Texte intégral
Le Figaro : Vous venez de participer au forum de Davos. Quelles impressions tirez-vous de ce voyage dans l'un des temples du libéralisme mondial ?
Alain Lamassoure : J'ai d'abord été impressionné par le climat général d'optimisme. Les milieux économiques internationaux considèrent que 1997 devrait être un excellent millésime. Toutes les régions, y compris l'Afrique et l'Europe, vont se trouver en croissance. La remontée du dollar aura des conséquences très positive pour nous.
Par ailleurs, il est clair que le modèle américain sert de référence presque partout. Il exerce un formidable attrait auprès des anciens pays communistes et des marchés dits émergents. Mais il faut combattre la tendance qui consisterait à faire des critères de jugements américains une norme absolue en matière de réussite économique et sociale. J'ai eu l'occasion à Davos d'expliquer que le classement de la compétitivité mondiale, établi par Jeffrey Sachs, qui classe la France au 27e rang n'a aucun sens.
Le Figaro : L'Amérique fait rêver le monde. Pourquoi l'Europe ne parvient-t-elle pas à délivrer un tel message ?
Alain Lamassoure : Je ne nierai pas l'influence qu’exercent les États-Unis. Mais la position de l'Europe est en train de changer.
La perspective de voir les Européens constituer une zone monétaire homogène passionne les décideurs économiques du monde entier. Je l'ai constaté à Davos, où l'euro a fait l'objet de nombreuses questions. On considère qu'il se fera, et on s'intéresse désormais à ses modalités pratiques et ses conséquences.
De même, l'Union économique et monétaire européenne fait rêver nos voisins de l’Est. Leur objectif numéro un et d'en faire partie le plus vite possible, même si le Premier ministre de la République Tchèque Vaclav Klaus, notamment, admet que cela nécessitera de part et d'autres d’intenses efforts de préparation.
Enfin, l'Europe qui est le premier continent à avoir mis en place une organisation économique et politique très poussée, intéresse beaucoup les autres régions, y compris l'Asie, qui songent à développer elles aussi des organisations régionales.
Le Figaro : L’UEM peut-elle être considérés comme une protection vis-à-vis des phénomènes de mondialisation ? Faut-il dire aux Français, « n’ayez pas peur de la concurrence mondiale, nous avons l'Europe » ?
Alain Lamassoure : Oui. Face a la mondialisation, il faut réagir de façon offensive. Il ne s'agit pas du tout d'ériger des barrières vis-à-vis du reste du monde. Mais incontestablement, le fait de constituer une union régionale forte, qui va bientôt avoir sa propre monnaie, nous offre un atout énorme pour être compétitif. L’Europe va constituer une excellente base pour partir à l'assaut des autres marchés et profiter des opportunités considérables qu’offre la mondialisation. On peux dire aux Français que l'Europe est le meilleur moyen pour eux d'affronter la mondialisation.
Le Figaro : Les Européens pourront-il partager une même monnaie, tout en vivant avec des systèmes fiscaux et sociaux disparates ?
Alain Lamassoure : Contrairement à ce que l'on dit de façon un peu rapide, la monnaie unique n'oblige pas à avoir des fiscalités identiques dans tous les pays. L'exemple des États-Unis montre qu'il est possible de maintenir des différences substantielles selon les États, en ce qui concerne les taxes indirectes à la consommation. En revanche, il est exact que l'union monétaire va rendre insupportable les éventuelles tentatives de dumping fiscal dans tel ou tel pays, qui essaierait ainsi de détourner les richesses aux dépens des autres. On peut dresser une liste des impôts pour lesquels le problème se pose : la fiscalité de l'épargne, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu, en particulier les avantages aux non-résidents que certains pays sont tentés d’instituer. Un groupe de travail a été institué autour du commissaire européen Monti, avec pour mission de définir un code de bonne conduite et un système de surveillance, qui fera la chasse aux systèmes dérogatoires. Je souhaite que l'on puisse parvenir à des applications pratiques en 1999.
Le Figaro : De façon plus globale, les différences de pression fiscale entre les pays européens seront-elles tenables avec l'euro ?
Alain Lamassoure : Il s'agit d'un vrai problème, et qui ne pourra t'être résolu que sur une période plus longue : faire en sorte que les pays de l'Union se retrouvent avec un taux de prélèvements obligatoires semblables. Aujourd'hui, les différences sont assez grandes : la France a un taux d'environ 45 % du PIB, au lieu de 40 % en moyenne en Europe. Il nous faudra définir un programme d'allégement des prélèvements obligatoires sur plusieurs années. C'est une bonne nouvelle pour les contribuables : l'euro va provoquer un allégement de la pression fiscale.
Le Figaro : Les Français voteront, vraisemblablement en mars 98, pour les législatives, et c'est au premier trimestre 98 que les Européens dresseront la liste des pays participants à l'euro. Comment concilier les deux échéances ?
Alain Lamassoure : Il faut faire en sorte que la mise en place de l'Union monétaire ne vienne pas perturber le calendrier politique français, et réciproquement. Cela est tout à fait possible, et sans que l'on ait à repousser la décision et le débat sur la liste définitive des pays qui participeront à l'euro au 1er janvier 1999.
Concernant l'UEM, les Français se sont prononcés en 1992 par référendum, à la fois sur le principe de la monnaie unique, sur les conditions de sa réalisation (les critères de Maastricht) et sur le calendrier qui prévoyait deux dates, 1997 août 1999. Les gouvernements européens ont retenu cette seconde date, et décidé que le Conseil des ministres européens se réunirait au premier trimestre 98. Nous devons nous en tenir là. Le traité de Maastricht a fait l'objet d'un débat en France. Celui-ci a été tranché. La question de l'UEM doit être derrière nous quand nous aborderons la campagne électorale.
Le Figaro : Vous récusez les arguments de Laurent Fabius, qui estime que les modalités de l'UEM impliquent un débat à l'Assemblée, et qu'il serait légitime d'attendre la nouvelle législature…
Alain Lamassoure : On prendrait un risque grave en demandant à nos partenaires de reporter les décisions jusqu'à ce que les élections françaises aient eu lieu. Les Allemands voteront eux aussi en 1998, mais en octobre. Ne seraient-ils pas incités à nous demander un délai supplémentaire ? Dans les affaires européennes, quand on a décidé un calendrier, il faut s'y tenir. Cela n'empêche pas évidemment qu’un débat ait lieu, au contraire. Le Parlement français aura la possibilité, s'il le désire, de se prononcer sur la liste des pays de l'euro et dans les délais prévus. C'est une procédure classique, prévu par l'article 88–4 de la Constitution, qui a déjà servi de nombreuses fois, et qui permet à l'Assemblée et au Sénat de se prononcer sur tout projet de décision émanant de la Commission européenne.