Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : Monsieur Sarkozy, bonjour.
Nicolas Sarkozy : Bonjour Jean-Pierre Elkabbach.
Jean-Pierre Elkabbach : Il s'en est passé des choses en quatre jours, de la parole de Jacques Chirac à l'Accord européen de Dublin, et à l'ironie tranquille de Lionel Jospin sur votre compte. Les socialistes sont donc prêts à la bataille et au retour au pouvoir. Qu'est-ce que ça vous fait ?
Nicolas Sarkozy : Vous savez, à la place de Lionel Jospin, moi je serai un peu plus modeste, et je mettrai un bémol à mes critiques. Parce que quand on pense qu'il lui a fallu un an pour sortir le programme socialiste le plus archaïque d’Europe, comme on l'a vu ce week-end, qui propose trois choses : engager 350 000 fonctionnaires, alors que la France est le pays qui a le secteur public le plus large ; baisser massivement la durée du travail, alors que de tous les pays développés, la France est celui où la durée annuelle du travail est la plus faible, naturellement sans baisse de salaire ; et enfin, ordonner aux entreprises d'engager 350 000 personnes, comme cela, un petit peu comme au temps de l’Albanie. Mon dieu, les socialistes ont-ils bien compris ce qu’était le monde moderne ?
Jean-Pierre Elkabbach : Et pourtant, avec ces propositions que vous critiquez, tous, dans votre camp, pour beaucoup de Français les socialistes sont en train de redevenir peut-être une espérance, et sûrement une alternative.
Nicolas Sarkozy : Là, Jean-Pierre Elkabbach, rien n'est moins sûr. Nous jugerons dans un an et demi, au moment des élections législatives.
Jean-Pierre Elkabbach : Ce qui est intéressant, c'est qu’on sent un parfum de 98, droite contre gauche, gauche contre droite.
Nicolas Sarkozy : Déjà ! Ne nous étonnons pas qu'en démocratie, il y ait une opposition et une majorité, et je crois que c'est quand même notre devoir que de débattre. Vous savez, quand en démocratie on ne débat pas, qui en profite ? Ceux qui se réfugient dans l'abstention ou les extrêmes ? La montée des extrêmes, c'est ma conviction, vient beaucoup dans le fait que la vie politique a souvent profondément ennuyé, parce que personne n'osait répondre aux vraies questions.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, c'est bon. L’odeur de poudre, c'est bon pour éviter que l’extrême-droite…
Nicolas Sarkozy : Je ne dis pas ça pour l’odeur de poudre, je dis tout simplement, parce que vous m'interrogez sur les déclarations de Lionel Jospin, qui a parfaitement le droit de faire des propositions, et il me semble que moi, j’ai le droit de les critiquer.
Jean-Pierre Elkabbach : Qui sont aujourd'hui les conservateurs en France, et qui sont les réformateurs ou les réformistes ?
Nicolas Sarkozy : Eh bien, on le verra dans les faits. Je crois que les réformateurs, c'est ceux qui soutiendront l'œuvre de réforme indispensable si on veut que la France reste un grand pays. Il n'y a pas d'autres choix que celui d'engager une vaste politique ambitieuse de réforme, y compris lorsque cela fâche, y compris lorsque cela gêne, y compris lorsque cela pose des problèmes.
Jean-Pierre Elkabbach : On y reviendra.
Nicolas Sarkozy : Il n'y a pas de réforme facile.
Jean-Pierre Elkabbach : On y reviendra, Nicolas Sarkozy. Valéry Giscard d'Estaing n'a pas trouvé, dans l'intervention de Jacques Chirac, de perspectives d'avenir pour les Français. Et vous ?
Nicolas Sarkozy : Oui, mais c'est son droit. Moi, j'ai trouvé trois choses dans l'intervention de Jacques Chirac. D'abord, un constat dont il me semble difficile de contester la pertinence. Il faut poursuivre l'œuvre des réformes, et sans doute l'accélérer. Deuxièmement, un chantier qu'il faut gérer, avec plus d'ambition et plus vite, celui de la réforme de la fiscalité. Et troisièmement, une réforme qu'il faut engager tout de suite, et qui a mon plein soutien, c'est la réforme de la justice.
Jean-Pierre Elkabbach : J’y reviens. Mais est-ce que cela veut dire que le combat de Jacques Chirac, c'est aussi le combat d'Édouard Balladur, Nicolas Sarkozy, François Léotard ?
Nicolas Sarkozy : C'est de ce point de vue, nous sommes parfaitement solidaires, non seulement de la majorité présidentielle, c'est-à-dire autour de Jacques Chirac, mais aussi de la majorité parlementaire, c'est-à-dire nous sommes des soutiens du gouvernement d'Alain Juppé. Ce qui nous permet d'ailleurs de développer nos convictions, parce qu'on sait que nous sommes parfaitement loyaux.
Jean-Pierre Elkabbach : Les balladuriens, à quoi ça sert ?
Nicolas Sarkozy : Les balladuriens, ce sont les amis d'Édouard Balladur qui veulent peser dans le débat d'idées, apporter leur contribution, et peser sur la ligne politique suivie.
Jean-Pierre Elkabbach : Ça veut dire quoi le débat d'idées ? Et ils se contenteraient du débat d'idées ?
Nicolas Sarkozy : Mais, voulez-vous que je vous explique ? C'est très simple. La question de la parité du dollar avec les autres monnaies européennes, c'est, je le crois, Édouard Balladur qui, le premier, en a parlé. La question de la fiscalité, François Léotard et moi en avons parlé très tôt. La question de l'adaptation de notre législation sociale, c'est à nous de poser un certain nombre d'idées pour essayer d'en faire des sujets de débat. Parce que ma conviction c'est qu'aujourd'hui il n'y a pas de différence entre l'explication et l'action. C'est parce que le peuple vous a compris que vous pouvez agir.
Jean-Pierre Elkabbach : Et le peuple comprend le gouvernement actuel ? Et qu'est-ce qu'il faudrait, à votre avis, pour qu’il y ait une sorte de retour de confiance à l'égard du gouvernement Juppé, et est-ce que Juppé, que vous connaissez vous, personnellement, vous avez beaucoup travaillé avec lui, il est aussi intolérant et terrible qu'on le dit ?
Nicolas Sarkozy : Non, non, non. Moi, c'est justement parce que je le connais, que je peux vous répondre sans rougir. Non. C'est un homme qui sait dialoguer, c'est un homme avec qui j'ai eu beaucoup de plaisir à travailler. Il est vrai que la situation du gouvernement n'est pas facile, parce que la situation de la France est complexe.
Jean-Pierre Elkabbach : Pour le moment, ni Jacques Chirac, ni apparemment Alain Juppé, ne veulent, pour le moment, hein, remanier le gouvernement actuel. Est-ce qu'il faut renoncer ou être un peu patient, seulement ?
Nicolas Sarkozy : Vous savez, si on fait un constat un peu lucide de la situation, je ne vois pas qui, qui serait un petit peu lucide, serait impatient de prendre aujourd'hui des responsabilités gouvernementales.
Jean-Pierre Elkabbach : Ce qui veut dire, dans le climat actuel, si on demandait aux balladuriens de renforcer le gouvernement, ils pourraient ne pas accepter ?
Nicolas Sarkozy : Non, mais pour l'instant ce n'est pas un problème qui nous concerne, puisqu'on nous l’a pas demandé. Et si on nous le demande, on verra alors ce qu'il faudra répondre. Mais pour l'instant, c'est vraiment pas le sujet de préoccupation. Ni pour nous, ni, me semble-t-il, pour ceux qui nous écoutent.
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, parce qu'il faudrait croire que vous deviendriez des magiciens pour sauver une équipe gouvernementale.
Nicolas Sarkozy : Non, mais il y a suffisamment de problèmes à débattre, de questions que vous allez me poser, je l'espère, sur le fond des choses…
Jean-Pierre Elkabbach : Alors, allons-y, allons-y.
Nicolas Sarkozy : … pour ne pas se préoccuper de personnes.
Jean-Pierre Elkabbach : Allons-y. Dans l'intervention de Monsieur Chirac, on a retrouvé des propositions signées Balladur, Sarkozy, Léotard. La baisse des impôts sur le revenu, est-ce qu'ils peuvent baisser encore en 97-98 ?
Nicolas Sarkozy : Oui, je crois qu'il y a quelque chose d'important à comprendre. J'ai voté la réforme d'Alain Juppé, c'est que la baisse de la fiscalité, ce n'est pas une récompense que l'on octroie aux Français, parce qu'ils ont bien travaillé. C'est, au contraire, parce qu'on baisse les impôts que les Français pourront travailler plus et mieux. Alors, naturellement, tout ne peut pas être fait tout de suite, mais si le Président de la République décide qu'il faut accélérer la réforme de la fiscalité, me semble-t-il, il y a deux ou trois possibilités qu'on pourrait retenir.
Jean-Pierre Elkabbach : Par exemple ?
Nicolas Sarkozy : Par exemple, l’an prochain, au lieu de baisser l’impôt sur le revenu de 12 milliards et demi, on pourrait faire, comme cette année, 25 milliards ; ou alors poser le problème de la TVA, c'est quand même formidable. Savez-vous que nous avons 5,6 de TVA de plus que les Allemands ? Alors qu'on ne cesse de parler de la nécessité de faire converger l'Allemagne et la France. Ou encore les droits de mutation. Savez-vous qu'au 1er janvier, nous aurons des droits de mutation, en France, dix fois supérieur à ce qu'ils sont en Angleterre, et cinq fois supérieur à ce qu'ils sont en Allemagne. Cela veut dire qu'à chaque fois qu'un appartement ou une petite maison est vendue, il y a 10 % de ce produit qui ne vont ni dans la poche de l'acquéreur, ni dans la poche du vendeur. Allez-vous étonner après cela qu'il y ait une crise de l’immobilier.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, il y a des efforts à faire en matière de fiscalité, qui peuvent être faits dès le début de 97 ?
Nicolas Sarkozy : Je suis de ceux qui pensent que la baisse de la fiscalité aidera fortement au retour de la croissance.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez parlé de la réforme de la justice. Vous la suggériez. Jacques Chirac vous a pratiquement répondu. Vous êtes favorable à ce qui est en train de se préparer ? La réunion de la Commission, et tout ce qui devrait suivre si elle est désignée, si elle se réunit ?
Nicolas Sarkozy : Oui, peut-être un mot parce que c'est un sujet très complexe. Moi, je suis de ceux qui pensent que la réforme de la justice, c'est sans doute la plus urgente, la plus importante et la plus difficile des réformes à engager. Parce que les problèmes de la justice, ce ne sont pas ceux que l'on entend marteler matin midi et soir. Prenons un certain nombre d'exemples : la carte judiciaire. Est-ce que vous savez que la mauvaise organisation de la justice fait que les deux tiers des tribunaux de terrain ont moins de six personnes en poste. Comment voulez-vous que le budget de la justice permette de faire fonctionner une telle organisation ? Savez-vous que pour avoir une décision administrative, lorsqu'il y a un conflit entre un particulier et l'État ou une administration, il faut pas moins de trois ans. La question de la détention, savez-vous que la moitié des détenus ne sont pas condamnés, et que quand on est condamné, on fait la moitié de la peine. Et enfin, celle de la pénalisation excessive du droit des affaires. Moi, je suis de ceux qui pensent qu'à infraction différente, il faut punitions différentes.
Jean-Pierre Elkabbach : C'est-à-dire, vous seriez favorable de modifier les textes qui concernent les abus de biens sociaux, un jour ?
Nicolas Sarkozy : Mais, sur l'abus de bien social, je suis de ceux qui sont choqués du fait que ça soit le seul délit qui soit imprescriptible. Et permettez-moi de dire, que je dois pouvoir dire ça avec force parce que c'est ma conviction, sans qu'on m'accuse de je ne sais quelle arrière-pensée, si le législateur avait voulu que l'abus de bien social ne soit pas prescriptible, il l'aurait dit ; il y a donc réflexion en la matière et action bientôt.
Jean-Pierre Elkabbach : C'est-à-dire que, pour vous, un politique doit savoir braver l’opinion.
Nicolas Sarkozy : Un politique n'a pas à suivre systématiquement l'opinion, et à force de dire que ce qui pense qui plaît à l'opinion, on finit par ne plus rien dire.
Jean-Pierre Elkabbach : Dans Le Parisien, un grand papier aujourd'hui, avec un titre : « À quoi rêvent les Français », à quoi rêve Nicolas Sarkozy, en cette fin d'année ?
Nicolas Sarkozy : Oh, à tellement de choses que pour vous répondre, il aurait mieux valu me poser la question au début de l'émission qu’à la fin.
Jean-Pierre Elkabbach : Je ne voulais pas me sentir indiscret trop vite. Merci. Bonne journée.