Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans le quotidien bulgare "Kontinent" le 16 février 1998 et "La Dépêche du Midi" le 1er mars, sur l'élargissement de l'Union européenne, les conditions préalables à l'adhésion de la Bulgarie, l'indépendance énergétique de la Bulgarie et la fermeture de la centrale nucléaire de Kozlodouy.

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Circonstance : Voyage à Sofia (Bulgarie) le 16 février 1998

Média : Kontinent - La Dépêche du Midi - Presse étrangère

Texte intégral

Quotidien bulgare Kontinent : 16 février 1998

Kontinent : Le Conseil européen de Luxembourg a avalisé le principe d’une ligne de départ égale pour tous les pays candidats. Comment cela va-t-il se traduire concrètement ? A quel rythme peut-on envisager les adhésions à l’Union européenne ?

Pierre Moscovici : Le Conseil de Luxembourg a retenu une approche globale, pragmatique et ouverte du processus d’élargissement, qui est un processus à la fois collectif et individuel. C’est la démarche que la France avait défendue. Notre obsession est de ne laisser personne sur le bord du chemin. C’est pourquoi, après la Conférence européenne, le 12 mars, tous les pays candidats se retrouveront à la fin du mois de mars sur la même ligne de départ. En même temps, il existe des différences dans l’état de préparation des uns et des autres. Il faut en tenir compte. Mais cela ne signifie en rien qu’il y aurait deux catégories de pays candidats. L’élargissement reste un processus unitaire. Ainsi la Bulgarie bénéficiera-t-elle de la stratégie de pré-adhésion, cela implique à la fois un « nouveau partenariat pour l’adhésion », véritable feuille de route, avec des engagements concrets de part et d’autre, et des moyens financiers nouveaux et diversifiés. Elle bénéficiera aussi de la clause de « rendez-vous » qui permettra de faire le point régulièrement de l’état de préparation pour l’adhésion.

Quant à dire combien de temps prendra le processus d’élargissement, quand les premiers pays pourront-ils entrer dans l’Union, à quel rythme se feront les adhésions, je ne saurais le dire. C’est à l’évidence un processus qui s’inscrit dans la durée. Mais il n’y a pas de date pour l’ouverture des négociations d’adhésion. De même une fois ouvertes, ces négociations doivent être conduites à leurs termes, selon leur logique propre. Il n’y a pas, là non plus, de date butoir. Je ne crois pas que nous puissions prendre un engagement quant à la date. Certains pays rejoindront l’Union avant d’autres. Mais je ne fais pas de pronostic. Il n’y a pas eu de « distribution des prix » au Conseil de Luxembourg. Les évolutions, d’un pays à l’autre, peuvent être très rapides. Ne préjugeons pas l’avenir. L’important c’est que le contrat de confiance entre l’Union et ses futurs membres soit honoré et que les adhésions se fassent sur des bases solides.

Kontinent : Dans ce contexte, quel sera le rôle de la Conférence européenne ?

Pierre Moscovici : La Conférence européenne représente la dimension collective de l’élargissement, tandis que les autres volets du processus s’inscrivent dans les relations bilatérales de l’Union avec chacun des pays concernés. Cette conférence est tout à fait importante. Pour nous, elle est le lieu où tous les pays, qui partagent désormais une communauté de destin, prennent ensemble leurs affaires en mains. C’est-à-dire s’efforcent de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre tous les trafics, des questions commerciales, de développement d’infrastructure, des questions environnementales, bref de tous les dossiers, même économiques qui intéressent directement tous les pays d’Europe.

Le Sommet de Londres sera la première rencontre dans le cadre de la Conférence européenne. L’idée est que chacun puisse faire des propositions et que se dessinent les domaines dans lesquels une coopération est possible et doit être engagée, sans attendre la fin du processus d’adhésion.

Kontinent : Les trois recommandations de la Commission européenne vis-à-vis de la Bulgarie, et surtout la fermeture de la centrale nucléaire de Kozlodouy sont-elles des conditions préalables à l’admission de la Bulgarie à l’Union ? Comment compenser la perte de 40 % d’électricités produite en Bulgarie en cas de fermeture de cette centrale et qui va financer le démantèlement des réacteurs nucléaires ?

Pierre Moscovici : Je vais m’efforcer de vous répondre clairement. C’est la seule façon de faire sur des questions sensibles. En vérité vous posez deux problèmes. Il y a une question sur le processus d’adhésion. Une des étapes de ce processus est l’ouverture des négociations d’adhésion. L’Union a défini au Conseil européen de Copenhague, en juin 1993, des critères politiques et économiques. Ces critères sont, il faut le reconnaître, exigeants. Ils sont exigeants parce qu’ils conditionnent l’ouverture des négociations d’adhésion et qu’il n’y a pas d’adhésion au rabais, sinon il y aurait des membres de second ordre dans l’Union. Personne ne voudrait d’une telle Europe. Je sais que votre Gouvernement a engagé d’importantes et courageuses réformes structurelles. Elles doivent être poursuivies. Il faut que votre pays soit en mesure de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché intérieur. De ce point de vue, la perspective de l’adhésion doit être perçue comme un encouragement. Quand je regarde la volonté de réussir affichée par la Bulgarie, je suis résolument optimiste. En même temps, un haut niveau de sûreté nucléaire est un objectif commun aux membres comme aux futurs membres de l’Union. Il est légitime qu’il soit en tenu compte dans la démarche d’adhésion. Mais c’est aussi un problème spécifique.

La question centrale est « faut-il fermer Kozlodouy ? » C’est une chose qu’il eut fallu trancher dans tous les cas : que la Bulgarie appartienne ou non à l’Union européenne, le risque est le même.

D’ailleurs, l’accord sur cette question, signé en 1993 par la Bulgarie avec le Fonds multilatéral de sûreté nucléaire géré par la BERD, ne fait en rien référence à la perspective d’adhésion de votre pays. Naturellement, nous sommes, la France et les autres partenaires de l’Union, très attachés à son application. Le principe de précaution impose aux autorités bulgares et aux autres parties à l’accord, des responsabilités auxquelles personne ne peut se soustraire, parce que dans l’hypothèse d’un accident, nos populations sont menacées, en dehors de toutes considérations de frontières.

Cet accord est équilibré. Il prévoit la fermeture, en deux vagues, des quatre premiers réacteurs ; les deux derniers, plus récents, peuvent être et seront modernisés. Parallèlement, pour répondre aux besoins de la Bulgarie, ces fermetures doivent être accompagnées par des investissements internationaux dans le secteur énergétique. La mise en œuvre de cet accord conduit les autorités bulgares à entreprendre une réforme en profondeur de l’ensemble du secteur, qui, à son terme, doit aboutir à une rationalisation de la consommation industrielle et à une nouvelle politique tarifaire reflétant les coûts réels de production.

A ce propos vous m’interrogez sur le financement du démantèlement des réacteurs nucléaires. C’est une opération qui, d’un bout à l’autre s’étend sur une cinquantaine d’années, elle est normalement prise en compte dans la tarification. Sur une période aussi longue le surcoût éventuel est faible. Mais, encore une fois, le seul argument de fond qu’il faut retenir est celui du risque pour la santé publique. Il est incontournable et c’est sur ce terrain que s’exprime la solidarité internationale. Je rappelle que, pour la sûreté nucléaire, l’Union a, d’ores et déjà accordé, à la Bulgarie une aide, sous forme de dons, d’un montant total de 45 millions d’écus et quant au Fonds de sûreté nucléaire, dont la France est le premier contributeur, il a apporté 24 millions d’écus.

Cette politique de partage du fardeau doit se poursuivre. Je suis convaincu que la Bulgarie y est, également, très attachée. En poursuivant, dans des conditions qui ne sont pas faciles, la mise en œuvre de l’accord de 1993, elle fait une démonstration de courage et de ténacité, elle montre, à la communauté internationale et, plus particulièrement, à tous les citoyens européens, sa volonté et ses capacités à faire face à ses responsabilités internationales. Sur cette voie, notre soutien lui est acquis.

Kontinent : La Bulgarie a-t-elle plus de chance d’être admise au sein de l’Union européenne que dans l’OTAN ?

Pierre Moscovici : Nous avons dit clairement que nous souhaitions la Bulgarie dans l’Alliance atlantique et dans l’Union européenne. Pour ce qui nous concerne, vous pouvez compter sur un soutien sans réserve dans un cas, comme dans l’autre. Je n’ai pas de doute, la Bulgarie appartiendra à l’Union, elle sera membre de l’Alliance, - nous avons dit clairement qu’elle en est un candidat naturel. Pour autant il ne s’agit pas d’un même objectif. L’OTAN est une organisation internationale chargée de missions spécifiques, alors que l’Union est quelque chose de plus intime, c’est une manière de « vivre ensemble ». Les rythmes et les échéances ne sont pas les mêmes.

C’est ainsi que, s’agissant de l’Alliance, le prochain rendez-vous est le sommet de l’organisation à Washington au printemps 1999. Nous sommes pour notre part favorable à ce que la perspective d’adhésion de la Bulgarie à l’OTAN trouve à cette occasion sa concrétisation. Nous sommes convaincus que l’élargissement de l’OTAN au sud de l’Europe est un facteur de paix et de stabilité dans la région et pour l’Europe. Je suis convaincu que nous pouvons, dans ce domaine, renforcer notre concertation.

Kontinent : La Bulgarie a été incluse dans la « liste négative » de 101 Etats soumis à visas. Pour quelles raisons ? Quelles sont les perspectives de sortir de cette liste pour la Bulgarie et quel rôle peut y jouer la France ?

Pierre Moscovici : On ne choisit pas sa géographie. La Bulgarie est un pays de transit. Cela entraîne des risques particuliers. Il est à cet égard significatif que les cinq Etats candidats soumis à l’obligation de visa se trouvent à l’extrême nord-est de l’Europe, les trois pays Baltes, et à son extrême sud-est, la Roumanie et la Bulgarie. Je note, également, que tous voisins de la Bulgarie, à l’exception de la Grèce, sont des pays soumis à visas.

Ces risques, les autorités bulgares les connaissent et en sont conscientes, puisqu’elles ont commencé de prendre des mesures destinées au contrôle des flux migratoires et des trafics illicites. Elles ont, notamment, décidé de créer des nouveaux documents d’identité infalsifiables, qui devraient voir le jour dans le courant de l’année. Elles savent qu’elles peuvent, dans ce domaine aussi, compter sur le soutien et la coopération de la France.

Il me faut enfin rappeler que la suppression de l’obligation de visa dépend d’une décision du Conseil de l’Union, sur proposition de la Commission. Cette question sera réglée dans la marche vers l’adhésion. Sans attendre, la France a d’ores et déjà engagé des mesures destinées à faciliter les déplacements des ressortissants bulgares en assouplissant les conditions de délivrance des visas. C’est un premier pas.

Kontinent : Dix mois après la visite officielle en France du président bulgare, M. Petar Stoïanov, que pensez-vous des relations bilatérales ? Ont-elles progressé et dans quels domaines ?

Pierre Moscovici : L’année 1997 a été très riche, ainsi que vous le soulignez. Outre la visite officielle à Paris du président Stoïanov, le Premier ministre a reçu son homologue en mars et j’ai quant à moi rencontré Mme Mihaïlova lors du sommet du Conseil de l’Europe à Strasbourg.

Nos relations bilatérales sont d’excellente qualité. Mais il y a encore à faire pour leur donner la densité politique et économique que, potentiellement, elles recèlent. Dans le domaine commercial et économique, nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation présente. La France doit accroître sa présence, notamment par des investissements. Cela ne dépend pas seulement de la volonté des autorités françaises et bulgares, mais nous pouvons, de part et d’autre, contribuer à l’établissement d’un climat favorable. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité, au cours de cette visite, être accompagné des entreprises françaises qui ont des projets d’investissement et de participation aux privatisations en Bulgarie. Il s’agit de Semagroup, qui intervient dans le secteur ferroviaire, de Metaleurop et des ciments Lafarge. Dans le domaine culturel nous devons, en nous appuyant sur notre appartenance commune à la Francophonie, prendre des engagements pour revitaliser l’héritage francophone et le développer, tandis que notre coopération, dont l’essentiel est orienté vers le soutien aux efforts de votre pays dans sa marche pour l’adhésion, doit aller de l’avant.

Dans tous les cas, je voudrais que cette visite soit la manifestation non seulement de notre soutien à la Bulgarie dans sa marche vers l’adhésion, mais aussi de notre confiance pour l’avenir de nos relations.


La dépêche du Midi : 1er mars 1998

La dépêche du Midi : Vous avez effectué récemment une mission en Bulgarie au cours de laquelle vous a mesurer les difficultés que rencontre ce pays. Etes-vous confiant quant à ses capacités à sortir de la crise terrible qu’il traverse ?

Pierre Moscovici : Je me suis rendu très récemment en Bulgarie, poursuivant ainsi la tournée des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne.

Ce voyage à Sofia m’a permis de constater les immenses efforts accomplis par ce pays. Au cœur d’une grave crise il y a un an, la Bulgarie commence à récolter aujourd’hui les fruits de sa politique d’assainissement économique. Ces résultats sont très remarquables et témoignent de la capacité de ce pays à affronter courageusement les difficultés et les sacrifices.

J’ai dit aux Bulgares notre volonté de les encourager à persévérer dans la difficile transition économique et sociale qu’ils connaissent et notre engagement à développer notre présence dans ce pays. C’est un message de confiance, non seulement en l’avenir de la Bulgarie, mais aussi en celui de nos relations bilatérales. Il faut savoir qu’il existe un énorme capital de sympathie entre nos deux pays pour des raisons historiques évidentes. En outre, la Bulgarie fait partie de la famille francophone.

La dépêche du Midi : Longtemps la France a paru indifférente à la détresse de la Bulgarie. Votre mission témoigne de la volonté du gouvernement français de lui venir en aide. Soutiendrez-vous sa candidature à entrer dans l’Union européenne ?

Pierre Moscovici : Nous avons, le gouvernement, mais aussi les Français, au travers de quantité d’initiatives, apporté concrètement notre soutien à la Bulgarie. Ainsi la France a signé en décembre dernier une convention avec la Croix-Rouge bulgare pour l’aide aux populations défavorisées. Notre assistance s’est élevée, toutes formes d’aides confondues (Etat, ONG), à 23 MF pour l’année 1997, sans compter l’envoi de 5 000 tonnes de blé.

Non seulement il n’y a pas d’indifférence à l’égard de la Bulgarie, mais la France est l’un des pays qui a le plus milité en faveur de la candidature bulgare à l’Union. Je dois dire que notre soutien à la Bulgarie dans sa marche vers l’adhésion est aujourd’hui l’élément central de notre relation et qu’il nous vaut l’estime de nos amis bulgares.

La dépêche du Midi : Malgré la crise que traverse la Bulgarie, le marché de ce pays vous paraît-il receler des opportunités pour les entreprises françaises ?

Pierre Moscovici : Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation présente dans le domaine économique et commercial. La France n’est que le 5e fournisseur de la Bulgarie et son 14e investisseur étranger. Ce n’est pas à la hauteur de la qualité de notre relation d’amitié. Il faut que cela change.

Nous en avons parlé à Sofia et les autorités bulgares se sont montrées prêtes à aider les entreprises françaises à s’implanter. Elles doivent saisir l’opportunité des privatisations bulgares (70 % de l’économie devrait être privatisée à la fin de l’année). Je suis d’ailleurs allé à Sofia avec des hommes et des femmes d’affaires et je crois que cela a permis de faire avancer leur dossier. Les entreprises françaises ont des atouts à faire valoir. Naturellement cela dépend d’abord d’elles, mais elles doivent savoir que les autorités bulgares et françaises sont décidées à créer un climat favorable à leur présence dans un pays qui est prêt à les accueillir.

La dépêche du Midi : Pour quelles raisons soutenez-vous l’opération le Printemps bulgare conduite par l’association des Entreprises et des Hommes, les 26 et 27 mars prochains à Toulouse ?

Pierre Moscovici : J’ai eu l’occasion de parler du Printemps bulgare avec mes interlocuteurs à Sofia et constater l’intérêt qu’ils portent à cet évènement. C’est une initiative qui ne peut que contribuer au développement de relations riches et diversifiées entre nos deux pays. Elle est bienvenue au moment où la France et la Bulgarie doivent développer leurs relations dans la perspective de la préparation à l’adhésion. Je sais que de très hautes personnalités bulgares y seront présentes et je suis sûr que cette manifestation sera un grand succès. Je le souhaite en tout cas, et formule des vœux en ce sens.