Texte intégral
Q. : L'accord que les partenaires sociaux ont signé le 25 avril va entraîner de nouveaux sacrifices pour les retraités actuels et surtout pour les retraités futurs. Comment gérer la pénurie ?
R. : L’accord du 25 avril 1996 a le mérite d'engager pour l'Agirc comme pour l’Arrco, les efforts permanents d'adaptation à l'augmentation régulière de l'espérance de vie. Cela se traduit par une baisse des rendements, donc par une diminution progressive des retraites à venir. Ce n'est que la conséquence d'un élément mathématique incontournable. Si avec des cotisations données, on peut verser une pension de retraite de 100 francs pendant dix ans, on ne peut, avec les mêmes cotisations, verser la même pension pendant vingt ans. Le montant global des retraites perçues n'est pas diminué, mais elles sont versées plus longtemps à un moindre niveau.
Q. : Les retraités actuels, qui viennent de descendre dans la rue, ne semblent pas avoir compris…
R. : Le pouvoir d'achat des retraites n’augmentera plus. Des efforts considérables ont été faits durant les trente dernières années. Il est indispensable de marquer une pause, d'autant que le pouvoir d'achat des actifs eux-mêmes ne progresse plus, ce qui est une des causes principales des difficultés de nos régimes.
Q. : À partir de quelle date les pensions des futurs retraités risquent-elles de diminuer ? Et dans quelles proportions ?
R. : Il n'y aura pas de baisse des pensions à proprement parler. Simplement les actifs, à partir de cette année, obtiendront moins de points que dans les conditions antérieures. C'est donc un manque à gagner à terme, et très progressivement. Celui qui a déjà trente ans de cotisations ne sera que très partiellement concerné par ces nouvelles modalités. En revanche, cela sera plus sensible pour un jeune qui commence aujourd'hui son activité professionnelle. Dans ce cas, le nombre de points acquis dans quarante ans sera inférieur d'environ 25 % à ce qu'il aurait été autrement. Mais qui peut affirmer aujourd'hui que sa pension sera inférieure ?
Q. : Les cotisations vont de nouveau augmenter. Le problème est-il selon vous régler « une fois pour toutes » ?
R. : Une retraite, c'est un nombre de points multiplié par la valeur de ces points. Qui peut affirmer que, dans quarante ans, la situation économique ne permettra pas d’allouer aux points de retraite une valeur nettement supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui ?
Q. : L’Agirc, dit-on, menacée de disparition au profit d’un système unifié Arrco-Agirc…
R. : Il ne faut pas tout mélanger et fusionner pour arriver à un grand service unique, laïque et obligatoire de retraite, tel que certains hommes politiques ont pu le proposer dans les années 80. L’Agirc et l’Arrco ne sont pas de même nature. L’Arrco est réellement un régime de retraite complémentaire à la sécurité sociale pour toute la partie du salaire inférieur au plafond. L’Agirc joue, pour les cadres est assimilés, à la fois le rôle de régime de base et celui de régime complémentaire, pour la partie du salaire supérieure au plafond. Les deux régimes ne sont pas comparables et ne peuvent pas être mélangés. Certes, telle organisation syndicale et une partie du patronat ne verraient pas cette opération d'un mauvais œil. Les partisans d'une telle opération n’agissent qu'en fonction de considérations idéologiques pour [illisible] financières pour les autres. Dans le but de porter atteinte à la notion même de cadre, par la suppression de son symbole le plus visible. Au-delà de la fusion Agirc-Arrco, ce serait l'existence même des cadres qui serait en jeu. Et c'est bien pour cela que la CFE-CGC y est opposée et s’y opposera avec toute son énergie.
Q. : L'accord prévoit également que les caisses affiliées tant à l’Arrco qu’à l’Agirc diminueront leurs frais de gestion. Comment ?
R. : Dans la mesure où des efforts importants ont été demandés aux retraités comme aux actifs ou aux entreprises, il est normal que nos institutions consentent elles aussi des efforts de productivité. Et que notre action sociale, élément annexe de la solidarité entre les générations, soit limitée. C'est pourquoi nous avons réduit sensiblement les donations de gestion. Ce qui entraînera sans doute des regroupements, des mises en commun, sur le plan informatique, notamment, et des réorientations. Est-il raisonnable, dans la crise que traverse toute notre société, d'avoir encore près de cinquante caisses Agirc et cent treize caisses Arrco regroupées en quarante-cinq régimes ?
Q. : Les partenaires sociaux ont déjà pris rendez-vous en 1999 pour faire de nouveau le point. Cela signifie-t-il que plus rien n’est sûr à partir de l'an 2000 ?
R. : Le problème des retraites ne peut jamais être réglé une fois pour toutes. C'est ainsi que les assureurs ont baissé, en 1993, la valeur des rentes acquises de 30 % en moyenne pour tenir compte des mêmes éléments d'évolution de la longévité humaine. Sans que cela fasse les gros titres des médias, comme c'est le cas pour nos régimes complémentaires. Il n'en demeure pas moins que l'accord du 25 avril pérennise les retraites complémentaires par répartition, à condition économiques inchangées. Il faut bien comprendre que l'évolution démographique, qui est systématiquement mise en avant par les détracteurs de nos régimes, n'est qu'un élément d'équilibre parmi d'autres. En fait, les paramètres de pilotage d'une retraite par répartition sont au nombre de quatre : le niveau des cotisations ; la durée pendant laquelle sont versées les cotisations, le niveau des pensions, la durée pendant laquelle sont versées les pensions. Nous n'avons jusqu'à présent joué que sur le niveau des cotisations et sur celui des pensions. Il est bien évident, compte tenu de l'allongement de la durée de la vie, qu'il faudra bien, comme dans tous les pays du monde, tenir compte de l'âge des départs en retraite. On voit bien que plus ce départ est tardif, plus la durée de cotisation s’allonge et plus la durée de versement des pensions diminue. L'effet serait considérable sur les ressources et sur les dépenses. Seule une situation catastrophique de l'emploi et le désir de masquer l'ampleur de la diminution du volume de travail disponible, notamment par l'utilisation abusive des formules de préretraite, ont empêché jusqu'à présent l'application d'une telle mesure.
Q. : Reste le problème démographique…
R. : La baisse démographique se traduira bien sûr par une dégradation du rapport entre les actifs et les inactifs et pénalisera les régimes de retraite quels qu'ils soient. Mais elle aura aussi pour effet de limiter l'arrivée sur le marché de l'emploi, et donc, sauf nouvelle dégradation, de réduire le chômage. Il sera alors possible de se reposer la question, totalement iconoclaste actuellement, de l'âge du départ en retraite.
En fait, comme toutes nos activités industrielles, économiques ou sociales, nos régimes de retraite sont très largement dépendants du niveau de l'activité, de la croissance et de la répartition des fruits de celle-ci. Si nous parvenons à endiguer la dérive du chômage et à restaurer la situation économique et sociale, nous retrouverons les marges de manœuvre nécessaires. Un million de chômeurs en moins, et tant l’Agirc que l’Arrco se retrouvent excédentaires ! Dans le cas contraire, nos retraites seraient certainement mises à mal. Mais elles ne seraient pas les seules. Il est à craindre que, dans une telle hypothèse, bien d'autres choses n'explosent dans notre pays !