Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Recteur de l'Université,
Monsieur le Président du Conseil national de l'Ordre des Médecins,
Mesdames, Messieurs,
J'ai été très sensible, Monsieur le Président, aux paroles aimables que vous m'avez adressées au nom du comité d'organisation et des participants de ce premier symposium international sur l'insémination artificielle humaine et la conservation du sperme et je vous en remercie très vivement.
Je voudrais à mon tour saluer chacun d'entre vous et tout particulièrement les conférenciers, chercheurs et praticiens étrangers qui vont participer à vos travaux. Je sais quel haut niveau de connaissances scientifiques ils représentent. Leur présence honore notre pays et témoigne de l'estime et de l'intérêt qu'ils portent aux équipes françaises et à leurs travaux.
Si j'ai tenu à assister personnellement à cette séance inaugurale, c'est qu'elle me donnait l'occasion de rendre hommage à l'action que vous menée, Monsieur le Professeur DAVID, avec le dynamisme et la rigueur scientifique et morale que tous vous reconnaissent dans le domaine de la biologie de la reproduction et de l'insémination artificielle.
Vous y avez appliqué ces qualités de biologiste, d'animateur et d'organisateur dont vous aviez, en d'autres temps, fait preuve au bénéfice des enfants atteints d'incompatibilité rhésus avec le succès que l'on sait.
Depuis 1973, depuis l'ouverture au centre hospitalier de Bicêtre du premier centre d'étude et de conservation du sperme humain, vous avez suscité la création d'équipes scientifique dans les centres hospitaliers universitaires. Elles ont permis la mise en place de ces centres au nombre de 14 aujourd'hui, et qui se répartissent sur tout le territoire.
Ces « CECOS », dont le nom est devenu familier aux médecins français et au public, sont des organismes sans profit qui répondent à une technique médicale fondée sur le respect d'un anonymat absolu, le bénévolat des donneurs et le don d'un couple à un autre couple moins bien partagé.
En dehors des garanties qu'elle apporte sur le plan médical, en évitant la répartition excessive des interventions d'un même donneur, cette générosité que traduit la gratuité du don est dans la ligne de ce qui est la règle dans notre pays, qu'il s'agisse de dons du sang, d'organes ou de tissus.
Ces centres répondent en outre aux mêmes critères de fonctionnement et aux mêmes protocoles de travail permettant ainsi l'exploitation scientifique de l'ensemble des données recueillies. Car leur vocation n'est pas seulement de couvrir des besoins biologiques et thérapeutiques, mais aussi de mener des recherches sur la physiologie de la reproduction humaine, dont vous avez souligné, Monsieur le Président, les premiers résultats.
La réunion scientifique qu'organisent chaque année les responsables de ces centres connaît aujourd'hui son couronnement dans la tenue de ce symposium international qui va permettre aux spécialistes les plus éminents de 28 pays, de confronter leurs expériences et leurs résultats, de préciser les organisations, les techniques et les indications qui peuvent conduire à de nouveaux progrès, dans la pratique de l'insémination artificielle.
Connue pourtant depuis très longtemps - on en trouve déjà mention dans les ouvrages du Moyen Age - l'insémination artificielle ne s'est développée en fait qu'à partir du XIXème siècle, le plus souvent d'ailleurs dans une demi clandestinité.
L'application des techniques de congélation à la conservation, en médecine vétérinaire puis humaine, en ont transformé la pratique et, depuis la première grossesse obtenue en 1953, par ce moyen, par le Professeur BUNCHE et le Professeur SHERMAN qui sera des vôtres aujourd'hui et auquel je tiens à rendre un hommage particulier, l'utilisation de ce procédé s'est généralisée. Elle l'a fait, alors même que la demande, du fait de la diminution des possibilités d'adoption et de l'évolution des moeurs ne cessait d'augmenter, et, dans le monde, se sont créés ces banques qui ont modifié considérablement les données du problème.
Elles ont permis, en effet, de dissocier dans le temps et dans l'espace, le don de son utilisation et d'en préserver plus aisément le secret. En ouvrant aussi les nouvelles possibilités d'intervention, elles ont fait apparaître de nouvelles difficultés. Le progrès scientifique, en effet, s'il a conduit à la maîtrise de la technique, à plus de garanties au plan médical et génétique, n'a pas pour autant fourni de réponses aux multiples problèmes psychologiques, moraux et juridiques que pose la pratique de l'insémination artificielle.
Dans ce domaine, plus que dans tout autre pratique médicale se vérifie la réflexion du biologiste Jean ROSTAND : « la science a fait de nous des dieux avant même que nous ne méritions d'être des hommes ».
Cet acte qui interfère dans les mécanismes intimes de la transmission de l'espèce, cette intervention qui va transformer la vie d'un couple ne peut être en effet dissociée, quel que soit la référence morale à laquelle on se rattache, de sa finalité la naissance d'un enfant, auquel il importe, non seulement de donner les conditions d'un développement physiologique satisfaisant, mais aussi celles d'un développement affectif et un statut social.
De ces interrogations, de ces difficultés, des limites de ce pouvoir dont ils disposent sur la création d'un nouvel individu, médecins et biologistes sont conscients. Le programme de votre symposium en témoigne, qui associe dans ses travaux, aux scientifiques de diverses disciplines, de hautes personnalités religieuses de différentes confessions et des spécialistes du droit, des sciences sociales et de l'éthique médicale.
L'administration sanitaire de son côté ne pouvait se désintéresser des problèmes techniques et humains posés par ces interventions. Le ministère de la santé et de la famille a toujours été sensibilisé aux difficultés, à la détresse des couples qui, pour des raisons diverses, médicales, thérapeutiques ou accidentelles ne peuvent avoir l'enfant qu'ils souhaitent.
Il s'est attaché à développer les recherches fondamentale et appliquée, à multiplier les consultations de lutte contre la stérilité et les consultations de génétique dans des programmes de protection maternelle infantile, à donner aux praticiens, dans les établissements hospitaliers la possibilité d'exécuter les investigations biologiques et les techniques chirurgicales les plus élaborées.
Dans cet esprit, il a suivi attentivement et encouragé la création des CECOS dans les centres hospitaliers universitaires pour que toutes garanties techniques et éthiques soient apportées à ceux qui avaient recours à l'insémination artificielle comme palliatif d'une stérilité masculine.
Une loi promulguée en juillet dernier a prévu par ailleurs la prise en charge intégrale par la sécurité sociale des frais afférents au diagnostic et au traitement de la stérilité, y compris au moyen de l'insémination artificielle, afin que des considérations financières ne puissent empêcher ou limiter l'accession aux soins. En effet, les inégalités en cette matière sont particulièrement insupportables.
Si les problèmes sanitaires et financiers sont désormais réglés pour l'essentiel dans notre pays, l'insémination artificielle continue à poser de très difficiles problèmes juridiques qui touchent au droit de la personne et de la famille en ce qu'il a de plus essentiel et qui nous obligent à réfléchir aux fondements philosophiques et sociologiques de nos législations.
Ces problèmes ont, vous le savez, retenu l'attention des parlementaires et du gouvernement français. A l'issue des travaux d'une commission spécialisée, une proposition de loi, a été déposée au sénat par les sénateurs CAILLAVET et MEZARD en vue de la reconnaissance dans le droit français de l'insémination artificielle comme moyen de procréation. Ces dispositions sont actuellement examinées par les ministères chargés de la Justice et de la Santé avant une discussion devant le Parlement.
L'Europe, comme la France, n'est pas restée indifférente à ces questions. Dans l'esprit qui a guidé la résolution du Conseil de l'Europe sur l'harmonisation des législations des Etats membres relatifs aux prélèvements, greffes et transplantations d'origine humaine, un projet de recommandation sur l'insémination artificielle des êtres humains vient d'être préparé par un comité mixte d'experts.
On ne peut considérer que ce projet qui n'a pas été encore examina par le comité des ministres ait une forme définitive ni préjuger de son adoption.
Il témoigne cependant de l'intérêt que tous les Etats du Conseil de l'Europe portent à la définition d'une législation dans ce domaine et à l'établissement de règles communes précises. Ces règles tendent, tout en préservant les libertés individuelles, à assurer les conditions les plus appropriées au bien-être du futur enfant.
La tenue de ce symposium international alors même que s'élaborent ces travaux, que se précisent les doctrines, me paraît du plus grand intérêt.
Je ne doute pas que les échanges, les confrontations que vont permettre ces journées ne soient particulièrement enrichissantes et n'apportent, dans un domaine chargé d'aussi lourdes implications scientifiques, juridiques et morales pour les individus, comme pour les sociétés, une contribution particulièrement éclairée.