Interviews de M. François d'Aubert, secrétaire d’État chargé de la recherche, à RTL et dans "L’Événement du jeudi" le 3 octobre 1996, et dans "La Tribune Desfossés" le 4 octobre, sur le rôle du comité interministériel de la recherche scientifique, les mesures fiscales pour l'innovation, et sur les orientations de la recherche.

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Circonstance : Réunion du comité interministériel de la recherche le 3 octobre 1996 à Matignon (pour la première fois depuis 1982)

Média : Emission L'Invité de RTL - L'évènement du jeudi - La Tribune Desfossés - RTL

Texte intégral

RTL : Jeudi 3 octobre 1996

J.-M. Lefèbvre : Le Comité international de la recherche scientifique et technique s'est réuni cet après-midi à Matignon, sous la présidence d'A. Juppé. Il ne s'était pas réuni depuis 1982. Pourquoi ?

F. d'Aubert : Sans doute, parce qu'on n'avait pas ressenti le besoin de donner une véritable lisibilité à la politique de recherche. Je crois qu'aujourd'hui c'est nécessaire, parce qu'on approche de l'an 2000. Et puis, il faut ajouter un grand programme – nucléaire, espace, aéronautique – des programmes de compétitivité qui permettent de mieux faire le lien entre la recherche fondamentale, qui est tout à fait indispensable et où la France est très bonne, et puis l'incorporation des résultats de cette recherche dans l'industrie, dans l'économie, là aussi où il y a une demande sociale énorme, flagrante, comme les médicaments.

J.-M. Lefèbvre : Ne croyez-vous pas aussi que cette réunion était nécessaire vu le malaise qui se développe parmi le monde des chercheurs : moins de crédits, et puis cet aspect d'une recherche appliquée plutôt qu'une recherche fondamentale qui est la grande crainte ? Maintenant, il faut faire de l'argent, de la croissance ?

F. d'Aubert : Il ne faut pas ouvrir de faux débats entre recherche fondamentale et recherche appliquée. À un bout, il y a la recherche fondamentale qui est indispensable. Même un pays comme le Japon, qui passe pour un pays libéral, vient de mettre le paquet sur la recherche avec un programme énorme. Donc, il faut qu'on ait une recherche en revanche impliquée dans la société, dans le marché, des chercheurs qui soient impliqués. Quant au malaise des chercheurs, c'est vous qui le dites. Très franchement, moi, je vois des chercheurs passionnés, enthousiastes. Ce que nous souhaitons, c'est que les laboratoires aient davantage de moyens et si ça doit se faire au détriment de quelque chose, c'est des frais administratifs, c'est des frais de fonctionnement, c'est peut-être ça qui est lourd. En revanche, nos laboratoires sont extraordinairement performants, et d'ailleurs, c'est logique : nous mettons de l'argent dans la recherche. La France est le troisième pays au monde pour la recherche, avec 2,4 % du PIB, devant l'Allemagne, et la recherche publique est le pilier de notre recherche, avec d'un côté la recherche dans les grands organismes comme le CNRS ou comme l'INSERM ou comme l'INRA, et puis la recherche dans les universités.

J.-M. Lefèbvre : Ce· que vous souhaitez, en fait, c'est qu'il y ait un meilleur lien entre l'intervention, la valorisation et la commercialisation ?

F. d'Aubert : On souhaite, premièrement, que d'abord, les chercheurs puissent avoir une véritable carrière et qu'on puisse embaucher des jeunes dans la recherche. Vous dites que le budget n'est pas bon. Cette année, on va embaucher plus de chercheurs que l'année dernière. Deuxièmement, on souhaite que les chercheurs bénéficient d'avantages sinon sur le plan financier – ils sont déjà désintéressés – mais enfin, il faut aussi un peu de justice ! Quand vous avez un brevet et que vous ne touchez pas un sou de redevance, c'est quand même un peu irritant ! Donc, on a prévu que les chercheurs qui déposent des brevets, dont l'organisme a déposé un brevet, pourront avoir un juste retour sur leur brevet. Et puis, il faut qu'il y ait des entreprises qui puissent se créer, par exemple, en exploitant des brevets. C'est pour cela qu'on a créé des fonds communs de placement innovation. Et derrière tout cela, il y a l'affirmation de priorités.

J.-M. Lefèbvre : Alors, c'est quoi les priorités ?

F. d'Aubert : Il y a sept priorités qui croisent trois catégories de critères : d'abord, là où on a un bon potentiel scientifique, deuxièmement, là où il y a des opérateurs économiques qui sont forts, et troisièmement, là où il y a une demande de la société qui est très forte. Alors ça donne quatre priorités industrielles : agroalimentaires, communication et électronique, chimie de formulation et puis transports : aéronautique, terrestre, donc TGV, voitures. Et puis alors, trois grandes priorités, disons transversales : la recherche médicale avec un accent porté sur les maladies infectieuses – le président de la République en a parlé le 14 juillet. Il faut savoir qu'il y a 50 000 morts par an de maladies infectieuses dans le monde, qu'il y a des retours imprévus de maladies. Il y a d'autres maladies qui apparaissent, comme des infections nosocomiales qu'on trouve dans les hôpitaux, qui sont pour la plupart inexpliquées aujourd'hui ; il y a les prions et la vache folle. Donc, les maladies infectieuses, les biotechnologies. Nous, on a du retard. On a un bon potentiel de recherche fondamentale. On n'a que 40 entreprises de biotechnologie en France ; aux États-Unis, il y en a 14 000, en Grande-Bretagne, il y en a 150. Ça peut être des emplois, ça peut être des entreprises nouvelles. Et puis, il y a quelque chose de très important qui est la création d'un outil essentiel pour l'avenir et pour la génétique : c'est le grand centre de séquençage du génome humain.

J.-M. Lefèbvre : Justement, comment est-ce que ça va fonctionner ?

F. d'Aubert : C'est une étape importante dans le décryptage du génome, c'est-à-dire le patrimoine génétique, pour déboucher un jour sur des thérapies géniques. Mais ça, on n'y est pas encore, bien qu'il y ait déjà une quarantaine de médicaments qui puissent être utilisés dans ce domaine. Il est important de faire ce séquençage, c'est-à-dire d'identifier les gênes qui expliquent un certain nombre de maladies ou de pathologies, et ensuite, après le temps de l'explication, viendra le temps de la thérapie. Mais tout cela est long, très compliqué. Il faudra être forts sur la génétique. Cet outil de grand séquençage, qui est une sorte de petite usine qui va être installée dans la région parisienne, d'autres pays l'ont déjà et il est temps de le faire.


L'Événement du jeudi : Jeudi 3 octobre 1996

L'Événement du jeudi : Certains élus, tel Roland du Luart, sénateur républicain, membre de la commission des finances, affirment craindre, en raison de la trop grande pression fiscale, un « exode des cerveaux ». Cette crainte vous semble-t-elle fondée ?

François d'Aubert : Cette crainte ne repose pas sur des éléments sérieux. Il est faux et archifaux de prétendre que les chercheurs sont matraqués par le fisc et qu'ils s'exileraient à l'étranger ou tenteraient de le faire. L'idée de l'exode des cerveaux est une idée fausse. Notre capital en matière grise n'est ni dilapidé, ni pillé. Il nous rapporte plutôt. On dénombre, par exemple, aux États-Unis environ 3 000 chercheurs mais l'immense majorité d'entre eux poursuit des recherches ponctuelles. On en compte entre 150 et 200 qui partent là-bas pour des raisons en partie fiscales. Mais les étrangers sont plus nombreux à s'installer en France que l'inverse. C'est ne pas connaître grand-chose à cette profession que de la soupçonner d'incivisme. Si quelques grandes entreprises délocalisent pour des raisons stratégiques, les chercheurs, eux, ne sont pas des golden boys. Ils n'ont pas la mentalité traders ou show-biz.


La Tribune Desfossés : 4 octobre 1996

La Tribune : Pour favoriser l'innovation en France, que manque-t-il ?

François d'Aubert : Une culture probablement, mais surtout de l'argent. Un des moyens connus et efficaces est de favoriser le capital-risque. En ce moment, les fonds drainés par le capital-risque innovation ne dépassent guère 1,6 milliards de francs. ANVAR et banques confondus. Vingt fois moins qu'aux États-Unis pour les crédits privés ! Si un quart du dixième des crédits investis par le Crédit Lyonnais ou ses homologues dans l'immobilier avaient été placés dans l'innovation, l'économie française se porterait beaucoup mieux. Quand on voit, encore aujourd'hui, les réticences des banquiers à favoriser les produits financiers en faveur de l'innovation, on peut se poser des questions. Il faut drainer l'argent de l'épargne ou du revenu vers l'innovation.

La Tribune : Comment drainer cette épargne ?

François d'Aubert : Par des mesures fiscales appropriées, comme celles prévues dans l'article 72 de la loi de finances 1997 pour les fonds communs de placement innovation (FCPI). Ils s'inspirent du système Madelin. Pour un niveau modeste d'investissement, 37 500 francs pour une personne et 75 000 francs pour un couple, les personnes intéressées bénéficieront d'une réduction d'impôt de 25 % si elles participent à un FCPI créé par des particuliers ou une banque. Pour mutualiser les risques, le fonds regroupera plusieurs entreprises, dont 60 % sont sélectionnées comme innovantes, soit par un label de l'ANVAR, soit si elles consacrent au moins 10 % de leur chiffre d'affaire à la recherche, que l'entreprise démarre ou non.

Nous voulons établir une sorte de catalogue de ce type d'entreprises pour le mettre à la disposition des investisseurs potentiels. Ce dispositif pourra mobiliser au minimum 500 millions de francs de fonds propres et générer jusqu'à 3 000 emplois en deux ans. Voire beaucoup plus si des entreprises investissent aussi. Une entreprise pharmaceutique peut très bien être intéressée par un ticket d'entrée dans une « start up » de biotechnologie, même si elle ne bénéficie pas de déduction fiscale. L'effet peut être très démultiplicateur, comme aux États-Unis où un outil fiscal similaire a été créé il y a quinze ans avec succès incontestable.

La Tribune : Envisagez-vous d'autres mesures fiscales ?

François d'Aubert : Dans le même esprit, les chercheurs qui disposent d'un brevet pourront participer à la création d'une société pour valoriser leur découverte, en étant imposés non plus dès la première année, mais au bout de cinq ans. Des financiers français installés aux États-Unis m'ont expliqué que c'était un lourd handicap à la création des entreprises innovantes en France, alors que cet avantage fiscal existe depuis longtemps outre-Atlantique. Cette mesure est incluse dans l'article 73 de la loi de finances.

Enfin, un chercheur à l'origine d'une découverte a désormais droit à un quart des redevances déplafonnées obtenues grâce à son brevet, le reste revenant à son organisme de recherche. Et la règle s'appliquera dorénavant à tous les organismes de recherche, alors que jusqu'à maintenant, c'était le flou juridique le plus total. Le décret est sorti au Journal officiel du 3 octobre 1996. Cette mesure, dont il était question depuis une douzaine d'années, devrait encourager les chercheurs à déposer plus de brevets.

La Tribune : Pourquoi avoir réuni, hier, un comité interministériel de la recherche ?

François d'Aubert : Ce comité a réuni tous les ministres qui émargent au budget de la recherche, sous la présidence du Premier ministre. Il ne s'était pas réuni depuis 1982. Or, la place d'un pays dans le monde se mesure aussi à ce qu'il investit dans la recherche. La France ne serait pas une grande puissance participant au G7 et consultée sur tous les événements internationaux si elle n'était pas aussi une grande puissance dans la recherche. Non sans raison puisque nous y investissons 2,4 % du PNB.

Nous sommes troisième au classement mondial derrière le Japon et les États-Unis, mais devant l'Allemagne que nous avons doublé cette année, et bien loin devant la Grande-Bretagne. Nous devons le rester. Cette démarche s'inscrit dans une politique d'innovation et de valorisation de la recherche qui sont des facteurs de compétitivité des entreprises françaises sur les marchés internationaux. L'industrie allemande fait les deux tiers de son chiffre d'affaires avec des produits nouveaux et la France, à peine un tiers.

La Tribune : Quelles sont les décisions prises par ce comité pour y remédier ?

François d'Aubert : D'abord, nous avons choisi de continuer à privilégier les trois grands programmes stratégiques nationaux de la France que sont l'aéronautique, l'espace et le nucléaire, des succès incontestés de la recherche française à l'origine de puissantes filières industrielles.

La tribune : La participation à l'ordre du jour de Framatome, dans le cadre de son regroupement avec GEC Alsthom, ne risque-t-elle pas justement de mettre en péril notre savoir-faire nucléaire en matière de recherche ?

François d'Aubert : Je ne le crois pas. Nous y veillerons. Il est toujours possible de passer des accords très précis avec notre partenaire britannique GEC pour l'utilisation des centres de recherche hautement stratégiques pour la France.

La Tribune : Quelles sont les autres orientations données ?

François d'Aubert : À ces grands programmes historiques, nous avons ajouté des priorités technologiques, avec pour but affiché d'améliorer notre compétitivité économique par la recherche. Sept domaines ont été sélectionnés en tenant compte de quatre critères, l'excellence scientifique de la France dans ce domaine, la capacité économique, la demande mondiale et la demande sociale. Quatre domaines sont à dominante industrielle : les industries agroalimentaires, les transports terrestres et aéronautiques, l'électronique et les technologies de l'information et la chimie de formulation. Les trois autres priorités sont plus transversales : la recherche dans l'innovation des procédés et des produits, les technologies de l'environnement et la recherche médicale.

La Tribune : Comment avez-vous l'intention de les financer ?

François d'Aubert : Par un soutien de l'État, notamment au travers du Fonds de la recherche et de la technologie, en partenariat avec les entreprises. Des programmes fédérateurs stratégiques sur cinq ans seront définis. Ainsi, le programme Réactif pour les applications industrielles de la chimie, pour lequel une enveloppe de 1,7 milliard de francs sera débloquée entre les deniers publics et privés, et les biotechnologies avec une enveloppe de 1,5 milliard de francs. Dans le cadre de la recherche médicale, le séquençage du génome se verra attribué un financement de 80 à 100 millions de francs par an et les maladies infectieuses, 50 millions de francs par an, hors salaires des équipes de recherche mobilisées.

La Tribune : Le budget serré que vous avez obtenu pour l'année 1997 est-il à la hauteur des ambitions affichées par ce comité ?

François d'Aubert : Oui. Nous avons cherché à préserver et renforcer notre potentiel de recherche, notamment en recrutant des jeunes chercheurs. Comparé à 1996, le taux de recrutement a augmenté de 7,5 %, et nous voulons imposer sur le long terme, grâce aux nouvelles orientations définies par ce comité, la règle d'un taux de 2,5 % par an par rapport à l'effectif total des chercheurs.

Par ailleurs, si globalement le BCRD (budget civil de la recherche et du développement) est en hausse de 1,37 % – 52,3 milliards de francs en 1997 contre 53 milliards l'an passé –, le budget des différents organismes est en hausse. Celui de l'INRA augmente de 1,1 %, tout comme celui du CNRS, celui de l'INRIA de 0,97 % et celui de l'INSERM de 0,3 %. L'avenir des laboratoires est assuré par la matière grise ; les coupes budgétaires, s'il y a lieu, se feront dans les frais généraux. Les organismes de recherche doivent faire face à un problème d'organisation. Leurs structures administratives sont trop lourdes et les premiers à en souffrir sont les chercheurs.

La  Tribune : Est-ce qu'une réforme de la recherche publique est à l'étude ?

François d'Aubert : Non. Aucun changement des structures n'est à l'ordre du jour. Chacun a sa place. Mais il faut bien reconnaître que les dérapages budgétaires entre les autorisations de programme et les crédits de paiement au CNRS, par exemple, sont révélateurs des dysfonctionnements chroniques dont ont pâti les organismes de recherche, notamment pour leur gestion. En mars 1993, ces dérapages atteignaient 4,2 milliards de francs ; ils ne sont plus que de 2,9 milliards et devraient être supprimés en 1999. Les organismes de recherche doivent mieux s'organiser et mieux se coordonner. Le comité prévoit notamment la création d'un « consortium » qui réunira tous les départements des sciences pour l'innovation, des produits et des procédés, des organismes de recherche volontaires (CNRS, ONERA, INRIA…), pour éviter les déperditions d'énergie et de moyens sur un même sujet de recherche. Les centres techniques y seront associés. Ensemble, ils auront pour mission de privilégier une dizaine de filières technologiques. L'idée est de mettre en place une sorte de réseau pour valoriser la recherche, à l'instar des instituts Fraunhoffer en Allemagne. Un recentrage et une meilleure coordination des organismes de recherche sont également nécessaires à l'international.

La Tribune : Cette politique en faveur de l'innovation passera-t-elle par une redéfinition des missions de l'Agence nationale de la valorisation de la recherche ?

François d'Aubert : L'ANVAR a bien joué son rôle auprès des entreprises innovantes et la structure est très appréciée des entrepreneurs. Simplement, elle a financé des projets plutôt que des entreprises. Je pense qu'elle devrait plutôt financer des entreprises. Les missions de l'ANVAR doivent être réorientées dans ce sens, les décrets sont en préparation.