Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, dans "Le Monde" du 3 décembre 1997 et à RTL le 8, sur la position de la droite vis-à-vis du CNPF, et du Front national dans la perspective des élections régionales, et sur le projet de loi relatif à la réduction du temps de travail.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - RTL

Texte intégral

Le Monde : 3 décembre 1997

Le Monde : « Ernest-Antoine Seillière a invité les chefs d’entreprise à "déstabiliser" Lionel Jospin. Est-il dans son rôle ?

Jean-Pierre Raffarin : C’est un discours de circonstance, M. Seillière est en campagne ; il exploite une faute du Premier ministre, Lionel Jospin, qui est d’avoir déçu gravement le précédent président du CNPF, Jean Gandois. S’il y a rupture du dialogue social, la responsabilité en incombe à M. Jospin, bien qu’il se présente justement comme un homme de proximité et de concertation, mais je pense que ce serait une erreur pour le CNPF de se situer uniquement par rapport au gouvernement. Le thème des 35 heures doit être l’occasion pour le CNPF de retrouver une identité, en représentant davantage les petites et moyennes entreprises.

Au cours des quinze dernières années, le fossé n’a cessé de se creuser, au CNPF, entre les troupes et l’état-major. Yvon Gattaz était sans doute le dernier président du CNPF à assurer un lien. M. Seillière devra faire preuve d’un grand talent pour coller à la réalité sur le terrain. Compte tenu de son profil personnel, ce n’est pas facile, mais je constate qu’il semble disposé à le faire.

En France, on a aujourd’hui besoin d’un président du CNPF convaincu, légitime sur la sa base et s’attache, surtout, à créer une solidarité entre entrepreneurs et salariés. Que, dans des circonstances électorales, M. Seillière file la métaphore, il vaut mieux des débats vifs que des ambiguïtés stériles ! Pour moi, le rôle du patron du CNPF n’est pas de courtiser les palais nationaux.

Le Monde : Dans ces débats vifs, justement, on a l’impression que le futur président du CNPF se substitue à l’opposition…

Jean-Pierre Raffarin : Eux, c’est eux, et nous, c’est nous. La droite n’a pas à aller chercher du côté du patronat l’oxygène qui pourrait lui manquer. En aucun cas, l’opposition n’a intérêt à ce qu’il y ait mélange des genres. Par nature, le CNPF a un message partiel. Sa tâche est de défendre l’intérêt des entreprises ; la nôtre, de défendre l’intérêt général. Nos légitimités, nos perspectives sont distinctes.

Il ne faut surtout pas tirer le CNPF vers le militantisme politique. D’ailleurs, la grande majorité des patrons ne le souhaite pas, même s’il y a toujours des individualités ou des structures pour tenter de les y entraîner. Ce n’est ni en jouant les officines politiques, ni en se comportant en agence de lobbying que le CNPF pourra renforcer sa crédibilité. Son domaine, c’est le discours entrepreneurial.

Le Monde : Comment la droite doit-elle alors se situer vis-à-vis du patronat ?

Jean-Pierre Raffarin : Les relations entre la droite et les organisations patronales sont à reconstruire progressivement. Elles n’ont pas toujours été d’une grande clarté. Il y a eu, récemment, sous le gouvernement d’Alain Juppé, des déceptions réciproques, notamment parce que la droite n’avait pas arbitré sur les grandes questions économiques et parce que, traditionnellement, le CNPF est plus impatient avec la droite qu’avec la gauche. L’opposition doit rebâtir en dialoguant avec le CNPF, tout comme elle doit dialoguer avec la CGPME, les artisans et les organisations de salariés. Le dialogue avec le CNPF, j’insiste, ne doit pas relever de la confusion des genres. Il doit se faire autour de propositions de fond et non être issu de stratégie de lobbying.

La droite doit avoir une doctrine claire, quitte à afficher des points de désaccord. J’estime nécessaire, par exemple, de mener une politique spécifique pour les PME, alors que ce n’est pas le thème prioritaire du CNPF.

Sur la flexibilité, je pense que nous devons, en tant que politiques, être aussi les défenseurs des droits des salariés, les protéger. Sur la question de la formation en alternance, j’estime qu’on peut demander davantage aux chefs d’entreprise. Il est clair, pour moi, qu’il faut que le patronat assume davantage sa mission de formation. »


RTL : Lundi 8 décembre 1997

J.-P. Defrain : Mercredi, avec A. Madelin, vous tenez une conférence de presse sur la réduction du temps de travail ; mercredi, c’est le jour où M. Aubry présente son projet de loi en Conseil des ministres. C’est une sacrée coïncidence !

J.-P. Raffarin : « Ah oui ! Et puis, c’est le jour des élections prud’homales ! Et puis, c’est le jour où le CNPF élit son président. C’est le jour où se lance, en effet, pour nous, une grande campagne contre le passage forcé aux 35 heures. Nous pensons que ce passage forcé aux 35 heures va casser la croissance. Nous réunissons tous nos responsables départementaux à l’Assemblée nationale le 10 au matin. Pendant de nombreux mois, nous allons animer une campagne sur le terrain pour explique, pour faire partager ce que ce projet a de destructeur pour notre économie, à nos électeurs, mais aussi aux salariés, à tous ceux qui sur ce sujet ne sentent pas encore aujourd’hui convaincus, mais qui doivent comprendre qu’il y a une vraie menace pour l’économie. »

J.-P. Defrain : C’est le combat la main dans la main avec E.-A. Seillière, le futur patron du CNPF ?

J.-P. Raffarin : « Non. Lui, c’est lui ; nous, c’est nous. Nous sommes défenseurs de l’intérêt général. Lui, il défend l’intérêt des entrepreneurs. Nous, nous défendons l’intérêt de l’entreprise avec ses dirigeants, mais aussi avec ses salariés. Pour nous, cette affaire des 35 heures, c’est d’abord de la part du Gouvernement une erreur culturelle. J’ai une fille de 16 ans ; est-ce que je vais lui dire : "travaille moins tu vas réussir mieux !" ? Ce n’est pas possible. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui à un artisan qui a construit son activité par un travail acharné qu’il faut travailler moins ? C’est un choc culturel. C’est une erreur économique parce que le coût du travail va augmenter de 11,4 %, et ça va détruire des emplois ; on le sait chez Volkswagen ; on a eu l’exemple en Allemagne : entre 1992 et 1996, l’entreprise a perdu 23 000 emplois. »

J.-P. Defrain : Ça ne fait pas peur à Toyota qui va annoncer demain l’installation à Valenciennes d’une usine.

J.-P. Raffarin : « Il y a longtemps que Toyota a décidé de venir en France ; j’ai rencontré moi-même il y a deux ans les dirigeants de Toyota car la région Poitou-Charentes était candidate à cette implantation ; c’est un sujet sur lequel nous sommes engagés depuis très longtemps ; ces négociations ont été antérieures aux 35 heures ; Toyota trouvera sans doute les parades nécessaires, mais Toyota a des moyens multinationaux pour faire face à ce type d’action. Mais les PME-PMI, les commerçants, les artisans, ce qui fait la réalité de l’emploi dans le pays, eux, ils n’ont pas les moyens de répondre à ce choc économique, ce choc culturel, ce choc social, qu’est le passage forcé aux 35 heures. »

J.-P. Defrain : Vous savez que le Gouvernement a prévu une période d’essai, a déjà relevé la limite à 20 salariés.

J.-P. Raffarin : « Le seuil de 20 salariés n’est pas significatif aujourd’hui. C’est un seuil beaucoup trop modeste pour le développement économique. Le Gouvernement n’est pas crédible dans ses mesures économiques. Au dernier conseil des ministres, ils nous font toute une série de mesure sur la simplification administrative – ça va dans le bon sens, je suis pour, on a engagé un certain nombre d’actions là-dessus. Mais le passage aux 35 heures, c’est au moins 4 millions de formulaires supplémentaires. Alors, cette complexité, il va falloir la gérer, et les petites entreprises, l’énergie vitale de ce pays va être martyrisée par cette initiative. Je crois vraiment que les 35 heures, le temps de travail, c’est possible, mais c’est possible au cas par cas, dans l’intérêt de l’entreprise, et pas par un passage forcé, tout le monde pareil, et tout le monde en même temps. »

J.-P. Defrain : Parlons de la droite après les propos de J.-M. Le Pen réitérant que les chambres à gaz sont un détail de la dernière guerre. Partagez-vous l’avis de Monsieur Madelin déclarant qu’on peut quand même débattre avec le Front national ?

J.-P. Raffarin : « Notre position n’a pas changé, et nous récusons en effet toute alliance avec le Front national. Donc, il n’est pas question pour nous d’avoir une alliance avec le Front national. On doit traiter, comme le dit A. Madelin, les sujets qui intéressent les électeurs du Front national. »

J.-P. Defrain : Ce qui veut dire que vous pouvez débattre avec lui !

J.-P. Raffarin : « Non ! Ne laissons pas en permanence le Parti socialiste nous piéger par de tels débats ! Nous avons clairement dit qu’il n’y avait pas d’alliance avec le Front national. Nous disons que les électeurs du Front national sont souvent des électeurs qui sont venus de nos rangs, et qu’il faut comprendre les raisons pour lesquelles ils votent Front national. Nous devons répondre à leurs inquiétudes, à leur anxiété. Donc, nous devons traiter les sujets au fond, sans avoir de contacts avec les responsables du Front national. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, le gouvernement de L. Jospin manque beaucoup de sincérité. On voudrait nous donner des leçons, alors qu’aujourd’hui 70 députés socialistes sont élus avec la complicité du Front national. Donc, on a été clair : pas d’alliances, mais nous voulons sur le fond répondre aux électeurs du Front national pour dire qu’aujourd’hui, notre projet de société, ce que nous portons avec l’inspiration libérale adaptée à l’humanisme français, est à l’opposé du Front national et peut répondre à leurs inquiétudes. »

J.-P. Defrain : « C’est la cacophonie à droite sur la question du Front national », disait tout à l’heure une responsable socialiste.

J.-P. Raffarin : « C’est une campagne organisée par le Parti socialiste. Je prends un exemple très concret : dans ma région, en Poitou-Charentes, il est courant que le Parti socialiste et le Front national votent ensemble ! Vendredi dernier, on avait le vote budgétaire ; j’ai eu une large majorité pour voter mon budget ; on avait prévu une baisse fiscale de 2 % ; il a été voté par 31 voix contre 24 ; mais le PS et le Front national ensemble ont critiqué et voté ensemble contre mon budget ! C’est souvent que le Parti socialiste tient des propos à Paris et à des comportements différents par ailleurs. Ce que nous disons, c’est qu’il y a des sujets de fond qu’il faut traiter, mais nous restons sur nos positions. Notre position est transparente : pas d’alliance avec le Front national. »