Interview de M. François Fillon, conseiller politique du RPR, à Europe 1 le 7 décembre 1999, sur la politique sociale du gouvernement, l'embargo sur le boeuf britannique et sur les perspectives du RPR à la suite de l'élection de Michèle Alliot-Marie à sa présidence.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Journal de 8h - Europe 1

Texte intégral

Q - Le RPR a une présidente qui a reçu votre voix, F. Fillon. Vous avez retrouvé la parole. Alors, au nom du Gouvernement, M. Aubry annonce une revalorisation de 2% des minima sociaux, une prime 2000 à 1,6 million de foyers ce qui représente près de trois milliards. Est-ce que c'est un beau geste ?

« Un cadeau de Noël est toujours bon à prendre, mais c'est un geste qui ne peut pas tenir lieu de politique sociale. La vérité, c'est qu'il y a aujourd'hui trop d'injustice entre ceux qui travaillent avec de faibles revenus et souvent dans une grande précarité et puis ceux qui sont totalement assistés et qui vont recevoir cette allocation. Vous savez, les agriculteurs Bretons, ils n'auront pas de prime, eux, pour les fêtes de Noël. »

Q - C'est bien de dire ça quand on est dans l'opposition.

« Non mais c'est un vrai sujet qui aujourd'hui est ressenti par tous les Français de manière très forte. Il y a aujourd'hui moins d'intérêt pour beaucoup de gens à travailler qu'à être complètement assisté. Et c'est un problème pour une société que de ne pas respecter l'équilibre entre le travail et l'assistance.

Q - Vous avez du mal à reconnaître que la gauche a du coeur même si c'est pour Noël et peut-être pas tout le temps pour Noël, mais…

« Elle n'a pas le monopole du coeur et elle mène une politique qui est souvent, elle s'en vante d'ailleurs, plus libérale que celle du Gouvernement précédant. Je vous rappelle que M. Jospin se vante régulièrement d'être le Premier ministre qui a le plus privatisé qu'A. Juppé. Alors évidemment, de temps en temps, il faut quelques gestes de gauche pour rappeler que l'on est de gauche. »

Q - Et s'il n'avait pas modernisé ou adapté la société française et l'économie française vous lui feriez le reproche ! Est ce que l'on peut faire autrement aujourd'hui dans la phase de mondialisation ?

« Alors, il ne faut pas se faire élire sur le contraire. L'honnêteté en politique, la morale en politique, c'est aussi respecter les engagements que l'on prend devant ses électeurs. Et quand on se fait élire sur un programme de gauche, on ne mène pas ensuite une politique libérale. »

Q - R. Hue demande au Premier ministre d'offrir 5 milliards sur les 30 milliards de recettes fiscales supplémentaires. Est-ce que vous vous sentez ce matin plus proche de R. Hue ou de M. Aubry ?

« Ni de l'un ni de l'autre. R. Hue mène une politique, réclame une politique sociale qui n'est pas réaliste et qui ne ferait qu’accroître l'injustice que j'évoquais tout à l'heure. »

Q - Le boeuf britannique : les experts de l'Agence française de sécurité sanitaire hésitent tellement qu'ils refilent la décision au Gouvernement. Qu'est que préconise un ex et un futur responsable du RPR ?

« Je trouve d'abord que cette décision des experts montre la limite d'une société qui leur confie de plus en plus de responsabilités. C'est quand même tout à fait fantastique de voir qu'ils ne sont pas capables de proposer une vrai décision parce qu'ils ont peur de prendre une vraie responsabilité politique. Alors c'est au gouvernement maintenant de le faire. Moi je pense que s'il y a un risque - et c'est ce que semblent dire les experts français - le Gouvernement doit tout faire pour en préserver les Français. Et je crois d'ailleurs que l'Europe devrait réfléchir à cette question car si elle était à l'origine d'une nouvelle contamination, si elle était à l'origine d'accidents de santé, ce serait extraordinairement grave pour son image qui est déjà une image très dégradée dans l'esprit des Français. »

Q - Donc, vous comprendrez que le Gouvernement Jospin, J. Galvany, maintiennent l'embargo sur le boeuf britannique.

« Oui, et qu'ils engagent vis-à-vis de l'Union européenne toutes les procédures de recours qui sont à leur disposition. »

Q - C'est à dire que vous ne craignez pas la procédure judiciaire et les sanctions que pourrait déclencher la Commission Prodi.

« Non, je crois qu'il y a des cas où les intérêts vitaux d'un pays sont en cause et où il a le devoir de refuser l'application de mesures qui sont des mesures injustes. »

Q - M. Alliot-Marie est donc présidente du RPR. Vous aviez fait voter au deuxième tour en sa faveur. Quelle est la part de F. Fillon dans la victoire de M. Alliot-Marie ?

« Je crois que j'ai doublement pesé dans cette élection. D'abord en étant candidat. J'ai, d'une certaine manière, dérangé les traditions d'un mouvement qui avait l'habitude d'organiser les élections et la démocratie. Et je pense que si je n'avais pas été candidat, si je n'avais pas ouvert en particulier le débat sur l'autonomie, la candidature officielle aurait eu toutes ses chances. J'ai proposé M. Alliot-Marie en a beaucoup profité parce que les militants du RPR ont été à la fois sensibles à ce débat et en même temps n'ont sans doute pas voulu me suivre aussi loin que je le leur proposais de le faire. »

Q - Est-ce que vous souscrivez à la belle formule de J.-L. Debré : « Cette élection est un plébiscite pour J. Chirac ? »

« Je crois que J. Chirac n'est pas en cause dans cette élection. Ce qui était en cause c'était la nature des rapports entre le Président de la République - qui est un Président de la République dans une situation de cohabitation - et le mouvement dont il est issu. Et clairement, les électeurs ont fait le choix de l'autonomie. C'est-à-dire que les électeurs ont souhaité que le RPR ait une expression propre, que le RPR ait un dialogue.. »

Q - Oui oui, ça c'est de la théorie, parce que tous les candidats vous étiez chiraquiens, - certains un peu moins que d'autres - mais dès le premier jour, M. Alliot-Marie est allée exprimer sa loyauté, sa gratitude au Président de la République.

« Je crois que tout le monde l'aurait fait et moi le premier. Le Président de la République est le Président de la République, et c'est incontestablement notre meilleur candidat aux élections présidentielles, la question n'est pas là ! »

Q - Et en sortant de l'Elysée vous auriez dit : « Chaque semaine, je reviendrai voir le Président de la République ? » Chaque semaine ?

« Toute la question est de savoir ce qu'elle lui dira et ce qu'ils se diront. »

Q - C'est la définition de l'autonomie pour laquelle vous avez fait campagne ?

« L'autonomie n'est pas dans le nombre de rendez-vous que l'on a avec le Président de la République. Elle est dans le dialogue que l'on peut avoir avec lui. Ou bien le président du RPR va l'Elysée prendre des ordres, ou bien le président du RPR dialogue avec le Président de la République et il y a une répartition des rôles entre eux. »

Q - Mais tout ce qui a été dit sur l'autonomie c'est ou de la plaisanterie ou de la rigolade, parce que le RPR ne peut qu'être le parti de son fondateur, aujourd'hui Président de la République, vous ne croyez pas ?

« Mais ça ne l'empêche pas d'avoir une autonomie dans son expression et dans un certain nombre de ses choix politique. On va le voir très bientôt. On va le voir dans quelques semaines lorsqu'il faudra se déterminer par exemple sur la réforme de la magistrature. On va le voir dans son expression dans les prochains jours. »

Q - Donc aujourd'hui, ce matin après ce que vous voyez, vous n'avez pas le sentiment d'être floué ?

« Je n'ai absolument pas le sentiment d'être floué, mais j'attends. »

Q - Quoi ?

« j'attends des signes, j'attends une expression, j'attends un discours qui doit être un discours qui se démarque d'une situation qui a été rejetée par les militants. »

Q - Est-ce que vous serez dans son équipe ?

« Je lui apporterai tout mon concours, je le lui ai dit. »

Q - Pour des responsabilités ?

« Moi je sui prêt à l'aider parce que je pense que nous devons tous retrousser nos manches pour redresser le rassemblement pour la République mais je suis prêt à le faire, évidemment dans le respect de mes convictions. »

Q - P. Séguin n'avait pas désavoué votre choix en faveur de M. Alliot-Marie, il vous y avait encouragé, poussé même. Est-ce que vous réclamez son retour aujourd'hui dans des responsabilités, avec plus de présence. On ne l'a pas beaucoup vu, rue de Lille.

« On ne le voit pas aujourd'hui, après avoir été président du Rassemblement pour la République, prendre des responsabilités dans une équipe dirigée par quelqu'un d'autre. En revanche, il y a des échéances à venir, on parle beaucoup de lui dans le débat pour les municipales parisiennes, on a besoin de sa voix et de sa réflexion pour adopter une politique… »

Q - Donc vous lui demandez de revenir ?

« Moi je lui demande d'être présent dans le débat politique parce que l'on a besoin de lui. »

Q - Il y a une formule de M. Alliot-Marie qui a choqué : celui qu'elle déteste le plus, c'est L. Jospin. Est-ce qu'il faut mettre ainsi de la haine, de la passion, de la détestation en politique en phase de cohabitation ?

« Non, je crois qu'il ne faut pas mettre de haine. En revanche, M. Alliot-Marie est une femme du Sud-Ouest, elle s'est exprimée avec une certaine vigueur. Mais il ne faut certainement pas mettre de haine dans les relations politiques. Il faut avoir le respect de ses adversaires, et je crois que c'est plutôt de la… »

Q - C'est de l'embarras, ça s'appelle de l'embarras ! Mais elle a déjà revêtu l'uniforme de combat.

« Et ça c'est bien parce que le Rassemblement pour la République n'a pas suffisamment combattu le Gouvernement ces derniers mois et c'est ce que lui reprochent beaucoup de ses électeurs. »

Q - Et le secrétaire général sera comment ?

« Ecoutez, moi je n'ai pas de conseil à lui donner. Mais je pense que le secrétaire général doit être un organisateur, le secrétaire général ne doit pas être un président-bis, le secrétaire général doit être quelqu'un qui fait fonctionner la maison au quotidien. »