Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes méconnaissable ! En dix-huit mois, vous avez pris du poids.
Claude Bartolone : Financièrement, j’espère ! Pas de tour de taille.
Jean-Pierre Elkabbach : 20 milliards ! C’est pas mal ou c’est insuffisant ?
Claude Bartolone : C’est bien ! C’est bien. Sur les objectifs de la politique de la ville, l’État - et le Premier ministre hier l’a annoncé - a doublé la mise.
Jean-Pierre Elkabbach : Hier, vous disiez sans arrêt, comme une obsession dans la répétition : « Il y a urgence ! »
Claude Bartolone : C’est vrai, plus que jamais. Parce que, d’une certaine manière, la reprise de la croissance peut poser des problèmes encore plus forts dans les quartiers, dans un premier temps, dans la mesure où ceux qui sont plus proches de l’emploi, dès qu’ils retrouvent de l’emploi, veulent partir et sont remplacés par des gens qui sont en plus grande souffrance sociale, qui n’ont pas le choix de leur logement.
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous pensez que cette annonce suffise à calmer des villes comme Vénissieux, Marseille ou même Strasbourg qui flambe au moment des fêtes de fin d’année ?
Claude Bartolone : Ce que demande la population avant tout, et les élus, c’est de voir. Donc, je souhaite que le plus rapidement possible, nous puissions donner une traduction dans la vie de tous les jours de ces habitants.
Jean-Pierre Elkabbach : Ces 20 milliards, on les annonce, mais vous les aurez ?
Claude Bartolone : Je les ai.
Jean-Pierre Elkabbach : Et c’est pour six ans. Alors, cela veut dire que l’an 2000 va commencer par être une année de démolition ?
Claude Bartolone : Cela va être une année de démolition, de renforcement du service public et du retour de l’emploi dans les quartiers.
Jean-Pierre Elkabbach : On va démolir tout ce qui est insalubre. Il y a des barres, des immeubles, des tours qui vont être rasés. Est-ce que vous allez faire au rythme habituel ou est-ce que vous accélérez le rythme avant de reconstruire ?
Claude Bartolone : Il faut être précis sur ce point. Il ne va pas y avoir de démolition totale et générale. Nous démolirons ce qui est le plus nécessaire de démolir. Ce n’est pas simplement pour le plaisir de démolir. C’est qu’à un moment donné, cette forme d’urbanisme, d’architecture des années 60, société du plein-emploi, aujourd’hui ça ne l’est pas. Mais ce que je veux mettre surtout en avant, c’est que la forme même d’un quartier aujourd’hui est stigmatisante. Il y a une partie de la population qui, lorsqu’elle cherche du travail, subit le racisme au quotidien - si je peux employer cette expression. On leur dit : « Non, vos parents sont étrangers. Vous avez une couleur de peau différente. » Mais bien souvent on leur dit : « Vous habitez tel quartier, donc on classe le CV. »
Jean-Pierre Elkabbach : Dans quelles régions par exemple ? Donnez-moi des noms de ville ou de région !
Claude Bartolone : Cela peut être Clichy, Montfermeil ; cela peut être Le Mirail à Toulouse ; cela peut être la banlieue lyonnaise ; cela peut être un certain nombre de quartiers du Nord-Pas-de-Calais.
Jean-Pierre Elkabbach : Je vois la Une de France Soir : sur les 2,8 milliards alloués par l’État à l’habitat social, seul 2 milliards ont été dépensés. De nombreux maires refusent d’accueillir des locataires à faibles revenus. Résultat : 30 000 logements n’ont pas été construits et les taudis se multiplient. Le journal ajoute : « Les taudis sont un marché juteux. »
Claude Bartolone : C’est un vrai problème.
Jean-Pierre Elkabbach : Alors c’est vrai ?
Claude Bartolone : C’est vrai.
Jean-Pierre Elkabbach : Il y a 800 000 francs qui ont été gâchés…
Claude Bartolone : Non, pas gâchés, je ne peux pas laisser dire cela !
Jean-Pierre Elkabbach : Pas utilisés ?
Claude Bartolone : Pourquoi ça n’est pas utilisés ? Ce n’est pas l’État qui construit au quotidien les logements, ce sont les collectivités locales. Or, actuellement, on est dans une situation incroyable. Pour les villes qui ont déjà beaucoup de logements sociaux, eh bien elles n’en veulent plus parce que les habitants de ces logements nécessitent une intervention sociale, un environnement social. Et, bien souvent, ce sont des communes qui n'ont pas de moyens financiers, et donc elles disent : « On ne peut pas en accueillir plus ». Et pour d’autres communes, soyons clairs : elles ne veulent pas en construire sur la base d’une équation que je résumerais de la façon suivante : logement social égale insécurité, ou sur une base raciste, du refus de la difficulté sociale.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous pensez que tout seul vous allez arrêter le racisme dans certaines municipalités ou communes ?
Claude Bartolone : Non, mais il y a une certaine manière d’agir. Avec le Gouvernement, nous préparons actuellement une loi qui s’appelle « la loi d’orientation pour la ville » qui obligera toutes les communes à construire un minimum de logements sociaux, sinon nous n’en finirons pas avec nos quartiers difficiles.
Jean-Pierre Elkabbach : Encore une fois, la loi ! Sans la loi, cela ne passe pas.
Claude Bartolone : On a essayé sans la loi.
Jean-Pierre Elkabbach : Combien de logements sociaux par ville en moyenne ?
Claude Bartolone : Il n’y aura pas un chiffre au niveau national. C’est par agglomération que cela devrait se décliner. Mais, je pense qu’il serait normal que chaque ville ait un minimum de 15 % de logements sociaux.
Jean-Pierre Elkabbach : Et Paris ?
Claude Bartolone : Paris aussi ! Et Paris peut-être en équilibrant mieux son parc de logements. Qu’il n’y ait pas forcément toutes celles et tous ceux qui sont en souffrance sociale dans les 18e, 19e et 20e arrondissements.
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que Paris est une ville bien gérée ?
Claude Bartolone : C’est aux électeurs de le dire. En termes de politique de la ville, j’aurais à porter un jugement négatif. C’est de la langue de bois, ça !
Jean-Pierre Elkabbach : Je ne demande pas l’avis du militant socialiste, mais celui du ministre s’il peut prendre un peu de recul.
Claude Bartolone : Je pense qu’une ville aussi riche que la ville de Paris pourrait intervenir socialement d’une manière plus forte aux côtés des élus et de la population des arrondissements qui ont le plus de souffrance sociale.
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous pensez que les électeurs de Paris le veulent ?
Claude Bartolone : Je crois que c’est un discours à tenir. Il faut faire comprendre aux électeurs que lorsqu’on fait reculer le chômage dans ces quartiers, lorsqu’on a un vrai travail de prévention, que l’on améliore la sécurité au sens large pour les habitants concernés, mais pour toute la ville dans le même temps…
Jean-Pierre Elkabbach : Mais la ville est magnifique !
Claude Bartolone : Oui, pour un certain nombre de ces quartiers, c’est vrai que c’est une ville superbe. Mais je voudrais que ce droit au beau ne soit pas un droit que l’on accorde simplement aux habitants du Ve arrondissement, mais que tous les habitants de Paris puissent prétendre au droit au beau.
Jean-Pierre Elkabbach : Si vous pouviez faire un effort d’objectivité, vous pourriez nous dire si J. Tibéri est ou non un bon maire.
Claude Bartolone : C’est vraiment très compliqué. J’aurais tendance à dire que j’ai beaucoup de mal à avoir une idée précise…
Jean-Pierre Elkabbach : Glou-glou, glou-glou là !
Claude Bartolone : Oui, allez on va faire langue de bois !
Jean-Pierre Elkabbach : Non, non !
Claude Bartolone : Je vais essayer d’avoir une remarque de journaliste…
Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi de journaliste ? D’homme politique responsable !
Claude Bartolone : Je vais essayer d’être aussi responsable politique. Quand j’entends les critiques qui émanent de ses propres amis politiques, j’ai du mal en tant que responsable de gauche à croire que c’est un bon maire.
Jean-Pierre Elkabbach : Oui, mais ses amis politiques ont voté le budget hier. Ils ont grogné, menacé et puis ils ont plié.
Claude Bartolone : J’ai l’impression que, pour le moment, c’est « encore une minute, monsieur le bourreau » en attendant de savoir qui ils choisiront pour le remplacer.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous croyez que la minute va durer jusqu’en 2001 ?
Claude Bartolone : Elle durera jusqu’à l’entrée dans les élections municipales, à mon avis.
Jean-Pierre Elkabbach : Cinquante grands projets de ville ont été retenus parmi 150 candidates. Qu’est-ce qu’elles avaient ces cinquante pour être sélectionnées ?
Claude Bartolone : Il y a plus de villes que cela. C’est cinquante sites. En gros, il va y avoir 150 villes de concernées par cette idée de renouvellement urbain. Mais, ces cinquante sites sont les sites qui avaient besoin de l’intervention la plus industrielle, des sites qui sont construits avec cette architecture de dalle que plus personne ne supporte ; des sites qui ont des centres commerciaux retournés sur eux-mêmes, qui n’ont plus d’animation, d’activités commerciales, des sites où il y a énormément de logements vacants, qui montrent que toute une partie de la population ne veut plus de ce genre de quartiers.
Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes formidablement idéaliste et optimiste, mais c’est vrai que c’est une obsession depuis dix-huit mois !
Claude Bartolone : Vous savez, si vous voulez changer les choses dans ce domaine, il faut être optimiste et idéaliste.
Jean-Pierre Elkabbach : Comment fixez-vous les commerçants, qui sont souvent cambriolés et découragés ? Comment vous faites revenir les conducteurs de bus qui sont souvent tabassés ? Les médecins aussi ?
Claude Bartolone : Nous avons décidé de leur accorder un certain nombre d’aides financières pour pouvoir payer leur surprime d’assurance, les équipements de sécurité dont ils ont besoin. Nous avons décidé, notamment pour les commerçants, de baisser leurs charges pour qu’ils puissent se dire : « On prend en compte notre situation difficile.
Jean-Pierre Elkabbach : Les médecins ?
Claude Bartolone : Les médecins sont concernés de la même manière. Ils auront un dégrèvement de leurs charges qui pourra aller jusqu’à 20 000 francs pour tenir compte de la situation particulière.
Jean-Pierre Elkabbach : Les enseignants ?
Claude Bartolone : C’est un autre problème. C’est au niveau des services publics. Le Gouvernement a souhaité renforcer les moyens qui sont accordés aux agents des services publics pour leur donner une reconnaissance du travail plus difficile qu’ils font. Mais à côté de cela, je voudrais donner deux exemples pour montrer que nous avons décidé de tenter des choses nouvelles. Notamment, nous avons décidé de créer des postes d’adulte-relais pour permettre de réinstaller l’adulte comme modèle, l’adulte qui travaille…
Jean-Pierre Elkabbach : C’est un vrai emploi ?
Claude Bartolone : C’est un vrai emploi qui sera mis à la disposition des associations et qui permettra de donner aux jeunes une image différente des adultes et de leur…
Jean-Pierre Elkabbach : Deuxième exemple : 300 médiateurs dont 100 l’année prochaine.
Claude Bartolone : Voilà. C’est un travail que nous avons fait avec le médiateur B. Stasi. Parce que bien souvent, il y a incompréhension entre les services publics et la population. Et cela permettra à la fois de mieux entendre la population et de transformer les services publics.
Jean-Pierre Elkabbach : C’est le maire J.-F. Copé qui raconte dans un livre les mésaventures, les peurs et laideurs des villes ou des quartiers en déshérence. Pourquoi faut-il que lui, par exemple, mais aussi les autres, croient à un nouveau plan, à un énième plan de rénovation urbaine, le vôtre ?
Claude Bartolone : Parce que le maire que vous venez de mentionner sait très bien que chaque fois que nous discutons avec lui, quelle que soit son étiquette politique, nous essayons de voir en termes mobilisation financière et en terme de transformation à la fois des services publics et de la réalité de sa ville, ce que nous devons faire au quotidien pour préparer le long terme.
Jean-Pierre Elkabbach : E. Raoult taille un costume pour votre poids. Il dit : « Ce plan continue, trois ans après, le plan Juppé. » C’est vrai ou pas ?
Claude Bartolone : C’est normal. Il est dans l’opposition. Il prétend redevenir secrétaire national du RPR : il faut qu’il s’oppose. Après tout, même quand il parle de continuité, ça veut dire qu’ils se rendent bien compte, eux aussi, que nous avons à faire un effort extrêmement important pour nos villes.
Jean-Pierre Elkabbach : Sans vouloir choquer : entre A. Juppé et L. Jospin, il y a au moins un point commun. Vous savez lequel ? Quand il y a une belle annonce, c’est toujours le Premier ministre qui la fait.
Claude Bartolone : C’est normal. Mais c’est d’autant plus nécessaire qu’il faut bien expliquer que ce n’est pas simplement le travail du ministre de la Ville, mais de tout le Gouvernement. C’est pour ça que j’étais très heureux que ce soit L. Jospin qui fasse cette annonce.
Jean-Pierre Elkabbach : Quelle modestie ! D’ailleurs, dans les trente pages du dossier du comité interministériel des villes, il n’y a pas une fois où vous êtes cité. Est-ce pour ne pas faire d’ombre, de peine à Lionel et à Martine ?
Claude Bartolone : De temps en temps, ce n’est pas mal de pouvoir découvrir aussi la modestie.
Jean-Pierre Elkabbach : Ministre, c’est un sacerdoce parfois ingrat, c’est ça ?
Claude Bartolone : Oui, mais dans le même temps, lorsque vous obtenez des résultats sur le quotidien, vous avez une certaine joie intérieure. Et c’est la plus importante.