Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 18 novembre 1999, sur l'ordre public et l'action de la gendarmerie en Corse, et la préparation du colloque du courant de réflexion rocardien intitulé "L'action pour le renouveau socialiste".

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle : A lire les rapports parlementaires, des sénateurs et des députés, on a le sentiment que malgré les moyens mis en œuvre – police, justice, gendarmerie – la Corse reste le Far-West.

Alain Richard : C’est en tous cas une zone dans laquelle certaines formes de délinquance se sont développées. Il faut du temps et de la méthode pour arriver à les surmonter. En effet, il y a beaucoup d’effectifs, aussi bien de police que de gendarmerie. Beaucoup d’enquêtes sont en progrès. Elles ont déjà confondu et elles vont confondre un certain nombre de responsables soit de trafics ou de rackets – parce qu’il y a aussi cet aspect-là – soit d’attentats.

Olivier Mazerolle : Les sénateurs disent qu’il n’est pas concevable qu’au Gouvernement, personne n’ait vu que le préfet était prêt à déraper.

Alain Richard : Je n’ai pas encore lu ces rapports. Je crois qu’il y a quand même une partie, dans la tonalité des uns et des autres je dois le dire – opposition quand c’est le Sénat, parlementaires de la majorité quand c’est l’Assemblée – de surprise feinte et d’indignation légèrement construite.

Olivier Mazerolle : Comment expliquez-vous que les parlementaires de la majorité soient surpris ?

Alain Richard : Parce qu’ils veulent montrer qu’ils ont une capacité de contrôle, de mise en cause, d’interpellation. Cela fait partie des réalités du Parlement et, parfois, on force un peu le trait.

Olivier Mazerolle : Lorsqu’ils disent que les gendarmes ne sont pas très efficaces, d’abord, ils n’apprennent rien parce qu’ils sont tous étrangers à la Corse ; et ensuite, lorsqu’il arrive quelque chose, ils ne songent qu’à régler leurs comptes.

Alain Richard : Non, ça n’est pas cela qui est écrit.

Olivier Mazerolle : Ah si, si !

Alain Richard : Non, non, ça n’est pas cela qui est écrit. Il y a en effet le fait que les gendarmes sont en Corse, lorsqu’ils font leur service là-bas, par mutation, et qu’il n’y a pas de prise en compte particulière d’un souhait de gendarmes d’origine corse de servir en Corse. Peut-être cela limite-t-il un peu leur capacité d’acquérir, je dirai, de l’information, parce que tout le monde sait qu’en Corse, les citoyens se confient peu aux forces de sécurité. Il faut malgré tout rester dans ce système. Je ne vois pas pourquoi on pratiquerait une  préférence nationale ou une préférence régionale dans un service public de sécurité. D’autre part, l’organisation de la gendarmerie est comme partout, c'est-à-dire qu’elle est évidemment centrée sur le canton, sur le territoire. C’est une force en grande partie rurale. Elle obtient des résultats importants.

Olivier Mazerolle : Après avoir pris connaissance des déclarations de monsieur Marion, avez-vous envie de savoir si l’assassin supposé du préfet Erignac a été informé qu’il était sur la liste des suspects ?

Alain Richard : Non, je crois que chacun s’est expliqué. De toutes les façons, c’est une procédure judiciaire, et je ne trouve pas de grande signification à ce qu’un responsable ministériel se livre à des commentaires sur ce sujet. C’est votre travail.

Olivier Mazerolle : Si un policier d’importance en accuse un autre d’avoir prévenu un supposé criminel, la justice ne devra pas être saisie ?

Alain Richard : Peut-être. Je ne vois pas pour l’instant de qualification délictueuse dans aucun des propos qui ont été tenus.

Olivier Mazerolle : Ah bon ? Quand on accuse un policier…

Alain Richard : Vous voulez sans arrêt me relancer là-dessus. Dans 24 heures, vous parlerez d’autre chose. Je considère que les uns et les autres font leur travail au mieux dans un contexte difficile. Il y a naturellement tout un tas de gens qui sont intéressés à lancer des remarques narquoises parce que cela occupe et que cela ne demande pas beaucoup de travail.

Olivier Mazerolle : Monsieur Forni est socialiste quand même ?

Alain Richard : Oui. Il est aussi parlementaire. Il a son droit de critique.

Olivier Mazerolle : Eh bien on verra si la justice estime nécessaire d’agir.

Alain Richard : On verra, mais je vous fais le pari que dans huit jours, vous parlerez de tout autre chose.

Olivier Mazerolle : Vous allez, vous, tenir un colloque au cours de ce week-end, pour relancer le courant rocardien qui s’appelle « L’action pour le renouveau socialiste. » Pourquoi relancer ce courant ?

Alain Richard : Le relancer ? D’abord nous fonctionnons ensemble en termes de réflexion collective. Mais en effet on essaye de le faire de temps à autre, au service, je crois, de tous les socialistes, de manière plus ouverte, plus visible. Un grand parti comme le Parti socialiste a des responsabilités assez étendues dans la vie politique française parce que les électeurs l’ont choisi. On ne s’attribue pas à nous-mêmes des responsabilités majeures, c’est simplement le fait de la démocratie et d’un parti qui est naturellement divers et qui se donne, peut-être plus que les autres – c’est notre tradition, c’est notre tempérament -, l’exigence de produire des idées, d’essayer de trouver des solutions. Elles sont toujours critiquables, elles peuvent être maladroites, mais trouver des solutions nouvelles à des problèmes de société. Il est clair qu’avec l’évolution de l’économie, avec de nouvelles exigences qui arrivent avec la montée des nouvelles générations, la définition même de ce qu’on appelle « justice sociale », le pourquoi les gens s’engagent à gauche, demande un nouveau travail de réflexion. C’est là-dessus que nous allons travailler dans le nouveau contexte économique. Vers quel compromis social devons-nous aller pour que  le besoin de sécurité, le besoin de solidarité, le besoin de soutien aux moins favorisés continue à porter son effet comme cela a été le cas avec la tradition social-démocrate.

Olivier Mazerolle : On dit beaucoup « la gauche plurielle » mais alors, comme ça, les courants qui s’additionnent les uns aux autres, ça va devenir hyper pluriel ?

Alain Richard : Cela vous intéresse que des nouvelles idées arrivent ou pas ?

Olivier Mazerolle : Oui, mais pourquoi…

Alain Richard : A votre avis, d’où peuvent-elles venir ? De gens qui se réunissent pour réfléchir, qui ont entre eux un sentiment de solidarité et de communauté de valeurs et d’idées, et qui essayent de produire. Cela ne peut être que comme ça. Vous avez eu à un moment donné – enfin nous avons eu à un moment donné – un sentiment de relations caricaturales entre les familles de pensée au sein du Parti socialiste. C’était le Congrès de Rennes il y a neuf ans. Habituellement, on nous rend la justice que, depuis plusieurs années maintenant, et grâce à Lionel Jospin puis à François Hollande, les relations entre les différents groupes d’affinités dans le Parti se sont apaisées, que nous vivons correctement ensemble, et que notre parti fait preuve de cohésion. Cela n’empêche quand même pas d’amener des idées.

Olivier Mazerolle : Votre réflexion…

Alain Richard : Je suis même un peu étonné d’avoir à m’en justifier, franchement.

Olivier Mazerolle : Votre réflexion va beaucoup tourner autour du RMI. Certains ont écrit : « C’est un peu un piège à pauvreté, donc il faut le transformer… ».

Alain Richard : Oui, c’est une réflexion qui est maintenant née depuis plusieurs années. Il faut soutenir les gens qui n’ont pas de source de revenus. Le problème devant lequel on est maintenant, c’est que la différence financière entre le RMI et un travail au SMIC – surtout s’il est à temps partiel – est très faible, elle n’est pas très incitative. De plus, tombent, à partir du moment où vous travaillez, une série d’autres avantages ou d’exonérations qui sont accrochés au RMI. Il faut donc essayer de travailler sur ce problème de transition. Des économistes ont fait remarquer que le moment où l’on avait un taux de prélèvement réel, de plus de 50% sur son revenu, ce n’était pas seulement quand on dépassait 80 ou 90 000 francs par mois, c’est aussi quand on passait des 2 600 francs du RMI aux 5 000 francs du SMIC. Donc, il faut que nous travaillons sur des mécanismes de soutien financiers, comme cela existe d’ailleurs dans d’autres pays, on essaye de s’inspirer aussi de ce qui se passe ailleurs en Europe. Par exemple, d’avoir un système de soutien aux gens qui partent du RMI et qui se mettent au travail à faibles revenus.

Olivier Mazerolle : Un soutien dégressif en fonction des revenus.

Alain Richard : Absolument, c’est une des formules sur lesquelles on réfléchit. On réfléchit aussi, par exemple, à l’ensemble des conséquences du vieillissement sur les mécanismes de solidarité sociale. Il y a le problème de l’équilibre des retraites, et il y a aussi, par exemple, le problème des conditions d’emploi des salariés âgés. Il n’est pas très facile de poursuivre sa carrière, de suivre une formation, d’évoluer professionnellement en France, quand vous avez 58 ans. Bon, cela n’est probablement plus très cohérent par rapport à notre problème d’équilibre démographique et au niveau de santé et de combativité de beaucoup de salariés moins jeunes.

Olivier Mazerolle : Permettre de poursuivre l’activité professionnelle.

Alain Richard : En tout cas il ne faut pas que les gens se sentent poussés vers la porte par une espèce de règlement social non écrit.