Texte intégral
La Tribune : 31 mars 1998
LA TRIBUNE : La France estime que le projet de réforme de la PAC présenté par la Commission européenne est inacceptable en l’état. Pourquoi ?
LOUIS LE PENSEC : Dès que j’ai eu officiellement connaissance du contenu détaillé des propositions de la Commission, j’ai voulu marquer mon profond désaccord. C’est aussi celui du Premier ministre et du Président de la République. La Commission européenne, il faut le dire, a retenu quelques bonnes idées, hélas mal traduites. C’est le cas notamment de la modulation des aides. La flexibilité donnée aux États membres pour répondre à leurs besoins nationaux est inapplicable en l’état actuel des textes. Mais j’ai surtout trois principaux reproches à lui faire.
LA TRIBUNE : Lequel ?
LOUIS LE PENSEC : D’abord une erreur de diagnostic : fonder l’orientation de la PAC sur l’idée selon laquelle l’agriculture européenne n’aurait pas d’autre vocation que de produire en masse des matières premières à bas prix repose sur une vision inadaptée des intérêts de notre agriculture. Ensuite, j’y perçois un manque d’ambition certain. Ce n’est pas une véritable réforme qui nous est proposée. C’est au mieux un simple aménagement de la réforme de 1992. On ne prépare pas l’avenir de nos agriculteurs avec des aides compensatoires massives, dont on sait qu’elles ne répondent ni à la diversité de leurs activités, ni aux attentes d’une société qui a raison de se soucier du bon emploi des fonds publics, ni aux risques que nous font courir les prochaines négociations à l’Organisation mondiale du commerce en l’an 2000. Car ce sont ces aides qui seront attaquées en premier par certains pays au cours de ce « round » à venir. Je reproche enfin un manque de pragmatisme évident. On applique la recette de la baisse des prix d’intervention – que les consommateurs ne doivent surtout pas confondre avec celui des denrées alimentaires – à tous les secteurs de la production, et ce sans discernement.
LA TRIBUNE : La France a-t-elle vocation à exporter des matières premières agricoles ?
LOUIS LE PENSEC : La vocation exportatrice d’une partie de l’agriculture française n’est pas à remettre en cause. Mais considérer que l’exportation des matières premières agricoles à bas prix, comme le blé, est la vocation de l’ensemble de l’agriculture française ou européenne est une erreur profonde. Cette vision revient à négliger ce qui fait la force de notre agriculture dans bien des secteurs, à savoir les produits à haute valeur ajoutée. Ce sont ceux-là qui contribuent le plus aujourd’hui au dynamisme de nos exportations. Qui peut souhaiter et croire, ou faire croire, que nous sommes capables de concurrencer la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou l’Argentine sur des matières premières à bas prix ? Le modèle agricole européen n’est pas celui-là.
LA TRIBUNE : Bruxelles propose de plafonner les aides directes. Ne doit-on pas raisonner plutôt en termes de subventions totales, y compris en prenant en compte les soutiens indirects ?
LOUIS LE PENSEC : Il faut, en effet, éviter de créer des mécanismes qui soient la source de nouvelles inéquités. Les différences productions bénéficient de régimes de soutien très différents. Par exemple, la production d’oléagineux ne bénéficie pas de protection douanière, de l’insuffisance des prix est compensée par des aides directes, alors que le revenu des producteurs de lait ou de betteraves est garanti par des quotas de production, des tarifs douaniers et des aides à l’exportation. En calculant le seuil de modulation des aides sur les seules aides directes, on ferait porter l’essentiel de l’effort sur les exportations spécialisées en céréales et oléagineux du Centre et de l’Est de la France, sans aborder les productions des exploitations du bassin parisien et du Nord, qui ont des productions plus diversifiées et des revenus plus élevés. Il faut donc trouver une mesure qui prenne en compte la réalité du revenu des exploitations, tout en évitant de tomber dans une trop grande complexité.
LA TRIBUNE : Sur toutes ces positions que vous venez d’exprimer, pensez-vous obtenir l’accord d’une majorité des États membres, notamment de l’Allemagne ?
LOUIS LE PENSEC : Je ne peux pas préjuger des propositions de nos partenaires. Trois éléments doivent cependant être soulignés. En premier lieu, la France entend utiliser tout l’espace de négociation à quinze. Elle ne brandira pas, seule, un illusoire contre-projet. Ce serait méconnaître les contraintes de la négociation. En second lieu, les Quinze se sont prononcés sur les principes au sein du conseil agricoles en novembre 1997. Ils s’étaient alors appuyés sur la défense du modèle agricole européen pour que l’on prenne en compte les spécificités de chaque secteur de production, tout comme la multifonctionnalité de l’agriculture. Nous nous appuierons à nouveau sur ces réalités, et la Commission devra bien nous entendre. Enfin, croyez-vous que nous serons seuls à nous préoccuper du revenu des agriculteurs, des multiples fonctions de l’agriculture, de la discipline budgétaire et de la préparation des négociations de l’OMC ? Je ne le crois pas, et je pense que nos amis allemands seront, parmi d’autres, particulièrement intéressés. En tout cas, je compte bien m’employer à convaincre l’ensemble de nos partenaires que l’avenir de l’agriculture européenne n’est pas là où la Commission le situe.
Le Républicain Lorrain : Jeudi 2 avril 1998
LE REPUBLICAIN LORRAIN : Les agriculteurs vous interpellent sur votre capacité à faire valoir, dans la négociation du « paquet Santer », les valeurs de qualité des productions agricoles. Quel est le poids réel de la France dans ce bras de fer ?
LOUIS LE PENSEC : Il ne suffit pas de dire que les propositions de la Commission sont inacceptables. Il faut aussi que la France soit une force de propositions. Lors du conseil des ministres du 31 mars, j’ai indiqué que la vocation de l’agriculture n’est pas de se lancer dans une course sans fin vers la compétitivité pour fournir le marché mondial en matières premières à bas prix. Le revenu de la majorité des agriculteurs sera nettement mieux assuré en exportant des produits à haute valeur ajoutée. Il faut aussi que la PAC prenne mieux en compte les fonctions multiples de l’agriculture : la production, bien sûr, mais aussi l’occupation du territoire, la préservation de l’environnement et la dimension sociale de cette activité.
Ce n’est pas en accumulant des aides compensatrices exclusivement assises sur les volumes de production que l’on pérennisera les soutiens publics. Il faut au contraire engager l’agriculture dans la voie du découplage des aides de la production. C’est ainsi que j’entends réorienter les propositions de la Commission sont inacceptables. Il faut aussi que la France soit une force de propositions. Lors du conseil des ministres du 31 mars, j’ai indiqué que la vocation de l’agriculture n’est pas de se lancer dans une course sans fin vers la compétitivité pour fournir le marché mondial en matières premières à bas prix. Le revenu de la majorité des agriculteurs sera nettement mieux assuré en exportant des produits à haute valeur ajoutée. Il faut aussi que la PAC prenne mieux en compte les fonctions multiples de l’agriculture : la production, bien sûr, mais aussi l’occupation de l’environnement et la dimension sociale de cette activité.
Ce n’est pas en accumulant des aides compensatrices exclusivement assises sur les volumes de production que l’on pérennisera les soutiens publics. Il faut au contraire engager l’agriculture dans la voie du découplage des aides de la production. C’est ainsi que j’entends réorienter les propositions de la Commission.
LE REPUBLICAIN LORRAIN : Votre projet de Loi d’Orientation agricoles paraît suspendu aux négociations de la réforme de la PAC. Pensez-vous pouvoir maintenir votre idée de « contrat territorial » destiné à garantir la mission d’intérêt général de l’agriculture ?
LOUIS LE PENSEC : Ce nouvel outil sera proposé à tous les agriculteurs dès 1999. La loi d’orientation n’est pas un exercice hexagonal qui viendrait corriger les effets négatifs de la PAC réformée. C’est en s’appuyant sur l’exemplarité de la loi d’orientation et de son contrat territorial que la France pourra peser sur les négociations européennes.
LE REPUBLICAIN LORRAIN : La filière ovine lorraine offre d’intéressantes possibilités de diversification, notamment pour les jeunes. Quelle incitation l’État peut-il proposer en ce domaine ?
LOUIS LE PENSEC : L’État a fait des efforts importants pour inciter des jeunes à s’installer en production ovine. Les crédits engagés dans le cadre du contrat de plan État-Région Lorraine ont ainsi été complétés, à hauteur de 6,4 MF, afin d’aider les éleveurs, et plus particulièrement les jeunes, à rénover les bâtiments d’élevage. J’entends poursuivre cet effort. Encore faut-il que les jeunes éleveurs soient attirés par cette production.