Interview de M. Olivier d'Ormesson, président du CNIP, dans "La Une" de février 1997, sur son projet politique notamment le rassemblement des forces libérales, la stratégie du CNIP et ses relations avec le Front national jusqu'en 1987.

Prononcé le 1er février 1997

Intervenant(s) : 

Média : Emission Face à la Une - La Une

Texte intégral

La Une : Olivier D’Ormesson peut-on dire que vous êtes le parti libéral français ? Ça vous choque ?

Olivier d’Ormesson : Non seulement ça ne me choque pas mais c’est vrai ! Nous avons l’habitude de dire au CNIP que nous sommes conservateurs, nationaux, libéraux et européens.

La Une : Est-ce que pour vous le libéralisme est une idée neuve en France ?

Olivier d’Ormesson : Mon sentiment est que les valeurs de liberté et d’économie de marché sont des idées éternelles. Ce ne sont pas des idées nouvelles, ce ne sont pas des idées anciennes, ce sont des idées éternelles. Donc il est évident qu’il faut les adapter aux circonstances et à l’évolution des sociétés.

La Une : Vous venez de prendre la présidence du CNIP, quel est votre projet politique ?

Olivier d’Ormesson : Nous sommes décidés à rassembler les forces de ce pays qui sont attachées aux idées conservatrices dans toute la noblesse du terme. C’est-à-dire attachées aux valeurs traditionnelles, au respect de l’histoire de ce pays.

Nous sommes extrêmement frappés, à la fin de ce siècle, de voir à quel point la société française se meurt de l’ignorance et de l’inintelligence de son histoire. Voilà le côté valeurs traditionnelles de droite.

Mais nous voulons aussi rassembler tous ceux qui pensent que le véritable progrès des citoyens réside dans une renaissance du libéralisme.

Quant à nous au sein du CNIP, nous soutenons que nous ne sommes pas dans un régime libéral.

La Une : De quelle période date cette dérive « sociale-démocrate » ?

Olivier d’Ormesson : Il y a très longtemps qu’il n’y a plus de gouvernement libéral. Ces 14 dernières années sont là pour le prouver. Et même bien avant. Il y a eu un choix à la Libération. Nous aurions pu nous engager dans une véritable politique libérale.

Nous ne l’avons pas fait parce que des valeurs fondamentales avaient été abîmées pendant l’Occupation. Travail Famille Patrie sont des valeurs fondamentales mais elles se sont trouvées gâchées. C’est tellement vrai que l’Italie qui sortait du « national-socialisme » ou du socialisme national, par contrecoup a fait une véritable politique libérale. Elle pouvait le faire, parce qu’elle le faisait en retour d’un passé très socialisant, qui était celui du fascisme.

Nous nous sommes trouvés dans la situation inverse. Puis il y a eu des essais de retour au libéralisme. Je pense au retour d’Antoine Pinay dans une conjoncture où la monnaie était effondrée. Il n’y avait plus aucune confiance et d’un seul coup, cet homme a réussi à rétablir la confiance et la valeur de la monnaie, avec l’affirmation d’une doctrine libérale.

La Une : C’est ce qu’a fait le gouvernement de cohabitation de 86 à 88 ?

Olivier d’Ormesson : Votre question est pertinente. Je ne citerai qu’un seul exemple à ce propos. Nous venons tous d’être préoccupés de décisions du gouvernement face à des chauffeurs en colère de consentir la retraite à 55 ans pour faire cesser une grève. C’est une faute lourde de conséquences. Édouard Balladur pour sa part en 1993, avait pris comme axe la prolongation de l’âge de l’activité comme l’une des mesures qui permettrait de redresser l’économie.

La Une : Est-ce que la France est un pays à dominante socialiste ?

Olivier d’Ormesson : Il y a surtout aujourd’hui une langue de bois, une désinformation.

Là, je tiens à vous rendre hommage. J’ai lu vos premiers numéros et ils m’impressionnent par la qualité des personnalités que vous interviewez. Mais aussi par la vigueur de votre pensée et le courage de vos écrits.

Cela dit, j’aimerais revenir un peu en arrière parce qu’il y a deux noms qui n’ont pas été prononcés.

Souvenez-vous du choc aux présidentielles entre Alain Poher et Georges Pompidou. Deux libéraux. À cette époque le candidat socialiste était Defferre. Il a fait 5 % des voix. Ce qui prouve que la France était tout à fait prête au libéralisme. Ce qui a permis à Pompidou une fois qu’il a eu remporté les élections de faire une politique libérale. Il a industrialisé la France à cette époque-là et a conduit l’Europe vers l’entrée de l’Angleterre, ce qui était une démarche libérale également. Ce qui prouve qu’il y a des moments donnés où ce pays est absolument prêt à basculer vers le libéralisme. Or nous avons le sentiment qu’actuellement il est prêt à épouser nos thèses et donc à renaître avec une âme libérale. Il est en train d’épuiser les « délices » de la social-démocratie qui a succédé au socialisme.

La Une : Les Français ne sont-ils pas « drogués » d’assistanat et de cette aide de l’État protecteur ? Est-ce qu’il sera facile d’en sortir ?

Olivier d’Ormesson : Dans mes fonctions de maire, je vois la plupart du temps mes concitoyens qui viennent me demander de rentrer dans mon administration parce que c’est la sécurité ! Il faut bien dire que nous avons habitué les Français à l’assistanat.

Si vous voulez vraiment une renaissance économique dans ce pays, elle ne se fera qu’avec une politique libérale.

Il n’y aura pas renaissance économique s’il n’y a pas de politique libérale. Il y aura simplement l’installation dans une politique de morphine, plus ou moins accentuée.

Par conséquent, l’avenir est aux solutions courageuses, et je crois que le retour du CNIP sur la scène politique arrive à son heure.

J’écoutais hier soir un débat sur l’emploi. Mais c’était désespérant : il n’y avait que des intervenants qui réclamaient la retraite à 55 ans ! Moi, j’ai 78 ans je suis heureux d’être accablé de travail. Le travail, c’est la vie ! La retraite c’est « la mort lente », c’est dur.

Alors, pourquoi ces gens veulent-ils la retraite ? C’est d’abord parce qu’ils ont peur du lendemain. Il n’y a plus de sécurité du jour ni du lendemain. Et par conséquent, ils sentent leur situation tellement menacée qu’ils se disent : « Au moins si j’ai la retraite, j’ai quelque chose d’assuré ».

Et puis, il y a ce sentiment aussi, qu’est associé à la retraite un certain nombre d’avantages sociaux pour l’éternité. Mais ça c’est parce que l’on a envahi leur tête de raisonnement qui sont faux.

Je sus extrêmement frappé par l’ignorance sur l’économie du peuple français. C’est ce qui fait que le débat est faussé parce qu’il faudrait réapprendre l’économie de marché ou ses grandes dates.

J’ai connu l’époque du certificat d’études et je récompensais dans ma commune des élèves qui connaissaient leur grammaire par cœur, qui ne faisaient pas une faute d’orthographe, qui savaient faire une règle de trois… Quel bachelier aujourd’hui ferait une dictée sans faute ? Donc il y a un problème d’éducation.

Les Français n’ont pas de bonnes données économiques. On leur parle de sécurité sociale tous les jours, et on ne peut plus leur donner la sécurité. Donc on leur ment tous les matins. À tel point que les hommes politiques pour se faire élire sont obligés de mentir.

Et quand j’entends le Parti socialiste redéfinir son programme pour les prochaines législatives, je dois dire que les bras m’en tombent. Ils vous expliquent que ce sont les municipalités qui vont donner du travail aux jeunes. Allons, ce n’est pas sérieux ! ce pays n’est pas sérieux sur le plan économique.

La Une : Alors quel est le principe de base du CNIP ?

Olivier d’Ormesson : Nous voulons faire rentrer des capitaux. Nous partons du principe que la politique de fiscalisation et d’imposition de ce pays fait fuir les cerveaux et les capitaux.

La Une : Est-ce que la France doit devenir un paradis fiscal ?

Olivier d’Ormesson : Ce serait l’idéal si elle l’était. Aujourd’hui c’est l’inverse, c’est l’enfer pour les capitaux et les grandes fortunes. Dominique de la Martinière, qui n’est pas un sot, écrivait dans son livre « Le naufrage de la fiscalité » : « J’ai voté contre Maastricht, mais les Français ont choisi la suppression des frontières. Alors il faudra être logique. On ne peut pas taxer à 56 % des revenus ce qui est taxé à 40 % à New York ou à Londres ! » Et il ajoutait : « il faut cesser l’hémorragie ! ». Dans un récent débat sur l’ISF, à l’Assemblée nationale on a vu le désordre des esprits et de même au Sénat puisqu’ils ont suivi.

Conséquence directe : les capitaux, les sièges sociaux pour une bonne centaine de grandes entreprises privées et de nombreux cadres, ont fui à l’étranger avec l’aide de la législation européenne, puisque ces mêmes sièges sociaux se retrouvent à Francfort, à Londres, à La Haye ou à Copenhague !

La Une : Alors, politiquement aujourd’hui, pour donner un nouveau souffle au CNIP, n’avez-vous pas intérêt à vous allier à Madelin, Villiers ou Pasqua ?

Olivier d’Ormesson : Vous avez employé un mot que j’aime. C’est le mot « alliance ». Il ne dit pas « application d’une souveraineté », ni « application d’idées ».

Il dit alliance entre deux formations, entre deux idéaux, entre deux personnes.

Il y a alliance possible avec ceux qui peuvent nous rejoindre sur les trois points essentiels qui sont l’objet de notre combat de demain.

Sur le plan du libéralisme, rien ne nous sépare d’Alain Madelin. Au contraire, nous estimons que c’est un des esprits les plus brillants de sa génération. Nous le considérons comme un chef politique que nous pouvons suivre dans ce domaine et avec lequel nous pouvons nous entendre.

Mais le libéralisme a besoin d’ordre et d’« écluses ». Nous savons que ce pays revient toujours à l’ordre et à l’autorité, parce qu’il en a le goût naturel et l’instinct.

Cela nous conduit à vouloir nous entendre avec Charles Pasqua et « Demain la France ». Pourquoi ? Parce que Charles Pasqua est aujourd’hui la personnalité en France qui incarne l’ordre et l’autorité. Il nous faut des alliances politiques et dans ce domaine.

C’est très clair : nous cherchons une alliance avec Charles Pasqua.

Et puis il y a ceux qui, tout en étant des libéraux comme nous, ont des soucis des intérêts privilégiés ou essentiels de la France.

Je puis vous dire par exemple, que lorsque Philippe de Villiers défend la préférence communautaire, je me retrouve avec Philippe de Villiers. Car effectivement il n’y a pas de politique agricole commune en Europe, sans préférence communautaire. Et donc sans écluse contre une forme de libéralisation mondialiste des échanges.

Donc nous sommes très proches de Philippe de Villiers sur le plan de l’amour de la Patrie, sur le plan de la défense des libertés.

Nous sommes proches de lui, sur les trois principes fondamentaux du traité de Rome : une unité de prix, préférence communautaire, solidarité financière.

La Une : Vous souhaitez finalement un programme commun des libéraux, des nationaux et de certains gaullistes ?

Olivier d’Ormesson : Oui, du plus grand nombre de gaullistes possible. Le RPR incarne une force politique considérable dans ce pays. Non seulement au niveau des valeurs et des idées mais également comme un facteur d’ordre qui correspond à une tradition du pays que nous respectons. Et plus de RPR nous suivront et plus nous serons heureux.

Mais Charles Pasqua incarne une figure à part. il est un des grands compagnons de route du Général de Gaulle. Il lui est resté fidèle. On ne peut rien faire sans ordre et sans sécurité.

Or, Charles Pasqua aux yeux du peuple français, incarne l’ordre et l’autorité. De même que nous souhaitons nous allier avec Philippe de Villiers, parce que nous sommes très proches, encore que nous sommes plus Européens que lui tout en préférant le terme de monnaie commune à celui de monnaie unique.

La Une : Pour continuer sur la politique, le Front national est un point important puisque vous avez été très proche de Jean-Marie Le Pen. Pour quelles raisons êtes-vous parti ?

Olivier d’Ormesson : Le FN représente environ 14 % du corps électoral français. L’extrême droite doit y représenter 3 %, pas plus. Donc il y a un vote de contestation dans l’électorat du FN.

Ce sont des gens qui sont malheureux qui rejettent la société actuelle et qui veulent une autre société. J’ai rejoint Jean-Marie Le Pen en 1984 et je l’ai quitté en 1987. La raison de ma démission a été l’affaire du « détail ».

La Une : Cette réaction est due au fait que vous avez considéré que c’était plus qu’un « mot » mais plutôt révélateur d’une croyance ?

Olivier d’Ormesson : Je suis parti du FN parce que Jean-Marie Le Pen a refusé de condamner clairement les thèses révisionnistes.

Ce qui signifie en langage clair que pour moi, les chambres à gaz ont existé et que je ne pouvais pas continuer à lutter auprès d’un homme qui, sur ce point, avait une vue différente des choses que ma propre conscience. C’était un problème de conscience parce que, à ce moment-là, je cautionnais une déviation de l’histoire moderne en y associant mon nom. Cela m’était rigoureusement impossible et inacceptable.

Ma démission n’a pas été motivée par un différend de personnes, mais lorsque je me suis rendu compte qu’il y avait une divergence de point de vue fondamentale, capitale, sur ce point de l’histoire. Je ne pouvais pas associer mon nom à cette déviation. Car c’est une déviation !

La Une : Est-ce que vous estimez qu’à un moment, la droite parlementaire était en position de passer une alliance avec le FN ?

Olivier d’Ormesson : J’ai toujours considéré que mon rôle auprès de Jean-Marie Le Pen était d’insérer son mouvement dans les mouvements de la majorité dite « de droite » et qui se trouvait d’ailleurs être – à cette époque – dans l’opposition puisque les socialistes étaient au pouvoir.

Quand j’ai quitté le FN, j’étais très avancé dans mes conversations dans cette voie. J’ignore si j’aurais réussi, mais ce que je sais c’est en 1987, j’avais des interlocuteurs qui étaient des personnalités importantes du RPR et de l’UDF, et que nous parlions du nombre de sièges qui seraient donnés au FN à l’Assemblée nationale. Non pas de sièges mais de circonscriptions plutôt.

Tous ceux qui m’ont côtoyé et qui ont suivi mon action à ce moment-là, savent très bien que je travaillais à réinsérer Jean-Marie Le Pen dans la majorité.

J’ai accepté d’être le président de son comité de soutien, à sa première candidature aux élections présidentielles. Et dans mon esprit, il était évident qu’il y aurait report des voix sur le candidat de droite le mieux placé au premier tour. Nous devions ainsi sceller une alliance qui aurait permis à Jean-Marie Le Pen et un certain nombre de membres du FN de rentrer au gouvernement. Oui ! Donc il est certain que 1987 a été un tournant radical pour la vie du FN.

La Une : Les leaders de la droite, Jacques Chirac pour le RPR et Raymond Barre pour l’UDF, d’après vous, cautionnent cette possibilité d’alliance avec le FN ?

Olivier d’Ormesson : Ce que je peux vous dire c’est que j’avais des interlocuteurs dans chacun des deux partis, je peux vous donner les noms de ces deux personnes.

L’un était Jacques Soustelle d’une part, et l’autre était Antoine Pinay lui-même, d’autre part. Ces personnes voulaient nous réinsérer dans le dispositif national.

La Une : Estimez-vous que ce dispositif aurait très bien pu aller jusqu’à son terme s’il n’y avait pas eu l’affaire du détail ?

Olivier d’Ormesson : Effectivement, je pense que si Jean-Marie Le Pen avait écouté certains des hommes qui l’entouraient et moi-même, aujourd’hui le FN aurait une situation au sein des formations nationales.

Et je pense qu’il s’est enfermé dans une stratégie qui est totalement différente de la mienne. Ma stratégie a échoué à cause de cette déclaration sur le détail et de ce que cache cette déclaration !

La Une : Qu’est-ce que vous auriez envie de dire à monsieur Le Pen ?

Olivier d’Ormesson : Aujourd’hui, je pense que nos routes se sont séparées, j’en ai éprouvé une énorme tristesse. Je ne vois pas ce qui pourrait permettre de nous retrouver dans le même sillon. Ou alors, il faudrait que ce soit lui qui nous prouve qu’il revient vers nous. Mais il faudrait qu’il condamne avec la même sévérité les atrocités nazies et qu’il reconnaisse l’existence des chambres à gaz.

La Une : La technocratie est-elle une explication de l’inertie française d’après vous ?

Olivier d’Ormesson : Nous sommes très frappés que les gouvernements successifs n’aient à proposer aux Français que d’ajouter sur les feuilles de paie, des lignes supplémentaires pour faire face aux divers déficits.

Par exemple l’impôt sur le revenu : demain on pourrait relancer le bâtiment si on voulait décider d’un grand effort.

On permet à l’ensemble des Français de défalquer de ses revenus toutes dépenses concernant une construction, une réparation ou une rénovation dans un immeuble, un appartement ou une maison. Sur présentation de factures contrôlées par un architecte. C’est le cas des propriétaires de monuments historiques. Pourquoi ne pas l’étendre aux particuliers. Du jour au lendemain on fait naître des chantiers partout et vous évitez le travail au noir puisque ça serait sur présentation d’une facture.