fera moins. Mais il ne faut pas que ce soit un couperet. Il ne faut pas que cela soit une date, une loi. Quand on dit, par exemple, les emplois-jeunes : ce ne sont pas de très bons emplois ! Ce sont des emplois qui ne déboucheront sur rien. À mon avis, ce gouvernement - les précédents, déjà, ne laissaient déjà pas assez de libertés aux Français, celui-ci encore moins… Et je crois que la seule façon d'en sortir, c'est la liberté.

M. Tronchot : Vous avez des chasseurs dans le département de la Vienne ?

R. Monory : Oui.

M. Tronchot : Vous en avez beaucoup. Que leur dites-vous, à part de voter pour vous ?

R. Monory : Je ne leur dis pas de voter pour moi. Je suis chasseur moi-même, et je trouve que, dans une certaine mesure, quand l'Europe et quand la France, et quand les gouvernements s'occupent de petites choses comme ce que veut la chasse sur le terrain, ils ont tort. Il n'y a pas tellement d'abus. Justement, les chasseurs se sont beaucoup disciplinés ces dernières années. Il y a des règlements qui ont été faits par les chasseurs eux-mêmes, qui sont assez contraignants pour les chasseurs. Je crois qu'il faut leur ficher la paix. Ils ont raison, ça fait partie de l'environnement. Cela fait partie de la vie de tous les jours. Moi, je sais que je suis très très écologiste dans mon genre. C'est-à-dire que je crois qu'à Paris, on a une pollution terrible et je m'en plains souvent ; et que dans nos régions, on n'en a pas. Alors, ne chassons pas les gens de la province, essayons de les faire rester par tous les moyens.