Interview de M. François d'Aubert, secrétaire d'État chargé de la recherche, dans "Le Monde" du 29 octobre 1996, sur les priorités de la politique de la recherche, et le fonctionnement du CNRS notamment la nécessité d'un "effort de gestion sur le plan des dépenses administratives".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Le gouvernement demande aux établissements publics de recherche, à commencer par le CNRS, de mieux répondre « aux arrentes des citoyens et aux besoins de notre économie ». N'est-ce pas rendre le risque d'affaiblir la recherche fondamentale ?

François d'Aubert : Un pays qui lâcherait d'un pouce sur la recherche fondamentale ne serait plus un grand pays scientifique. Une nation puissante se doit d'avoir une recherche fondamentale, en France, marche sur deux pieds qui ont une égale importance : les grands organismes, dont le CNRS est le fleuron, et l'Université. Il n'y a donc pas, aujourd'hui, de changement de philosophie par rapport à ce qu'a toujours été le CNRS. Il forme une partie essentielle du socle de la production des connaissances.

Il est légitime que l'État, qui consacre 52 milliards de francs, au budget de la recherche, montre des directions avec une boussole, ce qui ne signifie pas que d'autres territoires ne doivent pas être explorés. Il y a d'abord des priorités traditionnelles, stratégiques : le nucléaire, l'espace, l'aéronautique. Et puis des priorités pour la compétitivité de l'économie et de la société françaises. Le comité interministériel en a dégagé sept. Je souhaite que le CNRS puisse non pas s'y plier mais s'y intéresser.

On doit pouvoir faire mieux en matière de valorisation. Mais ce n'est pas recherche appliquée contre recherche fondamentale, recherche finalisée contre recherche libre. C'est au contraire un continuum.

Le Monde : Ces priorités vont mobiliser une part significative des crédits des laboratoires. Des domaines de recherche ne vont-ils pas être sacrifiés ?

François d'Aubert : Le gouvernement a simplement indiqué que les crédits sur programmes, qui représentent aujourd'hui, en moyenne, 6 % des moyens de fonctionnement des laboratoires, pourraient en représenter 10 % en 1997 et 20 % à une échéance qui n'a pas été précisée. Il s'agir donc d'une modulation. La priorité reste les moyens récurrents attribués aux laboratoires. Quant aux sacrifices, je souhaite, très clairement, qu'il y ait un effort de gestion sur le plan des dépenses administratives. Cette exigence ne vaut pas uniquement pour le CNRS.

Le Monde : Le directeur général du CNRS, Guy Aubert, est partisan de modifier ses structures scientifiques. Y êtes-vous également favorable ?

François d'Aubert : Guy Aubert a une âme de réformateur, et de réformateur avisé et prudent. Il sait mieux que quiconque que, si l'on veut introduire une réforme, même à faible dose, dans les organismes de recherche, il faut une concertation avec le maximum d'acteurs. Et au CNRS il y a quelque 26 000 acteurs, sans compter les universités associés… Le bon fonctionnement des établissements de recherche est une délicate alchimie, il faut à la fois donner des signaux et éviter tout ce qui peut accroître l'inquiétude des chercheurs. Si l'on veut apporter quelques modifications, il faut donc y mettre beaucoup de doigté.

Pour ma part, je n'ai pas le fétichisme des réformes de structures. D'ailleurs, je fais un diagnostic positif sur le fonctionnement du CNRS. En tout état de cause, il existe une instance d'évaluation tout à fait remarquable, le Comité national de la recherche scientifique, dont, contrairement à certaines rumeurs, il n'est pas question de modifier ni la composition, ni le découpage, ni la vocation. S'il y a des améliorations à apporter au fonctionnement du CNRS, par exemple en mettant davantage l'accent sur les programmes interdisciplinaires, cela doit être fiat en concertation avec le Comité national.

Le Monde : Le directeur du CNRS souhaite un nouveau décret constitutif, estimant que le texte actuel ne lui donne pas une marge d'action suffisante. Allez-vous souscrire à cette demande ?

François d'Aubert : Je ne suis pas demandeur de textes refondateurs. Ils ne sont d'ailleurs pas nécessaires. Je crois que l'on peut adapter le fonctionnement du CNRS aux priorités scientifiques fixées par le gouvernement, donner un nouveau souffle à la politique de programmes, gérer les ressources humaines d'une façon plus prévisionnelle et assurer une plus grande mobilité vers l'université et les entreprises, avec le minimum de retouches juridiques. De même, le CNRS resterait dans la lettre de la loi si l'on trouvait un fonctionnement qui permette de valoriser davantage ses recherches. Pour avoir une organisation scientifique qui continue de répondre aux besoins de production de connaissances, tout en étant un peu plus ouverte sur l'extérieur, nous n'avons pas besoin de grands textes, mais de cousu main.