Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "L'Humanité dimanche" du 24 octobre 1996, sur le succès du candidat communiste à l'élection législative partielle de Gardanne, la mise en examen de dirigeants communistes, et sur la préparation du 29ème congrès du PCF.

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Média : L'Humanité Dimanche

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L'Humanité dimanche : Quels enseignements nationaux tirez-vous de cette élection ?

Robert Hue : Le succès d'un candidat communiste, à la fin d'une semaine où le PCF a été la cible d'attaques virulentes, constitue un désaveu cinglant pour tous ceux qui croyaient flatter la démagogie du Front national. Il montre la capacité de rassemblement du candidat communiste, au premier comme au second tour. Il ne s'agissait pas d'un duel entre les extrêmes, comme cela a été parfois écrit, mais bien d'un rassemblement des forces de la gauche, de la démocratie, de la République, face à la candidature de la haine et du racisme.

D'autre part, ce résultat exprime une certaine conception de la politique, apte à la réhabiliter. Un homme de terrain a posé les grandes questions nationales au plus près de la réalité des citoyens et ceux-ci se sont reconnus en lui. Les gens sont prêts à s'engager en politique, à condition que la politique soit proche de leurs préoccupations et qu'elle leur soit utile. Enfin, ce résultat est un succès pour la politique d'ouverture et de mutation du Parti communiste.

L'Humanité dimanche : Des communistes y lisent aussi la réussite d'une expérience de rassemblement de la gauche non socialiste, la constitution d'un « pôle de radicalité » ? Qu'en pensez-vous ?

Robert Hue : Le rassemblement au premier tour ne s'est fait ni « autour du PCF », ni « contre le PS ». Il a montré, au contraire, une gauche plurielle sans hégémonie. Il s'est traduit par une dynamique d'alternative porteuse d'une certaine idée de la gauche, d'une volonté d'ancrage bien à gauche, sur des questions concrètes. Un « pôle de radicalité » qui consisterait à unir une partie des forces de gauche dans des relations de rapports de forces. On ne construira pas une union nouvelle en la bipolarisant autour de deux partis hégémoniques. Il y a, à l'inverse, nécessité de contribuer au rassemblement de toutes les forces de progrès, en multipliant les dynamiques progressistes.

L'Humanité dimanche : Vous avez évoqué les attaques dont le PCF a été la cible. Trois dirigeants, Georges Marchais, Pierre Sotura et vous-mêmes, un dirigeant de « L'Humanité », Richard Béninger, ont été mis en examen dans le cadre d'une information judiciaire ouverte sur les relations du groupe GIFCO et de la CGE. Comment réagissez-vous ?

Robert Hue : Il y a la démarche judiciaire, que nous respectons, et il y a le fait que tout cela a été rendu public au moment de l'élection de Gardanne. Cela constitue à l'évidence une opération politique, d'ailleurs relevée d'emblée par nombre de commentateurs. Ils ont noté également le caractère disproportionné de cette mise en cause des premiers responsables du parti, avec tout ce qui s'est fait, en la matière, jusqu'à présent. La presse communiste est également visée. Il y a la volonté de porter un coup à un parti qui, aujourd'hui, mène avec la plus grande vigueur, le combat contre l'emprise étouffante du règne de l'argent. Et cela au moment où il se fait de mieux en mieux entendre sur ces questions, où un regard, de plus en plus positif, est porté sur lui.

Enfin, cela encourage un amalgame inacceptable avec les « affaires » qui se produisent ailleurs. Un amalgame qui ne peut que contribuer à favoriser le développement de la démagogie d'un Le Pen. Gardanne, c'est aussi l'échec de cette opération.

L'Humanité dimanche : Cela dit, d'où vient l'argent du PCF ?

Robert Hue : Le financement du Parti communiste est transparent, totalement original dans la vie politique française. Notre budget, environ 100 millions de francs, comprend le financement public de l'État, les cotisations des adhérents, les souscriptions et le reversement des indemnités de ses élus (voir encadré, ndlr). Le PCF est la seule formation politique en France qui se finance ainsi, la seule dont les élus versent leurs indemnités. C'est une pratique issue de la Commune de Paris, de l'histoire du mouvement ouvrier française. Son financement est aussi celui de ses militants qui cotisent, sollicitent financièrement les gens dans leur quartier ou dans leur entreprise. Quant à l'enrichissement personnel des communistes, nul ne peut y croire. Je reverse la totalité de mes indemnités d'élu. J'ai un salaire de 13 000 francs par mois, légèrement supérieur à celui de ma femme, infirmière, qui, au bout de vingt-cinq ans, gagne 12 000 francs mensuels. Tous ces chiffres sont vérifiables. On ne peut pas en dire autant d'un Le Pen, par exemple, et de ses gigantesques campagnes d'affichage régulières. Qui les paie ?

L'Humanité dimanche : En mai dernier, vous annonciez une préparation inédite du 29e congrès du PCF. Où en êtes-vous ?

Robert Hue : Nous souhaitions, en effet, une préparation totalement inédite, porteuse de la mutation communiste. J'estime qu'il se passe vraiment quelque chose de neuf. L'ensemble des communistes est animé d'une volonté de faire vivre la diversité de leurs opinions, de s'ouvrir à la société, même s'il y a parfois des insuffisances, eu égard possibilités. En mal, les communistes ont eu à définir les questions qu'ils souhaitaient discuter. En juin, à partir de leurs choix, des éléments de réflexion ont été apportés, un document a été établi, qui ne proposait pas une ligne officielle, mais exposait et confrontait les idées en toute liberté.

Aujourd'hui, la discussion a permis d'aboutir à un document qui reflète la diversité des opinions avancées et qui constitue une base commune de travail. Ce résultat témoigne d'un foisonnement d'idées et d'apports diversifiés, sans précédent. À ce jour, plus de 4 000 contributions personnelles, procès-verbaux de réunion ont été transmis et portés à la connaissance de l'ensemble du parti. S'y ajoutent toutes ces expressions diversifiées publiées par la presse communiste. Les lecteurs de l'« Humanité dimanche » le savent bien.

L'Humanité dimanche : Parmi les innovations, il y a l'audition de personnalités qui ne sont pas membres du PCF…

Robert Hue : De nombreuses personnes, spécialistes, personnalités intellectuelles, militants des mouvements associatifs et syndicaux, ont en effet, été sollicités pour apporter leur contribution. Vingt-neuf auditions ont déjà eu lieu. Là aussi, quelle richesse ! Les communistes ont pu vérifier concrètement qu'ils pouvaient apprendre, dans un échange respectueux de l'identité de chacun. Quant aux personnalités, elles ont, le plus souvent, découvert des communistes ouverts, attentifs à s'enrichir de l'apport des autres. Ces échanges ne dureront pas que le temps d'un congrès, je le souhaite vivement.

L'Humanité dimanche : Le PCF entre dans la dernière phase de préparation de son congrès. En quoi consiste-t-elle ?

Robert Hue : Les communistes sont appelés à effectuer des choix politiques, mais sans être repliés sur eux-mêmes. Il s'agit de donner un nouveau souffle à ce bouillonnement en cours, pour permettre un choix démocratique. Le texte proposé vise, d'une part, à faire bénéficier chacun d'une synthèse des idées émises et, d'autre part, à proposer un document qui exprime, dans sa cohérence, la démarche qui est la nôtre, la politique proposée à notre peuple. Il est maintenant soumis à la réflexion des communistes, comme à celle des hommes et des femmes qui le souhaitent.

Les communistes pourront approuver les analyses et les propositions, telles qu'elles sont, les enrichir, les modifier, voire les rejeter. Au final, c'est la majorité qui tranchera. Ce processus, qui peut, sans doute, être perfectible, traduit une étape nouvelle de notre démarche démocratique.

L'Humanité dimanche : Certains membres du comité national vous ont néanmoins reproché de présenter, même de façon aménagée, un texte unique, peu respectueux de la diversité.

Robert Hue : Jamais le Parti communiste n'a présenté un document de cette nature : le quart est constitué d'ailleurs, du relevé des différentes opinions. Le reste du texte est une base commune d'analyses et de propositions, reflétant à la fois les discussions qui se sont déroulées ces derniers mois au sein du Parti communiste et l'échange civique avec les citoyens. Cette riche diversité y est belle et bien présente. Elle va pouvoir pleinement s'affirmer et la souveraineté des adhérents sur la politique de leur parti est totale.

L'Humanité dimanche : Quelles sont, en quelques phrases, les grandes orientations proposées aux Français ?

Le plus neuf et le plus important est l'idée d'un projet communiste qui prend la forme de grands choix fondateurs d'une démarche que l'on peut résumer en cinq axes.

Le premier est la nécessité d'une autre orientation de l'argent pour répondre à l'urgence de l'emploi, aux besoins de la société. Il ne doit plus être détourné vers la finance, la spéculation.

Deuxième axe : la mise en place d'un « système de sécurité emploi-formation pour tous », qui soit à notre société ce que fut l'instauration de la Sécurité sociale, à la Libération. Bien sûr, au départ, les gens sont sceptiques. Mais, en d'autres temps, mon père me racontait qu'il entendait souvent, à propos des congrès payés, en 1936 : « Jamais les patrons ne nous paieront à rien faire. » On sait ce qu'il en est advenu. Aujourd'hui, dans d'autres conditions, on peut faire aboutir ce projet pour l'emploi. En prenant appui sur les technologies les plus modernes, notre société peut instaurer un autre type de rapport au travail. Ce n'est pas un simple aménagement technique, mais un véritable effort de dépassement du marché capitaliste du travail.

Troisième axe : un nouveau type de développement humain. Le progrès social doit être non seulement le but mais le moteur même du développement de la civilisation. Cela veut dire des coopérations, des services publics forts, rénovés et démocratisés, des renationalisations. Nous voulons promouvoir un nouveau développement à la française.

Quatrième axe : une France active pour une autre construction européenne. L'Europe doit devenir un horizon exaltant, un espace où l'on se rassemble pour affronter de grands problèmes communs, à travers des coopérations, des échanges entre les cultures, une Europe de paix et de sécurité collective.

Cinquième axe : nous voulons contribuer à l'invention d'un nouvel âge de la démocratie où le rôle de citoyen sera valorisé, amplifié.

L'Humanité dimanche : Vous parlez souvent de l'intervention citoyenne. De quoi s'agit-il exactement ?

Robert Hue : C'est une nouvelle manière de faire vivre un projet de société qui correspond à l'évolution d'aujourd'hui. Les citoyens veulent être entendus. Nous voulons répondre à cette aspiration. Les citoyens doivent devenir acteurs et décideurs en permanence, partout où ils vivent et travaillent. On ne peut pas parler de république citoyenne quand l'entreprise est une monarchie, quand les centres de décision ne répondent pas à l'exigence de participation. On ne peut pas avancer dans notre société si l'individu n'est pas au cœur du mouvement. Cette intervention citoyenne ne s'oppose pas aux différentes formes de démocratie représentative, mais cette dernière n'est pas au niveau des besoins. Le présidentialisme, les structures politiques existantes sont souvent loin des citoyens.

L'Humanité dimanche : Parmi les questions qui font débat au sein du Parti communiste, il y a la question de l'union et de l'éventuelle participation des communistes à un gouvernement en 1996 ?

Robert Hue : Nous voulons un nouveau type d'union, une nouvelle construction politique. Cette union et le contenu du changement doivent être fondés sur l'intervention citoyenne, et rester de bout en bout maîtrisés et contrôlés par le peuple. Cela n'exclut pas des rencontres entre formations politiques. Des groupes de travail fonctionnent, nous en avons suscité. Nous continuons à le faire. Mais c'est la mise en mouvement des exigences et des aspirations populaires, sur chaque question touchant au changement, qui doit devenir la base incontournable pour des accords politiques futurs.

L'Humanité dimanche : C'est dans ce cadre que peut être envisagée la participation des communistes à un gouvernement de la France ?

Robert Hue : L'originalité de ministres communistes serait précisément d'être des relais citoyens significatifs, contribuant à mettre en œuvre des choix politiques exigés par le peuple. Il y a un tel besoin de changer les choses dans cette société ! La condition d'une participation n'est pas que les communistes puissent mettre en œuvre toutes leurs propositions, mais il faut que la politique qui s'appliquera rompe avec celle de la droite, qu'elle soit une politique de gauche.

Notre 29e congrès vise à une prise de responsabilité des communistes dans cette étape importante que vit la France. Il peut devenir un moment important de l'apport communiste aux réponses attendues par les Françaises et les Français. Aujourd'hui, prendre ses responsabilités, c'est vouloir contribuer aux changements politiques nécessaires pour soulager notre peuple et ouvrir à la France des perspectives d'une société différente.