Interviews de M. René Monory, président du Sénat, à France-Inter le 13 novembre 1996 et Europe 1 le 21, notamment sur l'Union monétaire, la proposition de M. Valéry Giscard d'Estaing de dévaluer le franc, et son soutien à la politique économique et monétaire du gouvernement.

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Média : Europe 1 - France Inter

Texte intégral

France Inter - mercredi 13 novembre 1996

A. Ardisson : Vous signez, dans Le Monde, un article sur la monnaie unique qui est à la fois un plaidoyer inconditionnel pour sa réalisation dans les délais et les formes prévus, et une mise en garde contre la classe politique à propos de ceux qui remettent en cause le couple franco-allemand. Qui visez-vous au juste ?

R. Monory : D'une façon un peu diffuse, souterraine, actuellement, il y a une espèce de message qui est en train de se développer contre la monnaie unique, en essayant de culpabiliser nos voisins allemands en disant qu'ils ne sont pas raisonnables. Tout ça est faux ! Ce qui est vrai, c'est que demain, si nous partons dans l'aventure tout seul contre le monde entier, on perdra. Il est certain que les Allemands sont aujourd'hui dans les mêmes problèmes, dans les mêmes difficultés que nous, au moins autant. Ils ont eu la réunification qui leur a coûté cher. On a eu deux cohabitations qui nous ont coûté cher. On n'a pas fait les mutations en temps voulu. Il fallait refaire la France et l'Allemagne sur d'autres bases. On a certainement dépensé plus que ce qu'on a gagné pendant 20 ans. Aujourd'hui, il faut remettre les pendules à l'heure. Si l'Europe se distend au moment où, l'on a besoin des efforts de tous, on risque la catastrophe.

A. Ardisson : Jusque-là, les positions de décrochage du franc par rapport au mark viennent de personnalités marginales. Craignez-vous des coups de boutoir à l'intérieur de la majorité ?

R. Monory : Si je prends le programme encore un peu fantôme du PS, je vois qu'il est dit d'une part qu'on va revenir à 1981, avec toutes les erreurs, mais en plus, ce qui n'était pas le cas à l'époque, on va commencer à discuter sur l'Europe. Les socialistes disent : « On va poser des questions sur l'euro, sur ceci, sur cela ». C'est vraiment l'antithèse de ce que pensaient les socialistes en 1981 et 1990. Aujourd'hui, on fait beaucoup de démagogie pour aller à la rencontre des électeurs. Il est facile de dire : « Si ça ne va pas, c'est la faute à l'Europe » ! Tout ça est un mauvais message qui risque de nuire à l'Europe et à sa solidité, parce que les Américains, les Chinois, les Japonais et les autres avancent à grands pas. Si nous ne réussissons pas dans les deux ans prochains à faire un véritable Europe monétaire et politique, alors là, on souffrira encore davantage.

A. Ardisson : Peut-être n'auriez-vous pas écrit cet article sans les rumeurs sur un éventuel changement de Premier ministre, les supputations sur les chances de P. Séguin et des sondages plutôt favorables à la gauche ?

R. Monory : Je n'ai pas à me mêler de la formation d'un nouveau Gouvernement Ce que je souhaite, c'est que le Président de la République garde le cap et, finalement, aujourd'hui, c'est lui qui garde bien le cap. Moi, je suis admiratif devant la détermination de J. Chirac qui dit : « Quoi qu'il arrive, je suis un Européen, je ne changerai pas de cap. » C'est cela qui est important. Il y aura peut-être un changement de Gouvernement, je ne crois pas pour l'instant, mais tout ça ...

A. Ardisson : Vous ne le croyez pas ou vous ne le souhaitez pas ?

R. Monory : Je ne le souhaite pas parce que, finalement, quel que soit le Premier ministre, j'ai toujours dit que dans les mêmes difficultés, ce qu'il fait actuellement, il faut le faire. Évidemment, ce n'est pas toujours facile à faire, à faire comprendre. Pensez que dans le passé on distribuait sans compter et on empruntait ; aujourd'hui, on ne peut plus continuer sur cette voie qui est une voie catastrophique. Alors, naturellement, tout Premier ministre qui viendra et qui doit faire la politique qu'il doit faire, ce sera difficile pour lui. Aujourd'hui, ce qui est important pour moi, c'est qu'on garde le cap de l'Europe. C'est pour ça que je soutiens complétement le Président de la République dans cette aventure : il est vraiment européen. Il a dit qu'il ne changerait pas de cap : c'est cela qui est important.

A. Ardisson : Ne peut-on pas se demander avec l'Allemagne si le remède de cheval est pire que le mal, vu nos difficultés communes ?

R. Monory : Les Allemands sont dans la même situation que nous parce qu'ils ont connu aussi des difficultés, comme nous. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas avoir peur des Allemands, comme certains le disent Les Allemands sont comme nous : ils cherchent une nouvelle voie, ils ont raison. Ce qui me frappe, c'est que l'Italie, qui a connu un certain laxisme pendant une période, est en train de se rapprocher de la monnaie unique. Les Espagnols également Peut-être qu'il y aura un changement de majorité ou de gouvernement en Angleterre : les Anglais sont quand même contre l'Europe tout en voulant rester dedans, quelles que soient les déclarations. Ce qui me frappe, c'est que tous les Européens sont favorables à cette monnaie unique. Tous les Européens sont favorables à l'union de l'Europe. Finalement, chacun essaie par de petits moyens, un peu bas parfois, de détruire tout cela. C'est pour ça que je réagis un peu fortement, car je crois que l'Europe, c'est la planche de salut pour les Français. Il ne faut pas faire croire que si on a des difficultés aujourd'hui, c'est à cause de l'Europe.

A. Ardisson : Le calendrier de la monnaie unique se confond avec la mondialisation galopante.

R. Monory : Les gens découvrent la mondialisation aujourd'hui. Moi, c'est il y a 15 ans que je l'ai découverte ! Ce n'est pas d'aujourd'hui que la Chine commence à se développer. Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Japon et les pays du Sud-Est se développent. D'un seul coup, c'est un mot qui est devenu à la mode. La mondialisation existe, personne ne l'arrêtera. Pour faire face à cette mondialisation, il n'y a que l'Europe. L'Europe a fait beaucoup de progrès en 40 ans. L'Europe a été faite, elle est sur les rails. À nous de ne pas la détruire. Mais la mondialisation est un phénomène qui n'est pas nouveau, qui a 10 ans. C'est peut-être parce qu'on ne l'a pas vu venir qu'on est dans la situation difficile dans laquelle nous sommes aujourd'hui.

A. Ardisson : Les délocalisations sont quand même de plus en plus nombreuses.

R. Monory : Oui, ça ne pourra pas plus être autrement Par contre, on vendra autre chose. Aujourd'hui, nous avons une avance formidable dans le domaine de l'information par rapport à tous ces pays émergeants. On sera capable de faire des produits qu'ils ne pourront pas faire. La France de demain, l'Europe de demain, ce sera une France et une Europe beaucoup plus immatérielles que matérielles. Là, on est beaucoup plus fort que les pays émergeants. C'est cela qu'il faut travailler.

A. Ardisson : Quelle est votre opinion vis-à-vis de la réduction du temps de travail pour créer des emplois ? On a appris, hier, que J. Major, à Londres, se battait contre les empiétements de l'Europe qui voulaient lui interdire de faire travailler les Anglais plus de 48 heures.

R. Monory : Là, je crois que l'on a vu ce que cela avait donné quand les socialistes étaient passés de 40 à 59 heures avec le même salaire, Je crois que ce n'est pas une loi qui peut imposer cela. Par contre, je suis tout à fait favorable à l'amélioration ou à l'aménagement du temps de travail, je dirais « volontaire ». J'ai des secteurs dans mon département qui fonctionnent très bien, ce que j'appelle, le temps choisi. Je crois qu'il faut accorder beaucoup de libertés aux entreprises, aux salariés, aux syndicats, pour qu'ils négocient dans ce sens-là. Je ne crois pas qu'une loi universelle, obligeant les gens à faire ceci ou cela, soit bonne. Par contre, je suis sûr que l'on va vers une réduction du temps de travail à terme, volontaire ou organisé. C'est irréversible, on ira, pas de la façon autoritaire mais de la façon organisée.

A. Ardisson : Êtes-vous pour une révision du Code du travail ? Certains en parlent.

R. Monory : Je ne suis pas pour une révision. Je crois qu'il est vrai que tous les pays qui résolvent actuellement leur problème de chômage sont des pays qui ont plus de souplesse dans le travail. Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi, il y a vraiment des sujets sur lesquels il faudra réfléchir avec les syndicats dans le dialogue. Je suis persuadé que tout le monde sera compréhensif parce que tout le monde en a marre de voir le chômage, surtout des jeunes. Je crois qu'il y a là des souplesses à introduire qui ne seront pas du tout contre les salariés mais pour les salariés.

A. Ardisson : Une petite curiosité : le taux de la vignette auto dans la Vienne ?

R. Monory : Il est le douzième ou le treizième le plus bas en France. D'ailleurs, cette année, je baisse mes impôts, dans la Vienne, de 4 % : tous les impôts, sans exception, y compris celui de la vignette.

A. Ardisson : Et comment faites-vous ? Vous avez une recette à communiquer à vos collègues ?

R. Monory : Je n'ai pas de recette. J'ai seulement, depuis six ans, investi beaucoup plus que consommé. Je crois que c'est ce que je préconise pour la France. Aujourd'hui, je ne suis pas malheureux, j'ai un budget tout à fait sain, cela me permet de baisser mes impôts sans aucune contrainte.

A. Ardisson : Vous regardiez avec intérêt, les titres de la presse, ce matin, concernant la fusion Axa-UAP : c'est une bonne nouvelle ?

R. Monory : C'est une très bonne nouvelle, cela prouve qu'en France, on a encore des hommes de grand talent, de grande valeur. Ça me fait énormément plaisir parce que nous sommes en France, le pays qui aura le premier ou le deuxième opérateur en matière d'assurance. C'est tout de même pas mal. Il y a, en France, des hommes qui sont de grande qualité.

A. Ardisson : Il faut multiplier ce type de fusion ?

R. Monory : Bien sûr, il faut les multiplier. Vous parliez, tout à l'heure, de la concurrence des pays nouveaux. Ces pays nouveaux ont déjà des grandes entreprises, même s'ils n'ont pas tout à fait réussi leur transformation économique marchande. Et nous, si on veut résister aux Américains et aux Japonais, il faut absolument que l'on ait, aussi, des grandes entreprises de cette nature. Et ça, c'est quelque chose de tout à fait important. Il faut beaucoup de courage pour le faire. Ça prouve que l'on a des hommes de grande qualité, je le répète.

 

Europe 1 - jeudi 21 novembre 1996

J.-P. Elkabbach : Vous reflétez souvent l'humeur du pays, au-delà de ce que peuvent penser les Parisiens. Les routiers bloquent le pays pour appuyer leurs revendications plus ou moins légitimes – peut-être légitimes, probablement légitimes – mais ils paralysent la vie économique du pays, font le blocus autour des grandes villes et ça continue. Est-ce que ça vous semble normal ?

R. Monory : Non, ce n'est pas normal mais c'est une histoire qui est assez longue. Les propriétaires de camions ont acheté beaucoup de camions à une époque et aujourd'hui ont un peu moins de travail et ils ont une concurrence terrible. Alors, tout le monde en paie un peu les conséquences, y compris les salariés. Aujourd'hui, les salariés ont un métier dur en tant que routiers, ils ne sont pas toujours payés assez fort C'est ça qu'il faut régler, il faudra sans doute augmenter le prix des transports, atténuer un peu cette concurrence qui détruit tout parce qu'on ne peut pas paralyser le pays par des grèves un petit peu irresponsables. Mais je ne condamne pas les salariés car je sais qu'il y a des chauffeurs routiers qui souffrent beaucoup.

J.-P. Elkabbach : Et qui doit intervenir pour qu'il y ait une solution ?

R. Monory : Je crois d'abord que c'est un petit peu le fait qu'on a déjà soulevé par ailleurs : il ne faut pas non plus tirer la ficelle jusqu'à ce qu'elle casse en ce qui concerne les prix des transports routiers. Ce sont les donneurs d'ordres qui doivent comprendre ça parce que, vraiment, on fait une concurrence effrénée. Il faut faire très attention.

J.-P. Elkabbach : La bataille autour du franc et de la future monnaie unique est donc repartie de façon spectaculaire. Le Président Giscard d'Estaing, dont vous avez été le ministre des Finances, propose ce matin encore de décrocher le franc du mark de 8 à 9 %, vitaminer la croissance et l'emploi, dit-il. Qu'est-ce que vous en pensez ?

R. Monory : Je pense qu'on a changé d'époque. J'ai été ministre des Finances avec V. Giscard d'Estaing, je lui dois beaucoup, à l'époque c'est lui qui m'a demandé de faire le système monétaire européen pour justement bloquer les différences de fluctuation entre le franc et le mark. Et à l'époque, c'était bien sûr les hommes politiques qui pouvaient le faire puisque nous avions un contrôle des changes. Aujourd'hui, il n'y a plus de contrôle des changes, heureusement, c'est moi qui l'ai supprimé. Aujourd'hui, ce sont les marchés qui font la monnaie. La balance commerciale a beaucoup d'importance. Vous avez vu que la balance américaine, par exemple, qui est mauvaise ce mois-ci, a fait baisser le mark. Ce qui fait qu'on ne peut pas artificiellement dire : demain, notre franc sera plus fort ou moins fort. Je crois qu'il faut faire très attention et d'autre part, il faut faire très attention au couple franco-allemand qui est indispensable pour faire l'Europe à laquelle je suis tellement attachée.

J.-P. Elkabbach : Oui mais pourquoi ne pas bousculer de temps en temps à la fois le Chancelier Kohl et le couple franco-allemand si c'est, comme dit V. Giscard d'Estaing, l'intérêt national ?

R. Monory : Mais je ne crois pas du tout que le Chancelier Kohl ait une responsabilité là-dedans. Ce sont les marchés qui en ont la responsabilité, si les marchés jugent que notre franc et notre mark sont à égalité. Dévaluer le franc de 8 % par exemple, c'est donner 92 francs aux Français qui ont 100 francs dans leur poche. Ce n'est pas non plus très agréable.

J.-P. Elkabbach : Oui mais on a le sentiment que si le franc baisse, d'après ce qu'on lit, ce qu'on entend, l'emploi monte ?

R. Monory : Le drame est que c'est un domaine qui est très difficile à expliquer. On ne dirige pas la monnaie, on ne dirige pas sa valeur. Aujourd'hui, la France a un excédent de balance commerciale de plus de 100 milliards de francs, ce qui n'était jamais arrivé. Et au contraire, les États-Unis ont un déficit formidable de balance commerciale puisque c'est plus de 11 milliards de dollars le dernier mois. Or, c'est tout ça qui joue.

J.-P. Elkabbach : On nous dit, c'est le franc fort, le franc est surévalué. Est-ce qu'il faut un franc plus bas, un franc moins fort ?

R. Monory : Une fois de plus, je vous répète que ce ne sont pas les hommes politiques qui feront le franc, ce sont les marchés qui le feront C'est tellement vrai que les Espagnols et les Italiens sont en train de faire l'assainissement. Qu'est-ce qu'on paie en réalité pour notre franc aujourd'hui ? Un déficit considérable qu'ont fait les socialistes au cours des quinze dernières années, car n'oublions pas qu'il y a, tous les ans, à rembourser plus de 500 milliards de francs d'annuités et qu'on est à plus de 4 000 milliards bientôt d'emprunts à l'extérieur. Il faut les rembourser, c'est ça le problème.

J.-P. Elkabbach : Oui mais ce n'est pas nous qui inventons ce débat, c'est quelqu'un d'aussi compétent que V. Giscard d'Estaing – il sera d'ailleurs à Bonn aujourd'hui avec le Chancelier Kohl – qui fixe lui-même un euro à 7 francs et la parité franc-dollar à 5,50 francs ?

R. Monory : J'ai beaucoup de respect pour le Président Giscard d'Estaing mais si on savait fixer le prix de la monnaie là où on veut la fixer, ça se saurait déjà depuis longtemps.

J.-P. Elkabbach : Il y a une semaine, vous écriviez dans Le Monde, donc avant l'article et les propositions de V. Giscard d'Estaing : « remettre en cause aujourd'hui la monnaie unique au moment de l'ultime effort, c'est porter un mauvais coup à notre pays ». Est-ce que vous le maintenez ?

R. Monory : Je le maintiens parce que je crois que demain, la compétitivité de la France se fera à travers l'euro, à travers nos déficits moins importants et surtout à travers le couple franco-allemand qui sera considérablement important sur le plan économique, financier et politique surtout.

J.-P. Elkabbach : Dans ce climat, est-ce qu'il faut respecter les échéances européennes prévues par Maastricht, pousser les feux de l'Europe ou au contraire tenir compte de ces résistances et des situations intérieures nationales ?

R. Monory : Maastricht ou pas Maastricht, il faudrait aujourd'hui rembourser notre dette, c'est ça le problème. Cette année, le ministre des Finances devrait emprunter 650 milliards de francs pour payer les dettes de la France en 1997, ça ne peut pas continuer. Supposez que, chaque jour, vous dépensiez 10 % de plus que ce que vous gagnez, les banques un jour ou l'autre vous diraient : ça suffit La France, c'est la même chose.

J.-P. Elkabbach : Le Président de la République devrait s'adresser bientôt aux Français, je pense. En fait, est-ce que M Giscard d'Estaing aide J. Chirac ou le gêne ?

R. Monory : Il nous le dira. Je crois que, pour l'instant, il ne faut pas troubler les Français qui sont déjà très troublés par la situation actuelle qui est difficile à expliquer, il ne faut pas trop en rajouter dans la compréhension. Parce que si les plus grands personnages de l'État semblent être sur une voie différente, ça risque de troubler un peu plus la France.

J.-P. Elkabbach : Mais on est en train de comprendre ou de croire qu'il y a peut-être une autre politique économique, monétaire. Est-ce que vous souhaitez que le Président de la République change de stratégie, de cap ?

R. Monory : Non, le Président de la République, je le félicite tous les jours, et je me félicite tous les jours de sa position.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes trop gentil peut-être avec lui ?

R. Monory : Je ne suis pas trop gentil. Je crois qu'il a raison. Je craignais justement que la pression puisse lui faire changer de direction. Ce n'est pas le cas. Je l'approuve, je le défends dans cette méthode. Bien sûr, ce n'est pas facile parce qu'aujourd'hui, les bons esprits – je ne parle pas du Président Giscard d'Estaing – mais les bons esprits en général pensent que l'on devrait peut-être faire autre chose. Je crois qu'il faut faire très attention. Je crois que le Président Chirac est exemplaire pour l'Europe, je souhaite qu'il le reste.

J.-P. Elkabbach : Le président du Sénat connaît naturellement les institutions de la Ve République, est-ce qu'il faut un autre Premier ministre aujourd'hui ?

R. Monory : Je ne crois pas que cela serve à quelque chose. J'ai toujours dit que, quel que soit le Premier ministre, on arriverait au bout de notre logique d'emprunt, au bout de notre logique de remboursement Et donc, quel que soit le Premier ministre qui sera en place, il sera forcément impopulaire. Quand on redemande de l'argent à quelqu'un qui en a donné trop, il n'est jamais content qu'on lui en reprenne.

J.-P. Elkabbach : Cela veut dire que c'est le même Premier ministre avec le même gouvernement ou un gouvernement quand même différent ?

R. Monory : Je ne suis pas décideur en cette affaire mais on parle beaucoup d'un remaniement. Pourquoi pas ? C'est peut-être le moment, c'est peut-être le déclic qu'il faut faire. Mais je ne crois pas que ce soit le Premier ministre qui change grand-chose. C'est surtout un remaniement parce que, vous savez, les Français, à un moment, ont besoin de cela. Je ne suis pas du tout favorable à ce que l'on bouleverse tout mais on en parle. C'est tout. Moi, je ne suis pas au courant d'un remaniement ministériel.

J.-P. Elkabbach : Mais à quoi doit ressembler ce gouvernement pour réussir, pour faire un choc de l'opinion ?

R. Monory : Je vais vous dire ce que je crois. J'ai connu un gouvernement formidable avec R. Barre en 1977. On n'était que seize ou dix-sept. Il ne faut pas beaucoup de ministres d'une part et il faut qu'ils aient une autonomie. Il faut que le Premier ministre, demain, leur laisse beaucoup plus d'autonomie qu'il ne leur en laisse en ce moment et vous verrez que cela ne marchera pas mal.

J.-P. Elkabbach : Et qu'est-ce que vous étiez impopulaire à l'époque ! N'est-ce pas ?

R. Monory : Pas du tout, puisque je suis devenu au contraire très populaire.

J.-P. Elkabbach : Pas vous personnellement, mais l'ensemble et R. Barre.

R. Monory : Pas du tout puisque, finalement, on a gagné l'élection de 1978 que tout le monde donnait perdante.

J.-P. Elkabbach : Justement, l'air du temps aujourd'hui : c'est presque un engouement, presque une adhésion à l'égard des socialistes et de leur projet économique qui n'est pas encore leur programme.

R. Monory : Pauvres Français !

J.-P. Elkabbach : Pourquoi ?

R. Monory : Parce que, s'ils adhérent au Parti socialiste, c'est le grand trou qui va se représenter devant eux. Vous vous rendez compte, 500 000 emplois payés par l'État ou par les collectivités locales, des emprunts, une augmentation des prix ... On repart, comme par le passé, dans une situation financière dramatique.

J.-P. Elkabbach : On est pourtant dans une période pessimiste et la confiance va vers eux. Est-ce qu'à votre avis, ils redeviennent une alternative ?

R. Monory : Peut-être que les Français croient qu'ils deviennent une alternative mais moi, je ne le crois pas ! Permettez-moi de vous dire que ce serait la catastrophe s'ils revenaient J'espère que l'on sera assez intelligent pour l'éviter. C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, le Gouvernement a besoin d'être resserré, pédagogique et non pas démagogique et que chacun prenne ses responsabilités à l'intérieur du Gouvernement.

J.-P. Elkabbach : Un ministre, un centriste, J. Arthuis, démissionne le président du Gan, centriste, M. Bonnaud, parce qu'il a nui, dit-il, à la privatisation. M. Bonnaud refuse, résiste, s'accroche. M. Bonnaud est proche de vous. Est-ce un climat normal ?

R. Monory : Je vais vous dire deux mots là-dessus. Le premier mot est que la responsabilité de la difficulté de la privatisation du Gan n'incombe pas à M. Bonnaud, elle incombe à son prédécesseur qui a fait de grosses erreurs et qui a laissé le Gan, pratiquement, dans une situation de faillite. La deuxième chose, c'est qu'il faut faire attention quand on est ministre. Quand on est ministre, on ne peut pas tout faire. On ne peut pas se permettre n'importe quoi. Il faut toujours traiter les hommes avec beaucoup d'humanité. C'est toujours ce que j'ai fait et je crois qu'il faut faire attention. J.-J. Bonnaud n'a pas démérité. Qu'on le remplace, c'est peut-être ce qui arrivera, je n'en sais rien mais il faut le faire toujours avec beaucoup d'humanité et beaucoup d'explications. Aujourd'hui, il n'est pas responsable de la non-privatisation du Gan. Ceux qui sont responsables, ce sont ses prédécesseurs qui ont laissé beaucoup de déficit dans l'affaire.

J.-P. Elkabbach : Mais Monsieur le président du Sénat, vous donnerez le sentiment à M. Bonnaud qu'il a raison de s'accrocher !

R. Monory : Qu'est-ce que vous voulez, M. Bonnaud s'il est renvoyé, il est renvoyé ! Pour l'instant, il n'a pas de raison de se culpabiliser car ce n'est pas lui qui est responsable de ce qui se passe.

J.-P. Elkabbach : Donc, c'est la méthode que vous critiquez, non ?

R. Monory : Alors la méthode, il faut toujours fait attention. Quand on est ministre, on ne peut pas tout faire.

J.-P. Elkabbach : Tirez l'oreille à M. Arthuis, qui est un de vos amis politiques.

R. Monory : Non, ce n'est pas forcément M. Arthuis. C'est le Gouvernement en général.