Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dans "Le Figaro" du 25 octobre 1996, sur les élections partielles de Gardanne et la préparation des élections législatives de 1998 intitulé : "Le FN finira par avoir la majorité".

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Le Figaro : Quelle leçon tirez-vous du résultat de l’élection de Gardanne ?

Jean-Marie Le Pen : Notre score est considérable. Nous faisons près de 40 % contre l'ensemble des autres forces politiques. Dans tous les scrutins où il figure au deuxième tour, le FN obtient entre 40 et 46 % des voix. Il finira par avoir la majorité. C'est cela la véritable révolution.

Le Figaro : Comment expliquez-vous ces résultats de votre mouvement ?

Jean-Marie Le Pen : Je crois qu'il y a une dégradation constante de la situation générale, aussi bien au niveau économique, social, qu'au niveau de la sécurité, de la fiscalité, etc. L'impuissance du gouvernement contraste avec les déclarations belliqueuses de celui-ci, qui est visiblement sans prise sur la réalité. D'autre part, cela n'est pas visible, mais il y a eu un effort considérable de qualification des cadres du Front national, de recrutement, de formation, d'entraînement et d'engagement militant. Cet engagement militant est d'ailleurs lui-même la conséquence de l'injustice des agressions dont nous sommes l'objet, et qui stimulent la sympathie et l'adhésion des citoyens. Après chaque grande attaque ou déclaration de guerre au FN, il y a une vague d'adhésions.

Le Figaro : On constate lors des élections partielles, mais aussi lors des municipales de 1995, que, lorsque le candidat FN reste seul au second tour face à un candidat de gauche, il bénéficie d’un apport de voix en provenance d’abstentionnistes, mais aussi de l’électorat de la droite parlementaire. En faisant battre systématiquement le candidat de la majorité, comme c’est votre stratégie actuelle, ne risquez-vous pas de perdre, à l’avenir, des voix de ce côté-là ?

Jean-Marie Le Pen : Notre stratégie est conséquente : elle suit les agressions dont nous sommes l'objet de la part de la majorité. C'est la majorité qui, généralement, appelle expressément à voter à gauche, y compris communiste, contre le FN. Il semble qu'il y ait aujourd'hui une certaine évolution, puisque seul M. Gaudin avait demandé de façon perfide de voter pour le communiste.

Le Figaro : Vous avez récemment provoqué l'indignation de la quasi-totalité du monde politique par votre prise de position sur l'inégalité des races. Beaucoup de gens se demandent si de tels propos s'inscrivent dans une stratégie délibérée, ou s’ils sont spontanés…

Jean-Marie Le Pen : Je m'en suis expliqué plusieurs fois, d'une manière qui ne laisse place à aucune équivoque. Tout le monde constate des différences d'évolution des civilisations. Cela ne veut pas dire que telle ou telle est systématiquement supérieure aux autres. J’ai cité des propos de Léon Blum et de Jules Ferry à l’appui de cette idée. J’aurais pu en citer cent autres. Pourquoi créer un problème dans une affaire qui n'en pose pas ? Un sondage paru récemment indique d'ailleurs que 55 % des Français sont d'accord avec moi, et que 25 % ne le sont pas. Nous sommes dans un pays où la légalité, la légitimité et, je serais tenté de dire, le bon goût prennent leur source dans le peuple. Celui qui a l'assentiment du peuple n'a pas à se justifier moralement à l'égard d'autorités dont la qualification est d'ailleurs éminemment discutable. Ce sont des « autorités morales » autoproclamées. Je suis un homme politique, mandaté pour parler, je peux faire état d'une adhésion populaire aux idées que je défends.

Le Figaro : N'êtes-vous pas d'avis que tout ce qui touche à la notion de différence entre les races, voire d'inégalité dans l'évolution des civilisations, ne peut plus être abordé qu'avec une extrême circonspection depuis les crimes commis par les nazis ?

Jean-Marie Le Pen : C’est un point de vue subjectif. Il n’y a aucune commune mesure ni aucun rapport entre les deux choses. Ou alors, il faudrait interdire des pans entiers de la réflexion humaine. Cela me paraît un très mauvais procès. D'ailleurs, les électeurs prouvent qu'ils savent séparer le bon grain de l'ivraie.

Le Figaro : On a l'impression que votre mouvement se partage entre deux attitudes : d'une part, la provocation, et de l'autre, les efforts pour atteindre à la respectabilité...

Jean-Marie Le Pen : Je suis pour le respect de la laïcité de la politique. Et à ce titre, je n'accepte pas les tabous qu'on prétend imposer dans tel ou tel secteur de l'opinion ou de la pensée. C’est une donnée fondamentale, liée à la liberté de l’esprit. C’est une forme de tyrannie, de sujétion, d’accepter que d’aucuns déterminent arbitrairement des canons de la morale ou des critères de l'intelligence. Je ne l'accepte pas. Et comme nous sommes dans un pays démocratique, chacun exprime son sentiment, dans le cadre, bien sûr, du respect de la morale courante, mais c'est la seule limite qui soit concevable. On peut parfaitement dire : « M. Le Pen a mauvais goût, il n'a pas des opinions convenables » –, mais on ne peut pas l'empêcher de les exprimer.

Le Figaro : Le gouvernement a pourtant préparé un projet de loi – d'ailleurs controversé au sein de la majorité – permettant de poursuivre plus facilement les auteurs de propos racistes...

Jean-Marie Le Pen : Il s'agit d'une loi de circonstance, ad hominem. Le gouvernement décide où est la liberté de parole des politiques, et je constate simplement qu'il se montre beaucoup plus vigilant en ce qui concerne une formation politique de l'opposition qu'en ce qui concerne des mouvements subversifs armés, comme en Corse.

Le Figaro : Alain Juppé avait évoqué la possibilité de réintroduire une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin pour les élections législatives. Ne serait-ce pas un moyen de vous refaire une place au Parlement ?

Jean-Marie Le Pen : Un certain nombre de gens sont en effet d'accord pour qu'il y ait des élus du Front national, mais non en proportion du nombre de nos électeurs, de telle sorte qu'on puisse nous retirer l'argument de l'injustice, sans que nous ayons un poids qui pourrait être pris en considération : on veut nous donner les miettes de la table, comme au petit chien de l'Évangile.

Le Figaro : La proportionnelle reste-t-elle indispensable pour vous ?

Jean-Marie Le Pen : Je crois que les barrages de papier ne résistent pas au torrent des faits, et que le scrutin majoritaire, imaginé pour nous écarter du pouvoir, sera peut-être le tremplin qui nous y amènera.

Le Figaro : Vous vous êtes récemment réclamé d’une « certaine idée de la France ». A la fête des BBR, votre discours a été interrompu par le « Chant des partisans ». Par ces références au gaullisme, n'êtes-vous pas en train d'adorer ce que vous avez brûlé ?

Jean-Marie Le Pen : J'ai même dit, mais d'autres que moi l'ont dit, que j'étais le dernier gaulliste de la vie politique française. J'ai été en désaccord avec le général de Gaulle – sans qu'on fasse une loi pour m'empêcher de parler –, notamment en ce qui touchait la politique algérienne de la France. Mais je pense que le général de Gaulle était désintéressé, honnête et patriote, même si mes choix politiques n'ont pas toujours coïncidé avec les siens. Ceux qui, aujourd'hui, se réclament du général de Gaulle pour faire la politique de Maastricht et la politique décadente qui est la nôtre commettent une véritable escroquerie politique.

Le Figaro : Votre mouvement s'est lancé dans une multiplication des colloques pour étayer son action sur un développement de sa doctrine...

Jean-Marie Le Pen : Ce n'est pas exactement cela. L'espace politique est aujourd'hui un concept étendu et varié. La politique ne s'entend pas seulement au sens du concours électoral, et recouvre des espaces syndicaux, sociaux, culturels, intellectuels. Le Front national, en jeune mouvement qui se développe à partir de la politique, a tout naturellement vocation à occuper l'espace général d'activité publique. Plus ses adversaires désertent ce terrain, plus il l'occupe avec aisance.

Le Figaro : N'y a-t-il pas contradiction entre la doctrine libérale, sur le plan économique, qui anime votre mouvement et qui répond aux attentes de votre électorat le plus conservateur, et la nécessité où vous êtes de plus en plus de vous adresser à un électorat populaire, défavorisé, venant de la gauche ?

Jean-Marie Le Pen : Le noyau des électeurs du Front national, ce sont des patriotes, des nationaux, c'est-à-dire des gens qui pensent qu'il ne saurait y avoir de solution positive aux problèmes qui se posent au peuple français dans une autre structure que celle de la nation. C'est la démarche originelle du Front national. Quand on est le défenseur de la nation et des conséquences qu'il faut en tirer, tout naturellement, on est amené à promouvoir la famille, à défendre les métiers, l'apprentissage de la vie, la culture, l'éducation, la fraternité des générations et des classes. La nation est une conception générale idéologique.

Le Figaro : Oui, mais la doctrine économique de votre mouvement, c'est le libéralisme...

Jean-Marie Le Pen : C'est l'économie de marché, l'allégement des formes et du poids contraignant de la fiscalité. Les économies, nous les faisons sur les subventions énormes consacrées par l'établissement à sa base clientéliste. On utilise des sommes énormes à arroser certaines entreprises, certains affidés du pouvoir, alors que cet argent, s'il était injecté dans le circuit productif de l'économie, amènerait des bienfaits généraux supérieurs aux bienfaits artificiels distribués à de petites factions, ou à de petites fratries de camarades.