Texte intégral
RTL : Partagez-vous l'avis des commentateurs qui, pour la plupart, considèrent que les États-Unis ont subi une défaite dans cette affaire irakienne ?
F. Hollande : Personne n'a subi de défaite. Je pense qu'il y a une victoire, une seule, c'est celle de la paix, c'est celle de la diplomatie ; c'est celle du dialogue. Maintenant, il ne faut pas non plus passer d'un excès à l'autre. Ce n'est pas parce qu'hier, il y avait des perspectives de conflit et qu'on la redoutait, cette perspective, qu'aujourd'hui il faudrait dire : tout est acquis. Beaucoup va dépendre aussi de la volonté de l'Irak d'appliquer un accord que l'on ne connaît pas encore dans le détail, mais qui doit être celui de l'accès aux sites dits présidentiels, accès qui permettra de connaître l'armement dont dispose aujourd'hui l'Irak. Donc, il ne faut pas tomber dans un optimisme béat, pas plus qu'il ne devait y avoir hier de pessimisme guerrier.
RTL : Mais le Président Clinton a laissé entendre que si, précisément, cet accord n'était pas respecté, il y aurait une frappe américaine et cette fois-ci sans recourir à une autorisation de l'ONU.
F. Hollande : Ce n'est pas notre position, vous le savez. Nous souhaitons que ce soit l'ONU parce que c'est dans ce cadre-là que s'est fait le précédent conflit. C'est dans l'ONU que nous avions décidé qu'il y aurait une intervention armée. Cela a été le conflit de 1991. Les États-Unis se considèrent aujourd'hui désengagés par rapport à l'ONU, ce serait une faute. Il faut rester dans le seul cadre qui vaille au plan international, de la légalité internationale c'est-à-dire l'ONU.
RTL : Même si l'accord n'est pas respecté ?
F. Hollande : Il faudra revenir vers l'ONU et obtenir de l'ONU une possibilité d'intervention.
RTL : Dans cette affaire, la France a joué un très grand rôle avec le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères. Est-ce que cela prouverait que contrairement à ce que l'on pensait, en période de cohabitation, la France n'est pas affaiblie ?
F. Hollande : La France n'est pas affaiblie dès lors qu'elle est unie. Elle a été unie, c'est-à-dire que toutes les forces politiques, c'est-à-dire tous les pouvoirs publics se sont retrouvés sur la seule position juste - à nos yeux - de Français, à savoir : faisons prévaloir la solution diplomatique par rapport à toute autre issue. Et je pense que la cohabitation, comme on le dit, a fonctionné comme elle aurait pu fonctionner dans un autre cadre, c'est-à-dire que nous aurions pu voir un Président de la République et un Premier ministre de même famille politique prendre la même position. Il s'est trouvé qu'il y avait un Président de la République de droite, un Premier ministre de gauche mais qu'il n'empêche que la France n'avait qu'une seule et même position. C'est ce qui a peut-être donné à la France la voix qu'elle a pesée, utilisée tout au long de la période.
RTL : Mais pour que cette unité se manifeste avec éclat ne faut-il pas, justement, qu'il y ait obligatoirement cohabitation ?
F. Hollande : Ce n'est pas un système que l'on voudrait choisir à dessein. Je ne suis pas sûr que J. Chirac ait dissout l’Assemblée nationale pour se retrouver en cohabitation et peser plus lourdement dans la solution du conflit avec l'Irak.
RTL : Mais pour les Français, est-ce qu'ils ne trouvent pas à travers la cohabitation, l'expression majeure d'une unité nationale ?
F. Hollande : Je pense qu'elle peut se formaliser autrement mais il n’empêche que nous avions ce système, nous avons ce système de cohabitation. Il a été l'occasion de démontrer la position de la France. On n'a pas besoin d'être en cohabitation néanmoins pour qu'il y ait union sur des positions justes. Soyons clairs, on peut quelquefois, quand on est dans l'opposition, trouver que le Gouvernement ou le Président de la République agit bien et quand on est dans la majorité, vouloir que cela aille encore plus loin.
RTL : On le voit à travers les sondages, les Français semblent apprécier le rôle joué par le Président de la République en tant que garant de l'intérêt national. Cela a été le cas après l'assassinat du préfet Erignac en Corse et cela a été le cas dans cette affaire irakienne. Est-ce que cela va vous amener à faire plus attention à ce qu'il dit d'une façon plus générale. Jusqu'à présent, les socialistes disaient : oui, le Président parle ; c'est son rôle après tout, qu'il parle ; tout cela n'a pas grande importance…
F. Hollande : Cela dépend comment il parle et de qui parle-t-il. Lorsqu'il parle de la France pour la France, c'est bien. Il vaut mieux qu'il parle. Quand il parle du Gouvernement pour en dire - quelquefois, pas toujours - du mal, il vaut mieux qu'il comprenne qu'il n'est pas le chef de l'opposition mais d'abord, le Chef de l'État. Je remarque, mais peut-être que c'est une coïncidence, que lorsqu'il s'occupe de sa fonction, il a tendance à être plutôt reconnu comme le Chef de l'État ; lorsqu'il s'occupe d'abord du RPR et de l'UDF, il tombe, si je puis dire, au niveau de ces formations politiques, c'est-à-dire assez bas.
RTL : Quand il dit qu'il croit que les 35 heures, c'est très mauvais, est-ce qu'il se comporte en chef de l'opposition ou tout simplement en tant que garant de l'intérêt national en disant : attendez, je vous informe que selon mon avis, les 35 heures, c'est vraiment très néfaste ?
F. Hollande : Eh bien, c'est son avis mais vous avez remarqué qu'il n'a pas été suivi puisqu'il y a eu un texte sur les 35 heures et que ce texte-là correspond à la volonté de créer des emplois. Je pense que les Français font très bien la distinction, c'est-à-dire qu'ils entendent quelquefois J. Chirac parler comme Chef de l'État et ils lui en laissent tout à fait la liberté. Au contraire, il joue sur ce que vous disiez tout à l'heure à savoir le thème de l'union nationale et cela va plutôt dans le sens, en l'occurrence, en ce moment, de la paix ; tantôt, ils l'entendent comme chef de l'opposition, mais ils décryptent. Ils font de l'interprétation de Chirac sans peine.
RTL : Est-ce que ce qui vient de se passer reste également l'argument que l'on entendait parfois selon lequel, entre le Président de la République et le Premier ministre, il y en avait un de trop ? Finalement, là, le Premier ministre, on ne l'a pas entendu sur l'affaire irakienne, ce qui montre bien que le Président de la République a un rôle très précis et particulier ?
F. Hollande : Mais parce que le Premier ministre est respectueux des domaines de compétence.
RTL : Donc, il n'y en a pas un de trop ?
F. Hollande : Mais non, il n'y en a pas un de trop. On ne l'a jamais dit d'ailleurs ; on n'a jamais récusé la cohabitation. C'est P. Séguin, curieusement, qui est toujours colère quand il parle de la cohabitation ; et pour une fois, la cohabitation a bien marché et pour une fois, J. Chirac a exprimé la position de la France et comme vous le constatez, P. Séguin n'est pas content. Mais il n'est jamais content, c'est son tempérament, même quand cela marche pour le pays.
RTL : Et vous, vous avez l'air ravi. Alors comment abordez-vous les 35 heures ? Avec sérénité comme le leader du Tour de France qui se dit : bon, il reste encore quatre étapes mais cela va aller tout seul, les adversaires ne sont pas à la hauteur ?
F. Hollande : Quand on fait la course en tête, il vaut mieux ne pas être rattrapé par les adversaires ; c'est ce que l'on fait, on va le voir, pour les élections régionales. Je pense que le texte a été corrigé au niveau du Parlement. Cela a été précisé dans le sens de la création d'emploi. Je remarque que beaucoup de chefs d'entreprise aujourd'hui se sont…
RTL : Je parle des élections régionales. Vous vous dites : on va gagner des régions, tout va bien, on est en pleine forme, on est sur notre nuage ?
F. Hollande : Les élections régionales, vous savez, on n'a pas grand-chose à perdre, nous n'avons que deux régions sur vingt-deux. Cela fait douze ans maintenant que la droite gère vingt régions sur vingt-deux. Si cela ne va pas bien - et dans certaines régions, cela ne va pas bien sur le thème de l'emploi, sur l'éducation, sur la formation professionnelle -, il faut que cela change.
RTL : Si vous passez de deux à trois, franchement, ce ne sera pas un grand succès !
F. Hollande : On aura gagné 50 % de régions, vous vous rendez compte ! Et si l'on passe à quatre, on aura doublé ! »
RTL : Sérieusement !
F. Hollande : Mais c'est très sérieux.
RTL : Pour que ce soit un vrai succès de la gauche, il faut que vous gagniez au moins une des deux régions tests à savoir Île-de-France ou Provence-Alpes-Côte-d'Azur ?
F. Hollande : Il faut que l'on sorte de la situation où la droite gère vingt régions sur vingt-deux. Une région gagnée est une bonne nouvelle pour l'emploi.
RTL : Pour l'emploi précisément, N. Sarkozy, qui était à votre place, hier matin, a dit que si un jour ils revenaient aux affaires - ce qui arrivera forcément un jour…
F. Hollande : Le plus tard sera le mieux.
RTL : … ils aboliraient les 35 heures.
F. Hollande : Oui, cela confirme ce que j'ai dit : le plus tard sera le mieux. La droite n'a pas d'autres projets que de défaire ce qui a été construit depuis huit mois. Elle est contre les emplois-jeunes, elle supprimera donc ces créations d'emplois nombreuses qui ont été lancées par la gauche - 350 000 dans le secteur public local ou dans le secteur associatif. Elle est contre les 35 heures, elle reviendra donc sur un certain nombre d'accords qui ont été signés dans les entreprises et qui permettaient des créations d'emplois. Elle est contre la limitation du cumul des mandats et elle permettra à certains notables d'avoir encore plus de mandats, de titres, de fonctions et finalement de mandats supplémentaires. Et donc, la droite se met à chaque fois contre le vent du changement. Je pense d'abord que les Français jugeront sévèrement cette attitude et deuxièmement, ils nous laisseront le temps de mettre en œuvre ces réformes-là pour qu'elles soient finalement irréversibles.