Texte intégral
La Tribune : N’est-il pas choquant de céder l’ensemble du groupe Thomson pour le franc symbolique ?
Charles Millon : Le groupe Thomson porte aujourd’hui 25 milliards de francs de dettes pour une situation nette qui sera négative d’environ 6 milliards de francs en fin d’année 1996. Cette situation bilancielle très dégradée est la conséquence de l’absence de recapitalisation depuis sa nationalisation en 1982. Il n’est donc pas surprenant que la cession, du groupe doivent donner lieu à recapitalisation préalable de l’État. L’État aurait-il pu attendre ? Je pense que l’urgence du rétablissement de Thomson Multimédia et de la restructuration de notre industrie de défense imposait une privatisation rapide.
L’État aurait-il pu privatiser par morceaux ? Là aussi, la réponse est négative. Le fait que le groupe Lagardère, dont l’offre revient à la reprise séparée de Thomson-CSF et de Thomson Multimédia, ait valorisé le groupe Thomson au même niveau qu’Alcatel Alsthom montre bien qu’une privatisation de Thomson-CSF suivie d’une privatisation de Thomson Multimédia n’aurait pas conduit à un résultat différent sur le plan patrimonial. En tout état de cause, la Commission de la privatisation va se prononcer sur la valorisation de Thomson SA, et aura l’occasion, au vu des rapports d’évaluation qui vont lui être soumis, de valider ou non le prix retenu pour la cession de Thomson SA.
La Tribune : La défense étant du ressert du chef de l’État, peut-on dire que cette préférence émane de l’Élysée ? Adhérez-vous personnellement à cette préférence ?
Charles Millon : Le Président de la République, le 22 février, a fixé les orientations de réforme de notre défense nationale. L’exécution de ces orientations est du ressort du gouvernement. Aussi, la préférence résulte bien d’un choix du Premier ministre sur le rapport des ministres concernés. Toute information ou spéculation sur la position personnelle de tel ou tel ministre serait vaine. C’est une décision du gouvernement que j’assume complètement.
La Tribune : Puisque, semble-t-il, il n’y avait pas de différences financières entre les deux offres, sur quels critères s’est opéré votre choix ?
Charles Millon : Nous étions en face de deux offres équivalentes au plan financier, mais correspondant à deux logiques industrielles différentes. Lagardère Groupe détient, à travers Matra Défense Espace, des activités parmi les plus performantes dans le domaine de la défense en Europe. Le groupe Thomson-Matra, grâce aux complémentarités qui existent entre Matra Défense Espace et Thomson-CSF, se positionne comme le deuxième industriel mondial capable de fournir des systèmes d’armes clé en main. L’offre de Lagardère Groupe engage l’industrie européenne de défense dans la voie de la consolidation, métier par métier. Par l’association des équipes commerciales très performantes, elle dote le futur groupe Thomson Matra d’une considérable force de frappe à l’exportation.
La Tribune : Faut-il craindre aujourd’hui un monopole dans les missiles ?
Charles Millon : Non, il n’est pas question de construire un monopole dans les missiles. Nous tenon à conserver l’axe Aerospatiale-Dasa dans les missiles et les satellites.
La Tribune : Avec un seul acteur fort dans le domaine militaire, estimez-vous que la France est prête à affronter la concurrence dans ce secteur ?
Charles Millon : C’est bien évidemment l’objectif poursuivi. La constitution du futur Thomson Matra constitue une étape décisive dans cette direction.