Interviews de M. Jean-Paul Delevoye, sénateur et candidat à la présidence du RPR, à RTL le 27 octobre 1999 et RMC le 10 novembre, sur le financement des 35 heures ("un transfert de charges sur les entreprises") et l'actionnariat salarié, et sur l'élection pour la présidence du RPR avec le désistement de M. Renaud Muselier en faveur de M. Delevoye.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - RMC - RTL

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La France reçoit successivement les représentants d'Etat dictatoriaux : le président iranien après le président chinois. Vous avez un commentaire ?

« Je trouve tout à fait important que des chefs d'Etat puissent se rencontrer. Je suis personnellement convaincu que l’évolution des économies de ces pays feront bouger les structures politiques dans le sens d'une amélioration des systèmes démocratiques. »

Hier, il y a eu un chahut à l’Assemblée nationale autour du financement des 35 heures. Malgré le chahut, la loi est toujours là !

« Je crois qu'effectivement, derrière le chahut, il faut avoir à l’idée que, selon nous, la loi sur les 35 heures – qui est un formidable enjeu de société – est un contresens économique et un contre-progrès social. Toute augmentation du coût du travail va fragiliser notamment la main-d'œuvre non qualifiée. Ce sont d'abord eux qui vont payer la facture des 35 heures. Ensuite, vous avez dans le calcul des 35 heures, trois systèmes de financement. Premièrement, la modération salariale, et la aussi ce sont les plus bas salaires qui vont souffrir de cette modération salariale sur leur pouvoir d'achat. Deuxièmement, la collectivité : quand on regarde les comptes d'investissement, on voit bien qu'aujourd'hui il y a une accélération de l’investissement de productivité pour remplacer l'homme par la machine. C'est aussi contraire à l'emploi. Et, enfin, troisièmement, c'est la première fois que l'on vote une loi qui utilise de l'argent public pour éviter qu'elle ne détruise de l'emploi. L'augmentation de ces 100 milliards c'est en réalité un formidable transfert de charges sur un certain nombre d'entreprises. J’attire votre attention sur le fait que notamment la taxe sur les activités polluantes – dont on aurait pu comprendre qu'elle taxe ceux qui polluent pour essayer d'apporter une réponse environnementale – va représenter sur l’industrie chimique a peu près 25 % de l’investissement net de ce secteur industriel. C'est-à-dire qu'au moment où cette industrie se doit de renouveler son matériel, dont la majeure partie des capitaux est détenue par des étrangers, on est en train de pénaliser la rentabilité de ces capitaux. C'est-à-dire que je suis convaincu qu'au lieu d'avoir une réduction du temps de travail nous aurions pu réfléchir au contrat social du XXIe siècle qui était la capacité d'adapter les exigences privées aux exigences de l'entreprise, qui était une formidable capacité de négociation entre le patronat et les salariés. Cette loi – unique ! – quand vous discutez avec les petites entreprises, est inapplicable. Cela se retournera contre l'Etat contre les entreprises et contre les salariés. »

Comment expliquez-vous que dans le débat, l'opposition ait été aussi peu présente ? On a surtout entendu le Medef !

« J'entendais A. Duhamel, tout à l'heure, indiquer que le Medef égal la droite. Vous l'avez indiqué tout à l'heure, je suis en campagne pour le RPR. Je crois que le Rassemblement pour la République a vocation de montrer son originalité et de faire en sorte que ce mouvement gaulliste c'est : comment arriver à concilier l'intérêt des salariés et l'intérêt des entreprises ? »

Ce n'est pas incompatible ?

« Même les Américains sont en train de découvrir que la sécurité des profits, des capitaux, passera par la sécurisation des hommes. Comment arriver à concilier l'intérêt légitime des actionnaires et l'intérêt non moins légitime des salariés. On ne peut pas imaginer un seul instant que le capitalisme se nourrira du malheur des hommes. Il faut que nous arrivions à concilier les deux, et là, le politique – au lieu d'avouer son impuissance comme M. Jospin – se doit de poser cette question et se doit de… »

Vous avez la recette ?

« Bien évidemment ! Nous sommes en train de voir que les entreprises sont en train de faire évoluer, notamment aux Etats-Unis, le salarié comme salarié et actionnaire. Je me souviens, lorsque nous avions discuté avec Mme Notat dans un débat, qu'aujourd'hui le problème posé aux syndicats et aux politiques c'est : comment faire en sorte que la relation du revenu par rapport au travail puisse être augmentée d'une capacité de retirer une partie du profit de l'entreprise en tant qu'actionnaire pour les salariés ? Je crois que c'est une évolution de la relation sociale dans les entreprises. Nous voyons cette évolution apparaître dans beaucoup d'entreprises. »

Vous voudriez que les salariés aient un poids dans les délibérations stratégiques des entreprises, comme en Allemagne, une sorte de cogestion ?

« Bien évidemment ! Ce n'est pas un problème de cogestion. C’est un problème de responsabilisation. La vraie fracture... »

Il faut que, les salariés participent aux choix ou non ?

« Vous savez très bien que lorsque vous êtes actionnaire vous avez un pouvoir de décision. Je suis convaincu, pour ma part, qu'aujourd'hui la communauté que représente l'entreprise ne peut pas se concevoir entre les actionnaires qui ne savent même plus de quelle entreprise ils sont propriétaires et dont la variable d'ajustement est la masse salariale. Je crois que l'intérêt, je dirais même la capacité pour les entreprises, d'imaginer des investissements à moyen terme, avec peut-être des rentabilités moins fortes, passera par la capacité des salariés à. accepter cette stratégie, voire à y adhérer, parce qu'ils sont actionnaires. Quand vous regardez, aujourd'hui, General Motors... »

Ils participeront aux délibérations ?

« En tant qu'actionnaires ! »

Ils auront un poids ?

« Evidemment ! »

Donc le contrôle ?

« Lorsque vous êtes actionnaires – c'est d'ailleurs tout l'intérêt des choses – vous avez une mentalité de rapport de force qui existait entre le patron et les salariés qui va évoluer dans l'industrie et l'économie du XXIe siècle. Le salarié deviendra partenaire de l'entreprise, intéressé par sa démarche, et aujourd'hui responsabilisé. »

Que dites-vous à vos adversaires du RPR qui soulignent que vous êtes sénateur, donc vous n'êtes pas présent à l'Assemblée nationale, et que pour un leader de l'opposition c'est être un peu à l'écart, un peu pépère ?

« Ce qui m'intéresse c'est la discussion avec les militants. Je ne m'occupe pas des commentaires sur ma candidature... »

C'est un numéro de violon ! On peut être sénateur et participer à la lutte, répliquer à L. Jospin, être présent dans les grands débats nationaux ?

« L'agitation politicienne ne règle pas le problème de fond. J'entends bien sur le terrain ce qu'attendent les militants. Les militants ne veulent plus de cette politique de starisation agitée, en zapping, superficielle, Elle vent, au contraire, s'approprier des débats de fond. Je crois que l’un des objectifs, notamment une responsabilité du parti gaulliste, c'est de situer les enjeux qui vont marquer l'avenir de notre pays dans les dix ou quinze années qui viennent. Je ne fais pas de différence entre un député et un sénateur. Ce qui m'intéresse c'est un bon politique par rapport à un mauvais : celui qui pense à l'intérêt de son pays ou à sa stratégie personnelle. La capacité qu'aura le mouvement RPR de poser les véritables enjeux, les défis que nous devons relever je peux en citer quelques-uns. La capacité pour ce pays de réduire son chômage dans les quelques années qui viennent, nous sommes en train d'imaginer... »

On dit que vous êtes le candidat officiel. Vous pourriez dire à J. Chirac, par exemple : « Trois défaites en trois ans, cela fait beaucoup » ?

« Je cultive à l’égard du Président de la République une fidélité et une indépendance. »

Qu'est-ce que cela veut dire exactement cela ? « Cela veut dire simplement que nous devons cultiver le pouvoir d'impertinence, le pouvoir d'interpellation et le pouvoir de susciter les débats qui nous paraissent importants sur lesquels ensuite il rebondira pour asseoir sa stratégie présidentielle. »

Donc, un aiguillon à son égard ?

« Absolument, et une capacité pour le terrain de s'exprimer et de montrer que notre mouvement est capable de s'occuper de l'angoisse que connaissent aujourd'hui nos concitoyens par rapport à l'avenir. »

A Paris, il y a un cas Tiberi ? Il faut le régler ?

« Le principe qui doit s'appliquer sur les futurs choix municipaux doit s'appliquer à tous quelle que soit leur importance et quel que soit leur niveau. Ils doivent être guidés sur deux principes : l'efficacité, la justice. Mais aussi la moralité. »

C'est un bon candidat on pas ?

« A partir du moment où vous avez un principe d'efficacité, je n'assumerai en ce qui me concerne aucune stratégie perdante dans aucune ville de France. »

Tiberi, c'est une stratégie perdante ou pas ?

« Il appartiendra de l'analyser. »

Dites donc, c'est difficile d'y voir clair !

« Ne cédons pas à la facilité. Je suis un homme neuf dont on peut arguer que n'ayant pas participé de près ou de loin à la gestion du RPR, je peux donc avoir un regard neuf et une volonté très déterminée de faire en sorte que ce parti retrouve ambition, conquête et victoire électorale. Je ne transigerai sur aucun des principes que je viens d'évoquer. C'est-à-dire que si ma conviction, après analyse du dossier... et vous me permettrez de dire que je ne prendrai jamais de décision brutale, à chaud, rapidement, car le recul qu'a parfois un sénateur par rapport à une précipitation que peuvent avoir d'autres catégories de politique mérite que la conviction l’emporte sur la pulsion. Et dans ce domaine, ma détermination sera grande. »

Vous êtes un des candidats à la présidence du RPR. Savez-vous pourquoi et d'où vous tenez cette réputation d'être le candidat favori du Président de la République ? C'est la rumeur.

« Tout simplement parce que chacun connaît la fidélité que je lui porte, mais aussi l'indépendance que je nourris à son égard. Chacun sait aussi que dès le départ j'ai été fidèle à Chirac dès 1981, et à chaque élection présidentielle, et que j'ai pour habitude d'être fidèle à mes amis et à mes convictions. »

Ce qui n'est pas le cas de tout le monde ?

« Je n'ai pas dit cela. Je m'occupe de moi, je ne m'occupe pas des autres. Je m'occupe surtout des militants de notre mouvement et de notre pays. »

Vous avez reçu, hier, le soutien de R. Muselier, le patron de la fédération des Bouches-du-Rhône. Est-ce pour vous une aide et un appui majeur dans votre course vers la présidence du RPR ?

« Non, ce qui est important c'est le choix des militants. M. Muselier avait souhaité dès le départ, inscrire sa candidature, avec un caractère désintéressé, un soutien à la cause gaulliste et une fidélité au Président de la République. Il a estimé après avoir acquis une notoriété, après avoir bien défendu sa ville, que nos convergences étaient suffisantes pour qu'il montre son désintéressement au point de se désister en ma faveur sans rien attendre et sans rien demander. Je crois qu'il sort grandi par son geste et qu'aujourd'hui c'est aux militants à se prononcer. »

Il n'y a aucune contrepartie à son désistement ?

« Il n'y a dans ma démarche qu'une démarche militante, en tant que candidat. Cette démarche ne peut se concevoir que sans aucun calcul et sans compromission. »

Que pensez-vous du sondage CSA qui a été publié hier, et qui place Mme Alliot-Marie en tête et vous, en seconde position, loin derrière ?

« Oui, c'est quelque chose qui m'amuse beaucoup car aujourd'hui nous sommes dans une campagne d'intoxication et la seule chose dont je sois sûr que c’est en train de baisser c'est la température. Tout le reste c'est billevesée. Je vois bien que, sur le terrain, les militants sont très responsables, viennent à l’écoute des candidats, ils veulent choisir eux-mêmes, ce ne sont plus les militants godillots. Nous avons aujourd'hui tine chance dans notre mouvement, qui est de pratiquer la démocratie. Je suis convaincu que cet exercice apportera un renouveau et un dynamisme à notre mouvement. »

Vous pensez vraiment que le RPR est en train de changer ?

« Il change de culture. Nous sommes en train d'évoluer d’une culture du pouvoir vers... »

A cause de l'élection ?

« Grâce à l'élection… à une culture du débat. Je crois que vous avez assisté à une réunion, on peut se rendre compte de la pertinence des questions, de l'intérêt que les militants portent aux enjeux de société. Ils veulent aujourd'hui des politiques de conviction, ils ne veulent plus ni mépris, ni arrogance, ni petites phrases. Ils veulent des politiques qui leur expliquent – un peu comme de Gaulle – ce qu’il convient de relever comme défis pour assurer le développement de notre pays. »

Donc, « merci P. Seguin » par parenthèse ?

« Absolument. »