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Le Figaro économie : L'échec des négociations entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur la loi électricité va retarder encore l'ouverture à la concurrence. Bruxelles vient d'ailleurs d'annoncer qu'une procédure allait être engagée contre la France. Ne craignez-vous pas des mesures de rétorsion contre EDF qui veut s'implanter chez nos voisins ?
Christian Perret : Permettez-moi de rappeler le déroulement des faits. Lorsque j'ai été nommé à l'industrie, aucune concertation n'avait réellement été organisée sur un sujet qui concerne pourtant des choix de sociétés majeurs : le service public, la politique énergétique du pays.
Le temps de la concertation n'a pas été du temps perdu, bien au contraire. Il a permis à la majorité plurielle d'enrichir le projet sur la base politique qu'elle partage avec le gouvernement. L'opposition de droite a malheureusement montré qu'elle défendait, sur trois des quatre points décisifs, des thèses que nous ne pouvions retenir car elles compromettaient l'équilibre du texte.
Il ne faut pas dramatiser le retard résultant de cette situation. Je crois que, sur les bases du texte de l'Assemblée nationale, la France pourra mettre son cadre législatif en place d'ici le printemps. Certains, dans l'Union européenne, vont effectivement dénoncer le retard de la France, qu'ils analysent – à tort – comme une position protectionniste en faveur d'EDF. Il s'agit, en réalité, d'une conséquence de la profondeur du débat démocratique que nous avons voulu.
Le Figaro économie : Vous venez d'adresser aux organisations syndicales et professionnelles le texte de l'avant-projet de loi sur l'ouverture du secteur du gaz à la concurrence. Pensez-vous cette fois tenir les délais ?
Christian Perret : C'est bien le signe que nous comptons transposer les directives européennes. Contrairement à ce qui s'était passé pour l'électricité, j'ai conduit personnellement les négociations sur la directive du gaz à Bruxelles, à partir de juin 1997. Je l'ai fait en concertation avec les partenaires sociaux. Je proposerai au Parlement d'examiner le projet de loi de transposition avant la date limite du 10 août 2000. J'ai d'ailleurs, pour cela, une motivation supplémentaire : la France, qui prend la présidence de l'Union européenne en juillet 2000, se doit d'être exemplaire sur le gaz.
Le Figaro économie : Le Conseil économique et social et le rapport parlementaire de Mme Bricq ont demandé, dans des styles différents, la transformation de GDF en société anonyme et l'ouverture de son capital. Quelle est votre position ?
Christian Perret : Je souhaite tenir une ligne pragmatique avec pour objectif essentiel de renforcer l'avenir industriel de Gaz de France, comme le suggère Charles Fiterman dans son rapport au Conseil économique et social. Je suis aussi le garant de la sécurité d'approvisionnement du pays. Il faut que GDF dispose d'un accès direct à la ressource en étant producteur de gaz. Or, je sais que l'entreprise n'est pas en mesure – techniquement et financièrement – d'y arriver seule. Parallèlement, il me semble important d'examiner si, entre GDF et GSO – transporteur de gaz, filiale de Total-Fina-Elf – les liens ne pourraient pas être renforcés.
En outre, il ne faut pas ignorer l'attente des clients en faveur d'une offre multi-énergie, sujet qui intéresse aussi bien EDF que GDF. Dans l'industrie, le rôle des ensembliers énergétiques va devenir décisif.
N'ayons ni tabou, ni a priori. Pour ma part, j'ai trois certitudes : GDF doit rester une entreprise publique dynamique et concurrentielle ; il faut conforter les liens historiques entre GDF et EDF, en particulier à travers la distribution mixte qui donne entière satisfaction aux clients ; enfin, le statut du personnel ne doit en aucun cas être remis en cause pour les agents de GDF, comme pour ceux d'EDF.
Le Figaro économie : Qui seront les consommateurs « éligibles » et combien d'abonnés pourront entrer dans la catégorie des « élus » ?
Christian Perret : J'ai négocié il y a deux ans des seuils minimaux et cela a été difficile à obtenir de nos partenaires. Nous mettrons en oeuvre cette ouverture progressive et maîtrisée. En août 2000, 20 % du marché du gaz, seulement, sera ouvert, puis 28 % en 2003, et 33 % en 2008 ; soit environ 100 clients, puis 300, et 700 à la dernière étape.
Le Figaro économie : Les distributeurs non-nationalisés, c'est-à-dire les dix-sept régies ou sociétés mixtes qui desservent certaines grandes villes comme Grenoble ou Strasbourg, souhaitent pouvoir choisir leur fournisseur de gaz. Y êtes-vous favorable ?
Christian Perret : Tout d'abord, je veux le dire avec force, le monopole de distribution de GDF, tel que défini par la loi de juillet 1998, ne sera pas remis en cause.
Pour certains distributeurs non-nationalisés, la possibilité de choisir leur fournisseur de gaz peut s'appuyer sur la proposition de la députée Nicole Bricq. Elle suggère d'appliquer à ces distributeurs les mêmes seuils de consommation qu'aux industriels. C'est une base de discussion équilibrée, qui s'efforce de concilier les contraintes économiques et les obligations de service public. J'aurai l'occasion d'approfondir le sujet avec les partenaires sociaux.
Le Figaro économie : Les Français paient tous leur courant électrique au même prix. La péréquation va être inscrite dans la loi. Ce n'est pas le cas pour le gaz. Pourquoi maintenir cette iniquité, tout en prétendant qu'il s'agir d'un service public ?
Christian Perret : Contrairement à l'électricité, le gaz naturel peut être remplacé par d'autres énergies. Une prise en compte objective des coûts d'investissements est nécessaire pour étendre la desserte. Je rappelle d'ailleurs que j'ai décidé d'accroître le rythme des raccordements. Il passera de 200 communes en 1997, à plus de 400 communes supplémentaires au cours de l'année 2000.
Les écarts de tarif d'une commune à l'autre sont minimes, grâce à une harmonisation des coûts de fourniture. J'ai inscrit ce principe dans l'avant-projet de loi. Le service public du gaz doit se traduire par une vraie solidarité.
Le Figaro économie : L'Assemblée nationale et le Sénat ont prévu un tarif réduit du courant pour les familles les plus pauvres. Faut-il reproduire ce dispositif pour le gaz ? Ne serait-ce pas une injustice vis-à-vis de ceux qui n'étant pas raccordés au gaz se trouveraient exclus de cette aide ?
Christian Perret : Le droit à l'énergie, adopté par le gouvernement et la majorité plurielle de l'Assemblée nationale, doit se traduire de plus en plus concrètement pour nos concitoyens. Le projet de loi sur l'électricité prévoit un dispositif spécifique : un tarif social et une prise en compte des impayés pour les plus démunis.
Je suis prêt à retenir une disposition comparable pour le gaz, en tenant compte naturellement des différences entre les deux formes d'énergie. Pour les personnes démunies qui ne sont pas encore raccordées au gaz, nous devrons réfléchir à une autre forme d'aide.
Le Figaro économie : Le terme « concurrence » est soigneusement omis dans les titres des lois de transposition, tant pour le gaz que pour l'électricité. Est-ce le mot, la réalité, ou vos alliés communistes qui vous font peur ?
Christian Perret : Il est inutile de rappeler à chaque phrase ce qui est une évidence : la concurrence et le marché européen constituent l'environnement d'EDF et de GDF. Dans ce cadre, ce qui importe pour moi, c'est la définition d'une stratégie industrielle offensive pour GDF ainsi que le bon fonctionnement du service public. Au coeur de cette démarche, il y a la satisfaction des clients et le développement de notre industrie, au bénéfice de l'emploi.