Texte intégral
Le délai de six mois suivant une élection est généralement considéré comme pertinent pour juger les premières actions d’un nouveau gouvernement. C’est le quart du temps qui fut donné pour agir aux deux équipes précédentes, celle d’Édouard Balladur puis celle d’Alain Juppé.
Si l’on dépouille l’activité gouvernementale des effets d’annonce, des images de séduction, des propos de tribune ou des petites mesures conjoncturelles, il reste un paysage et un discours.
Le paysage a ses lignes de force. Ce ne sont pas les nôtres, mais elles sont identifiables : l’emploi public, la réduction autoritaire du temps de travail, la nouvelle loi sur la nationalité. Ces choix, qui vont tous sans exception à l’encontre de ce que pratiquent nos voisins et nos concurrents, sont assumés par la majorité. Elle revendique cette identité fondée, à sa manière, sur le slogan « le socialisme dans un seul pays ». Mais ce paysage a aussi ses zones d’ombre, c’est-à-dire ce qui se fait sans qu’on le dise : la manipulation renouvelée du Front national, l’espace politique livré au Parti communiste, le refus cynique de toute réforme ou do toute action qui pourraient gêner les intérêts électoraux du Parti socialiste (fonds de pension, mode de scrutin régional, régimes spéciaux de retraite, etc.).
De l’autorité sans le courage
Ce paysage, qui s’installe sous nos yeux et qui a pour seul mérite de flatter le regard des Français et d’éviter qu’ils ne s’effraient d’une réalité beaucoup plus rude, est accompagné d’un discours de veilleur de nuit poursuivant l’imperturbable objectif de la somnolence nationale.
On augmente ainsi la fiscalité des entreprises (en tant que telles, elles ne votent pas…) ; on boucle les fins de mois avec les crédits de la défense (plus muet qu’un militaire, on n’a pas encore trouvé…) ; on flatte les jeunes en les accablant de citoyenneté et on met pendant quelques jours des CRS là où ça fait mal.
On a l’image de l’autorité sans en avoir le courage. Langage ferme, politique molle.
Alors on nous dit : mais il y a l’Europe ! Lequel d’entre nous nous pourrait souscrire à cet objectif qui, s’il n’était pas assumé, mettrait la France aux lisières politiques et économiques du continent.
Onze pays sur quinze vont respecter en 1998 les critères de Maastricht. Nous l’avons voté. Nous y sommes. Bravo ! Un petit geste de gratitude à l’endroit des deux gouvernements précédents aurait été le bienvenu…
Mais nous devrons au gouvernement de M. Jospin le risque formidable de ne plus être dans la course au moment où commenceront les choses sérieuses : c’est-à-dire la convergence inéluctable des politiques fiscales et des politiques sociales. Avec des taux d’impôt sur le revenu, de TVA, d’impôt sur les sociétés qui dépassent largement les moyennes européennes ; avec des pratiques sociales qui rendent encore plus rigide (et donc plus fragile) notre économie ; avec la création par l’État de centaines de milliers d’emplois publics dont le financement est prélevé sur le secteur marchand, donc sur la compétitivité de nos entreprises, on prend rendez-vous, aux alentours de l’an 2000, avec l’échec.
Dans une polémique récente, il semble que l’on ait inversé les rôles : ce n’est pas le CNPF qui déstabilise le gouvernement, mais bien ce dernier qui déstabilise aujourd’hui les entreprises françaises. Nous prenons date : après le conte de fées des six derniers mois, où l’on s’est payé de mots pour justifier une alternance imprévue, nous affirmons que cette politique est mauvaise pour la France.
Il ne sert peut-être à rien de dire qu’elle est mauvaise pour les Français qui l’approuvent. De nombreux exemples dans notre histoire nous montrent néanmoins que lorsqu’on trompe un peuple sur la réalité qui l’entoure, sur la nécessité des réformes, on ne gagne qu’un peu de temps, jamais une bataille, et encore moins la guerre.
Mais le gouvernement pour l’instant n’en a cure. Il est tout à la joie inattendue d’être là ! Et pour célébrer à sa manière ces six mois d’enchantement, M. Jospin s’est obligé d’attacher à son char la dépouille du chef de l’État et celle de l’opposition. En l’espace de dix jours, il a houspillé le premier et sermonné abusivement la seconde. Il lui restera bientôt à se plaindre du peuple lui-même qui a eu l’audace de faire ces deux choix-là. Qu’importent les portes du Crédit lyonnais, du GAN, la déconfiture de l’État-banquier et de l’État-assureur, qu’importe la paralysie croissante des systèmes centralisés, qu’importe le découragement croissant des jeunes diplômés qui vont à Londres chercher la reconnaissance de leur travail : le socialisme ne peut pas se tromper et encore moins le gouvernement qui l’incarne. Donc on continue !
On continue à fiscaliser, à prélever, à distribuer, à diriger ce qui ne doit pas l’être. On croit protéger alors qu’on affaiblit. On prend le verbe pour un projet et le projet pour une décision... Avoir, en six mois, alourdi le coût du travail, affaibli les entreprises, atteint durablement l’effort de défense tout en augmentant la fiscalité c’est peut-être un programme, c’est probablement un record, ce n’est pas une victoire.
Et c’est à nous de dire quelques vérités qui dérangent. C’est à nous de siffler la mise en scène d’un pouvoir qui loue un texte écrit dans une langue morte.
Même lorsqu’elle a lieu en juin, une élection ne fait pas le printemps. Et les vraies questions se rappelleront rapidement au bon souvenir de nos dirigeants. Elles s’appellent formation professionnelle, réforme de la fiscalité, chômage de tenue durée, sécurité intérieure et extérieure, baisse des charges, régimes de retraite, etc.
Le vrai bilan de ces six mois montre qu’aucune de ces questions n’a été véritablement abordée. On a, au contraire, amusé la galerie sur la pluralité de la gauche, la citoyenneté des camions, la réduction du service national à une après-midi...
Dès lors, l’opposition est dans son rôle lorsqu’elle s’élève contre les projets de loi sur la nationalité ou sur l’immigration. L’hypothèse du dépôt d’une motion de censure pourrait, à mon sens, être envisagée contre la politique du gouvernement, notamment dans les deux domaines de la nationalité et de l’immigration.
L’opposition n’a ni à s’excuser ni à accepter les Imprécations Indécentes de la majorité. Aucun de ses parlementaires n’a été élu avec la complicité du FN, ce qui n’est pas le cas de la gauche pour laquelle M. Le Pen a explicitement appelé à voter en juin dernier. Même si nous sommes aujourd’hui minoritaires, ceux qui nous font confiance doivent avoir la certitude que nous sommes des opposants résolus. Et d’ailleurs, nous sommes les seuls à le faire.
Si le Part socialiste souhaite avoir le Front national comme seul interlocuteur, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une adversaire, mais d’un partenaire. L’effacement voire la disparition d’une droite républicaine (plurielle depuis longtemps !) mettrait la France devant une situation de violence et de déchirement social.
« Le peuple du bon sens »
L’UDF veut proposer, dans une diversité qu’elle assume, une alternative responsable au socialisme d’État exprimé par la majorité avec le soutien objectif de l’extrême droite. Elle ne le fera pas seule et entend bien fonder avec le RPR une démarche nouvelle, plus équilibrée et plus audacieuse que dans le passé, plus soucieuse aussi de donner à la liberté de l’économie et à l’esprit d’entreprise toutes leurs chances.
En faisant ainsi, ce n’est pas « le peuple de droite » que nous voulons rassembler (nous n’avons jamais opposé un peuple à un autre) c’est le peuple du bon sens, celui qui croit à l’effort, au mérite, à la responsabilité, à la démocratie locale comme au dialogue social…
L’opposition a commencé ce long travail d’explication et de pédagogie. La question de ses structures lui semble moins importante que celle de son message, de la clarté et de l’intégrité de ses convictions.
Elle ne retrouvera au bout du compte son crédit qu’en décrivant avec courage le monde qui se présente à nous et qui n’attend pas la France pour changer, ni le socialisme pour construire l’avenir.